mardi 29 novembre 2011

Sans honte

J'ai ressenti beaucoup de honte ces derniers temps. Mais alors je me dis, la honte de qui ?

Et je pense à...

La continuelle objectification sexuelle des femmes partout. Pas d'échappatoire, pas de moyen de s'en éloigner, au cinéma, dans les films, à la télé, dans les magazines "pour hommes", les magazines féminins, les magazines porno, les pubs, les clips, les pop-ups sur internet, le spam, les dvd porno, même la radio et les livres. Partout est célébrée la soumission des femmes, l'inégalité définie comme naturelle et célébrée, c'est leur but à elle et lui. Elle veut être utilisée maltraitée et sexualisée tout autant qu'il veut l'utiliser la maltraiter et la sexualiser.

La domination de quelques voix. Jenna Jameson, un "succès" du porno qui s'est fait pas mal d'argent là-dedans, l'exception et pas la règle, membre d'une minuscule mais puissante minorité de pantins de l'industrie du sexe, des femmes dont les voix sont utilisées pour défendre sa bonne marche. Ils utilisent des femmes comme Jenna pour nous dire à quel point le porno est bon pour nous, même pour les femmes qu'il utilise. Vous voulez être Jenna Jameson ? Violée en groupe et laissée pour morte quand elle était adolescente, et elle ne voit pas le rapport. Nous avions besoin de thérapie et à la place on s'est littéralement fait baiser encore et encore pour le profit et le plaisir des autres. Maintenant nous avons du mal à nous confier en thérapie.

C'est un cercle vicieux : je me sens sale et honteuse donc j'accepte d'être traitée comme sale et honteuse, ce qui me fait me sentir sale et honteuse. Piégée pour les gains des proxénètes et des clients, pour le plaisir du client de l'enregistrement de ma maltraitance, un dvd "adulte" ou des photos.

La honte de qui ? Des proxénètes et des clients. Je pensais que c'était ma honte. Ma honte ? Mon cul. Littéralement.

lundi 28 novembre 2011

Noyade


Et je sens les mots s'échapper, je trouve mon corps incapable de répondre, je sens mes mâchoires se serrer. Mes lèvres semblent être collées l'une à l'autre, comme si j'étais bâillonnée, muette et ligotée. Je suis entièrement impuissante, figée comme un lapin pris dans la lumière des phares. Mes pensées filent à toute allure ou alors se vident : soit je suis trop présente dans ma tête soit je suis absente, emportée dans une vague de néant. Les pensées sont alors lentes, détachées : celles d'un observateur, à peine intéressé. À l'autre extrême, je me sens complètement piégée, enchaînée à ce corps et handicapée par lui : je lui commande de bouger et il ne le fait pas, je crie dans ma tête à mes lèvres de bouger mais elles ne le font pas. J'ai l'impression de me noyer sans pouvoir crier à l'aide. Je peux cligner des yeux, mais ça s'arrête là.

La cause de cette réaction de renfermement extrême ? N'importe quelle chose qui puisse me rappeler le pire de mon passé. Ma tête et mon corps titubent en revivant le traumatisme, je suis submergée par lui, engouffrée en lui. Je prie pour avoir la réaction de détachement : l'autre est trop douloureuse, trop solitaire, pour être supportable. Quand c'est arrivé en thérapie l'autre jour, je me suis retrouvée piégée dans mon passé, des images torturantes de ma maltraitance brûlant dans mon esprit et dans mon corps, infirme et seule.

Je ne veux plus retourner là-bas toute seule.

Tout est connecté. Une pensée, un souvenir en déclenche un autre et encore un autre et c'est parti, un cercle d'horreur s'élargissant sans cesse devant mes yeux seulement, dans ma tête seulement. Je veux crier "aidez-moi, s'il vous plaît aidez-moi, soyez là avec moi, aidez-moi à sortir de là", mais aucun mot ne vient. Mes lèvres restent soudées, imperméables à mes ordres d'ouverture.

Cela ne devrait pas me surprendre de devoir parfois lutter pour ouvrir la bouche, que ce soit pour manger ou pour parler. Ma bouche a été gravement maltraitée quand j'ai été vendue : je m'étranglais et vomissais sur bite après bite enfoncée dans ma gorge, les poumons en feu, les yeux dégoulinant. En situation ressentie comme risquée, ma bouche refuse de coopérer.

Pour ce qui est des mots, de parler, d'appeler à l'aide, cela ne devrait pas me surprendre non plus. Quand j'ouvrais ma bouche je risquais son poing, alors j'ai arrêté de parler. Et les mots me manquaient de toute façon, étaient inadéquats de toute façon, s'enfuyaient de toute façon. Comment transmettre la terreur qu'est le viol collectif ? Comment transmettre la dégradation que tu subis chaque jour en étant frappée, en étant vendue. Les récits deviennent disjoints à cause des blackouts. Les émotions ? Mon dieu, tu n'as aucune idée de ce que tu ressens. De la peur au-delà de toute description, de la souffrance au-delà des mots, l'engourdissement d'aller encore au-delà de ça, au-delà.

Tout s'effondre au final. Tu te détaches et tu t'observes battue, violée, au bord de la mort. Tu n'as aucun pouvoir là-dessus, aucune échappatoire. C'est un peu comme observer le monde de sous l'eau, à distance : le son semble éloigné, les actions semblent ralenties. Un accident de voiture en slow motion, sans l'émotion.

Puis le dégoût revient dans ton corps, dans les émotions, tu vois à nouveau avec tes yeux, tu entends avec tes oreilles, tu ressens ce qu'ils font. De retour dans la peur et les pensées qui filent, les tremblements et l'être. Réunie avec ton corps, la douleur revient à toute vitesse et t'étouffe. Ta poitrine se comprime, ta gorge se noue.

Mon expérience du syndrome de stress post-traumatique est alors une exacte reviviscence de la façon dont j'ai vécu le traumatisme d'être prostituée à l'époque. La fluctuation entre le détachement et la trop-présence reste là, alors que les circonstances extérieures de ma vie diffèrent. Je ne suis plus physiquement sujette aux abus que j'ai subis. Mais les cicatrices mentales restent, et ont un effet physique. Elles me handicapent comme elles le faisaient à l'époque, mais n'ont plus aucun but à présent. À l'époque, c'était ce que mon esprit et mon corps faisaient pour survivre. Maintenant, cela sert à m'isoler.

La confiance ne me vient pas facilement, et pour de bonnes raisons. Mais à présent j'en ai plus besoin que jamais. J'ai besoin d'être honnête et d'appeler à l'aide. Et j'ai besoin de beaucoup d'aide. Je doute que ce travail puisse être vite fait bien fait. Tant que je suis incapable d'ouvrir la bouche, je remercie Dieu d'être capable d'écrire. Sans cette soupape de sécurité, je serais comme j'étais à l'époque : complètement foutue.

samedi 26 novembre 2011

La destruction m'appelle : viens par là...

J'ai parfois un besoin irrésistible de littéralement me détruire, de me faire mal encore et encore, de me déchirer en lambeaux. Pour me punir. C'est comme si j'avais internalisé ce qu'ils m'ont dit : tu le mérites, tu aimes ça, tu es faite pour ça - tu ne vaux rien ! Pouffiasse ! Sale cochonne ! Salope ! Pute ... etc. Il y a une part de moi qui se sent horriblement sale et ravagée, sans espoir de réparation, ce qui rend toute tentative de changement incroyablement futile.
Mon thérapeute m'a dit un jour, en faisant face à un fléau tel que celui que tu as vécu, la plupart des gens choisissent une option entre les deux suivantes : détruire les autres, et donc perpétuer le mal, ou s'autodétruire. J'ai choisi la seconde, évidemment. Je croyais que la méchanceté, la haine et l'agressivité, et la perversité, qui appartenaient aux hommes qui m'ont utilisée, faisaient partie de moi. Il n'y avait aucune limite : rien ne m'appartenait, rien n'était sacré, il n'y avait rien qui ne puisse être piétiné et souillé. Leurs mots tournaient dans ma tête, leurs mains possédaient mon corps, leurs fluides corporels sur moi et en moi, ma souffrance leur orgasme. Ils me consommaient. Pas étonnant alors que j'aie pu être confuse sur ce qui était à eux et ce qui était à moi. Dégradation après dégradation, coup après coup, viol après viol. C'était toujours ma faute, de ma faute si j'étais frappée pour ne pas avoir coopéré, pour lui avoir fait honte, pour l'avoir mis en colère, ma faute si j'étais violée parce que je l'avais mérité, j'aimais ça, j'étais une salope de toute façon, je l'avais bien cherché.
Ils m'ont dit que c'était de ma faute, et je les ai crus. Leurs voix étaient plus fortes, plus persistantes, plus cruelles, jouant sur mes peurs, sur mes doutes, que le petit murmure dans ma tête qui disait ce n'est pas normal, ce qu'ils font et disent n'est pas normal. Ils m'ont dit que j'étais sale et ça collait avec mon expérience : je me sentais sale, une collection de trous à baiser et dans lesquels et sur lesquels on éjacule. Ils m'ont dit que j'étais une moins que rien : je me sentais moins que rien, jetable, quand un homme après l'autre m'utilisait et ensuite me lâchait, une épave battue, pour me laver, pour me rendre décemment présentable pour la prochaine baise. Ils me disaient que j'aimais ça, et je pensais, non je n'aime pas ça, mais je me suis retrouvée à dire que j'aimais ça, me rendant complice, pour essayer de rester en sécurité, essayer d'éviter encore plus de violence.

Parfois je me disais je ne peux tout simplement pas en supporter plus, plus de cris, plus de coups, plus de punition. Tout sauf ça, je ferai n'importe quoi. Et c'est ce que j'ai fait. La honte reste avec moi, l'auto-dénigrement reste avec moi. Pour survivre à ce qui se passait, je me disais que ça n'avait pas d'importance, que je n'avais pas d'importance, ce corps n'est pas vraiment moi. Incapable de m'éloigner de cette situation, juste pour survivre, j'ai fini par internaliser l'attitude de mes abuseurs, déniant mes propres sentiments et mes propres droits et ma propre humanité. Sachant que je pouvais mourir ici, mais incapable d'y changer quoi que ce soir, quand je m'en rapprochais, je me détachais de moi-même, et je me disais, ainsi soit-il. Tellement fatiguée, tellement fatiguée de la peur et de la souffrance et de l'horreur quotidienne d'être vendue.
C'est un processus long et douloureux de me dire que j'ai de l'importance, que ce qui m'a été fait a de l'importance, et de vraiment le croire. Il reste une habitude en moi qui rend ça beaucoup plus facile de dire, particulièrement quand je suis fatiguée et en lutte et souffrante comme je le suis maintenant, ça n'a pas d'importance : rien de tout ça n'a d'importance et surtout pas moi, et je me fais mal à nouveau. Pour me détacher de ce corps, comme je le faisais alors, pour me séparer, pour en être débarrassée, pour en détruire la moindre parcelle, mais ce mal a laissé ses marques sur moi, sur Angel, en la forme de cicatrices et de mémoire corporelle, d'associations. Effacer le passé serait effacer le corps, m'effacer moi, me supprimer.

J'en suis venue à comprendre, bien que cela ait pris du temps, et que cette pulsion de me faire souffrir, de me punir, reste forte, que c'est une émotion déplacée. Je ne veux pas effacer Angel, et je ne le devrais pas. Je veux juste ne plus me sentir sale, me sentir honteuse, me sentir minable. Je me sens toujours impuissante face à l'industrie du sexe. Mais je peux voir que ce n'est pas à moi de porter cette honte. Je peux voir que la saleté et la culpabilité et le blâme vont aux hommes qui m'ont utilisée et m'ont vendue. Pour autant, les sentiments, oh les sentiments... ils mettent un peu de temps à rattraper la raison. Tant que je continue de faire les bons choix - parler de tout ça, écrire sur tout ça - je n'ai pas besoin d'agir ces pulsions. Je ne me suis pas désintoxiquée pour me foutre en l'air d'une autre façon.
Vous savez ce qui a besoin d'être détruit ? L'industrie du sexe avec tous ses mensonges et ses abus. J'ai la pleine intention de faire tout ce qui est en mon pouvoir pour aider ce processus.

lundi 21 novembre 2011

Encore du porno

Je conduisais l'autre jour et j'ai entendu une émission de radio sur le VIH. Ca m'a fait penser aux pratiques de safe-sex et à la pornographie. Les acheteurs veulent voir le contact de peau à peau, des pénis dégainés, et du sperme - beaucoup de sperme. Le "bare-back" (sex sans préservatif) est la norme.

Le sexe non protégé n'est pas sans risque. Mais les actes sexuels dans la pornographie servent tous à augmenter ce risque : sexe anal, sexe avec de multiples partenaires, actes sexuels brutaux (sexe oral inclus), ass-to-mouth, anal-vaginal, bukkake (sur le visage)... tout ce qui peut causer des déchirures augmente le risque de transmission de VIH et hépatites. À cause de l'agressivité d'une si grande partie de la pornographie, et de la pénétration prolongée, y compris avec des objets ou des poings, les risques de déchirures sont grandement augmentés. Les anciennes blessures, de la dernière fois, peuvent se rouvrir à nouveau quand on est utilisée à nouveau. Tellement douloureux (j'ai vécu ça), et à risque.

Les prétendues "visites médicales" imposées dans certains milieux de l'industrie (largement pour apaiser la conscience du public) sont plus que risibles. On prescrit quotidiennement des antalgiques aux femmes dans la pornographie pour les "aider" à travailler, et bien plus utilisent l'alcool et les drogues pour engourdir la douleur. Le résultat c'est que même quand la femme est physiquement abîmée dans la fabrication de pornographie, elle est moins à même de le ressentir dans toute son intensité et donc d'arrêter et donc de se prévenir de plus de dégâts. Cela supposerait bien sûr qu'elle soit dans une position d'arrêter ce qui lui arrive, ce qui souvent n'est pas le cas. Même quand une femme n'est pas ouvertement sous la coupe d'un proxénète, il y a beaucoup d'autres moyens de la piéger à s'engager dans des actes sexuels qu'elle ne souhaite pas. L'alcool et les drogues affectent l'inhibition et la conscience, laissant la femme plus ouverte que jamais à la maltraitance. On peut lui dire que le contrat qu'elle a signé requiert qu'elle fasse certaines choses, ou son agent peut la pousser à performer des actes plus extrêmes pour la caméra (ça lui fait plus d'argent).
Difficile d'imaginer une femme dans une scène de gang bang, entourée d'hommes, et probablement avec un pénis enfoncé dans sa gorge, comme étant en position de dire "stop, vous me faites mal". En effet, la peur et la souffrance visibles sur le visage des "actrices" porno sur bien des DVD attestent clairement que ce n'est pas le cas. Elle peut avoir désespérément besoin d'argent et donc être vulnérable à la pression quand on lui dit de faire plus de choses déplaisantes pour plus d'argent. Ou alors elle peut être tellement mentalement abîmée qu'elle ne voit aucune autre option pour elle, aucun moyen de s'en sortir.

La pornographie utilise les femmes les plus vulnérables et elle se construit sur elles ravage après ravage, mental et physique. Des hauts-le-coeur en avalant des bites, couverte du sperme d'homme après homme dedans et dehors, couverte de bleus, boursouflée et saignant à l'entrejambe, gorge sèche, mâchoire douloureuse, et avec l'impression que ses entrailles vont se répandre, la pornstar, l' "actrice". Son anus, son vagin, sa bouche, ses seins et son corps sont offertes à la caméra, pour être utilisés et abusés sans scrupules. Et cette chose qui lui est faite pour la gratification d'hommes qu'elle n'a jamais rencontrés, on la qualifie d'empowerment, de libération, de divertissement inoffensif ! Les statistiques concernant l'alcoolisme, la toxicomanie, le suicide et le passé de maltraitances sexuelles racontent une histoire un peu différente - non pas que vous le sachiez : l'industrie, avec la collusion d'une société qui ne veut pas savoir, parvient à garder ces chiffres hors du débat. À la place, on se retrouve à bavarder sans aucun sens sur le "choix" et le "glamour".

Et ainsi la pornographie normalise la pratique du sexe risqué, dans tous les sens du terme. Le client peut profiter de la photo, du film, un million de kilomètres à l'écart de l'odeur du sperme, de la crasse, sans la souffrance et la peur et le danger. Il rit quand elle reçoit du sperme dans les yeux - ce n'est pas lui qui se retrouvera avec une infection oculaire demain. Il a le frisson en regardant des filles subir une pénétration buccale après une pénétration anale : en sécurité de l'autre côté de la caméra il n'a pas à s'inquiéter des IST, il imagine l'humiliation, ça l'excite, mais il n'a aucune idée de ce que ça fait vraiment.

Pendant qu'elle claudique jusque chez elle pour se frotter et se frotter et se frotter dans la douche, pour vérifier si elle saigne, pour évaluer les dégâts, pour se mettre une cuite et essayer d'oublier, il plie le magazine, éjecte le DVD et zappe dans sa tête, satisfait et sachant que son comportement est "normal", que c'est socialement acceptable - il ne fait de mal à personne.

Il n'y a rien de sécuritaire pour les femmes dans la pornographie, ou pour celles qui sont poussées par leur partenaires à reproduire les pratiques douloureuses et risquées que la pornographie promeut. La pornographie considère les femmes comme jetables, littéralement : elle les baise, et ensuite elle passe à la prochaine "chatte fraîche". La pornographie est aussi partout - elle fait partie de la culture ambiante. Comment pouvons nous être assez aveugles pour rater l'énorme contradiction entre la promotion de pratiques sexuelles sécuritaires et la glorification du porno ? Les deux sont totalement incompatibles.

Les mots "sécurité" et "pornographie" ne peuvent même pas appartenir à la même phrase. La pornographie détruit - le corps, l'esprit et l'âme. C'est un fait. Je travaille encore à défaire les dégâts qu'elle m'a faits.

lundi 14 novembre 2011

A day in the life


Imagine...

Te réveiller à 4h du mat, tremblante, en sueur, pendant que l'alcool et les drogues quittent ton corps, et ne sachant même plus pour quoi prier. Tu es terrifiée, là dans la nuit, malade et toute seule, mais quand le matin arrivera ce sera encore le même manège, toujours la même chose, te faire baiser par des hommes et tu ne veux pas qu'on te touche mais tu as besoin d'argent pour boire et pour les drogues parce que tu n'arrives pas à t'en détacher, tu ne peux pas faire sans, elles vont main dans la main : l'addiction et la prostitution, l'auto-maltraitance et la maltraitance. Ton coeur accélère et devient fou, ton foie te lance, ton estomac te brûle, ton entrejambe est endolori à cause des hommes qui t'ont baisée aujourd'hui. Tu te sens complètement coincée et tu te hais et tu te retrouves au milieu de gens qui te détestent, qui te renvoient cette image.

Tu pensais que tu ne valais rien, ton ex t'a dit que tu ne valais rien, et les clients te traitent comme une moins que rien, te disent que tu ne vaux rien, que tu aimes être maltraitée comme ça, ils chuchotent des fantasmes sordides, pervers, dans ton oreille, avant de les mettre en actes sur toi, et ils disent "ça te plairait, hein ?" et tu entends le son de ta propre voix, même si elle est lointaine et déconnectée comme si ce n'était pas vraiment toi en train de dire "oh oui bébé, ça me fait mouiller". Tu sens ce couteau se retourner dans ton flanc, tu es en train de te vendre, le moindre lambeau de respect de toi qui aurait pu te rester meurt quand ces mots quittent tes lèvres.

Ton corps n'est pas le tien, tes mots ne sont pas les tiens, même ta souffrance n'est pas la tienne : parfois ils veulent savoir que tu n'aimes pas ça, ce qu'ils te font, ils veulent voir tes larmes, voir ta souffrance. Tu tentes de forcer les larmes mais elles ne viennent pas, tu n'es pas reliée, tu ne peux pas atteindre ce corps qui est le tien. Quelque part tu sais que tu seras plus en sécurité si tu pleures, si tu fais ce qu'ils disent, pour qu'ils finissent, jouissant sur ta souffrance, ton humiliation, pour qu'ils arrêtent. Les larmes ne viennent pas. Ils continuent de faire ce qu'ils font, ou quelque chose d'encore plus sadique, jusqu'à ce que tu t'évanouisses ou que tu les supplies de t'épargner, ils jouissent sur ta destruction finale. Ou alors tu te retrouves avec des larmes coulant le long de tes joues, incapable de les retenir, sentant l'incandescence de la honte et de la souffrance, et tu te sens trahie par ce corps qui est le tien, par toi-même. Tu n'as rien à quoi te raccrocher, rien ne t'appartient plus : leurs mains te touchent partout, à l'intérieur et à l'extérieur, ta bouche utilisée pour leur plaisir, chaque parcelle de toi utilisée pour leur plaisir, leur gratification, la cible à découvert de leurs fluides corporelles, de leurs fantasmes pervers et tordus, ta souffrance étant leur frisson. Ils te consomment, te consument.

L'alcool aide, les drogues aident, ça t'engourdit, ça t'aide à t'échapper de ce qu'ils te font, de toi-même, mais cela te force aussi à rester ici, le besoin de les financer te force à rester, coincée dans ce cycle de maltraitance et d'auto-maltraitance, tu sais que tu es en train de te tuer, tu sais que tu vas peut-être être tuée, mais comment s'échapper de tout ça ? Cela semble impossible.

Imagine.

Tellement brisée que la simple idée d'oser espérer quelque chose de plus, quoi que ce soit de plus, semble terrifiante : tu vas souffrir, ça ne va pas marcher, mieux vaut endurer, mieux vaut oublier, mieux vaut baisser la tête et survivre. La normalité n'est qu'un mot pour toi, une quantité inconnue, mais cela désigne sûrement quelque chose d'autre, quelque chose de mieux, que ça.

Imagine.

Quand tu en sors, et tu fais partie des chanceuses, tout le monde n'y arrive pas, une des solitaires, le fossé entre toi et les autres autour, qui n'ont pas ton passé, est infranchissable. Chaque jour tu remercie Dieu d'être clean et sobre, chaque jour tu dois faire avec les conséquences de ce qui t'es arrivé, ce que c'est d'être prostituée, de se prostituer. Les mots te manquent, inarticulable, ce qui s'est passé, même pour toi-même, ton passé est une série d'images disjointes en technicolor, d'odeurs et de sons avec des trous noirs entre deux, la conséquence de l'alcool et des drogues et des coups à la tête, une non-narration embrouillée d'horreur, gravée dans ton crâne. Quand tu dors tu fais des cauchemars, quand tu te réveilles ils continuent : attaques de panique, reviviscences, déclenchées par l'incessant bruit de fond de l'industrie du sexe. Tous les films ont des scènes de sexe, toutes les pubs ont des femmes à moitié déshabillées, tous les kiosques à journaux ont du porno, des femmes à vendre partout, l'inégalité vendue comme égalité. Tu ne peux pas t'échapper.

Imagine.

Tu commences à rassembler ce qui s'est passé, à mettre des mots sur ce qui s'est passé, tout inadéquats qu'ils soient, des mots comme "proxénète", "viol", "viol collectif". Tu commences à réaliser que même les plus petites formes de maltraitance que tu as vécues sont indicibles, inacceptables, que ta vérité t'isole, que c'est trop à entendre pour la majorité des gens. Quand un viol collectif était un jour comme un autre pour toi, juste un autre jour à survivre, à supporter du mieux que tu peux, tu ne sais pas comment faire autrement. Traitée comme un animal tu deviens un animal pour survivre, et la honte te brûle, la culpabilité te brûle, la nausée de ce qui t'a été fait, ce que tu as fait pour faire face te ronge. Tu vis en sachant qu'il y a des images de toi là dehors, des images de cette maltraitance, des hommes qui se branlent dessus, qui se font de l'argent dessus, ta souffrance est leur frisson, leur profit.

Tu te rends compte que tu es une des rares à savoir que la prostitution et la pornographie et le lapdance, c'est la même chose, vendre des femmes c'est toujours la même chose, il n'y a pas de limites, pas de distinctions. Ton ex t'a fait performer pour eux, t'a fait danser pour eux, t'a fait te déshabiller pour eux, t'a fait les divertir quoi que cela requière, et s'est fait de l'argent sur ta maltraitance. Les clients t'ont prise en photo, le dealer t'a filmée... Pas de distinctions, plus de limites à franchir, la moindre parcelle de ton humanité piétinée pour le pouvoir et le profit.

Tu vis en étant aux premières loges pour savoir exactement ce dont les gens sont capables, et tu entends des gens tout autour de toi défendre la pornographie, défendre des hommes comme tes abuseurs, qualifiant des gens comme Maxx Hardcore de "révolutionnaire" et "inspiré", tu entends des gens mal informés dénonçant les femmes comme toi qui disent une vérité que personne ne veut entendre. Tu sais que ce n'est pas parce qu'elle sourit qu'elle aime ça, que ce n'est pas parce qu'elle dit "baise moi plus fort" qu'elle a envie d'être là, qu'elle est libre de choisir d'être là.

Choix ?
Divertissement innocent ?
Empowerment ?
Libération sexuelle ?

Essaye plutôt :

Absence de choix
Désespoir
Désespérance
Enfer

Être une femme prostituée c'est être en enfer. Être une femme qui a quitté la prostitution c'est vivre en sachant cela, en sachant par où tu es passée, en vivant avec le trauma, et en étant écartée comme si tu étais une aberration, ou une cinglée. Les problèmes de santé mentale dont tu souffres à présent en conséquence de la maltraitance sont utilisés contre toi. Même ceux qui te croient t'ignorent en disant que tu as été exceptionnellement malchanceuse - "c'est pas comme ça pour la majorité des femmes dans le porno" ! Et tu as peur de parler de toute façon, tu n'as plus confiance de toute façon, tu as peur d'être seule avec ton mental mais tu as peur de laisser les autres t'approcher au cas où ils te fassent souffrir encore, te baisent encore.

Tu te sens accablée, invalidée. Tu as peur et tu te sens seule, balafrée et brisée, et perdue. Douloureusement perdue.

Imagine cela et tu auras une petite idée de ce que c'est d'être moi, d'être une femme prostituée, une survivante. Prends connaissance et prends acte, pour aider un peu, changer un peu les choses, peut-être ne pas rire avec les autres quand quelqu'un fait une blague sur la pornographie, peut-être ne pas se joindre au consensus quand les hommes disent de l'industrie du sexe que "bah, les mecs sont des mecs". Peut-être se tenir debout à côté de moi, à côté de nous, rendre cela un peu moins solitaire.

La seule chose nécessaire pour le triomphe du mal, c'est que les gens bien ne fassent rien.

samedi 12 novembre 2011

Les joies du syndrome de stress post-traumatique

Je pourrais m'asseoir et écrire de millions de façons différentes pourquoi la prostitution et la pornographie sont si profondément destructrices, et sont donc des maux très graves à surpasser. Mais en réalité, là, maintenant, je suis juste beaucoup trop brisée pour faire quoi que ce soit qui requière un tel effort mental et d'articulation.

Je suis au-delà de la fatigue.

Fracassée
Épuisée
Les os fatigués

La cause ? Mon SSPT est repassé à la vitesse supérieure. Je suis tout simplement engloutie dans la reviviscence du traumatisme du passé. C'est comme si j'y étais submergée, et maintenant il n'y a plus moyen de sortir ma tête de l'eau.

Tellement d'images qui courent dans ma tête ! Mon corps se tend et tremble, vomit et souffre : migraine, maux d'estomac, mal aux muscles, douleurs aux vieilles blessures. Quand je dors, j'ai des cauchemars, et quand je me réveille, je tombe dans une attaque de panique. Mon coeur bat plus vite, j'ai du mal à ouvrir la bouche pour manger.

En thérapie j'ai commencé à faire des incursions dans le récit de choses parmi les pires qui me sont arrivées, ce que je sais être nécessaire : tout ça me ronge comme un cancer et au mieux, fait barrage entre moi et une vie heureuse. Au pire, ça risque de me foutre complètement en l'air : parfois c'est tellement insupportable à vivre qu'il me semble que ce serait mieux si je n'étais pas là.

J'ai encore ce vieux besoin de me faire du mal. Quand je suis dissociée, parfois je me sens comme si j'étais coincée en dehors de mon corps sans pouvoir y retourner, ce qui m'effraie. Tout semble irréel, à commencer par moi. À ces moments, la pensée de l'automutilation se suggère comme un moyen de retourner à l'intérieur de moi-même : je suis réelle, je peux sentir la douleur, je saigne. À d'autres moments, quand la souffrance mentale atteint un tel niveau que je sens que je ne peux plus le supporter, pas une seconde de plus, l'automutilation se suggère comme un moyen de me détacher : sentir la tension s'écouler avec le sang dans l'évier, sentir le calme, la distance, m'inonder.

Je suis soit trop détachée, soit trop dans mon corps. J'ai peur de moi-même, d'être seule avec ma tête, et j'ai peur des autres gens parce que je ne veux plus souffrir. Je ne fais confiance à personne.

J'ai besoin de parler aux gens, de leur dire ce qui se passe dans ma tête, précisément. Je suis très forte en généralisations : "je ne me sens pas très bien", "prise de tête", "mauvais souvenirs"... Des mots qui veulent dire quelque chose mais qui ne veulent rien dire. Je suppose que je suis à nouveau de retour à cet endroit crucial où il faut oser dire exactement ce dont je me souviens et ce que je revis. Cela me semble représenter un énorme pouvoir à donner à quelqu'un, même quelqu'un à qui je fais confiance. Par le passé ma survie a dépendu de ma capacité à plaire aux autres, à ne pas faire de vagues, à passer les maltraitances sous silence. M'entendre parler de ce qu'il y a dans ma tête ne va pas être facile, et la moindre réaction négative, ou potentielle réaction négative, perçue ou réelle, de la personne à qui je parle, déclenche une peur massive, que je ressens physiquement et mentalement. Je n'aime pas l'idée de transmettre les images dans ma tête, qui me remplissent de honte et me rendent malade, dans la tête de quelqu'un d'autre.

Alors je suis épuisée. Je revis certains des moments les plus horribles de ma vie. Mon thérapeute a dit, vous avez été torturée. J'ai été, mais j'ai l'impression d'être encore torturée et je suppose avec réalisme que ça ne va pas passer rapidement. On commence tout juste à essayer d'examiner tout ça. Je suppose que je dois continuer à m'accrocher. La fatigue et la tristesse font partie de cet aller de l'avant. Mais la souffrance ? Ce que ces choses me font ressentir ? Cela défie toute description.

vendredi 11 novembre 2011

La logique de l'illogisme

Nous vivons dans un système plein de tensions et complètement illogique. Nous vivons dans un pays dans lequel le viol est illégal mais où la pornographie qui montre des actes de plus en plus agressifs et douloureux envers des femmes devient de plus en plus courante, dans laquelle non veut dire oui et même où une femme ne sait pas qu'elle veut du sexe, mais elle apprend à l'aimer et à en jouir quand elle se fait baiser. Nous vivons dans une société où la maltraitance est illégale mais où la pornographie qui montre des femmes qui sont giflées, sur lesquelles on crache, qu'on force à avaler profondément des pénis d'acteurs mâles au point de les faire pleurer et avoir des haut-le-coeur, est normale.

Donc la violence dans la pornographie est permise, la coercition dans la pornographie est permise - rappelez vous que ce n'est que du fantasme, sauf que ce fantasme est réalisé sur les corps des femmes utilisées dans la pornographie. Être pénétrée et se faire éjaculer dessus n'est pas un fantasme pour ces femmes - c'est la réalité. Je le sais - j'y étais. Tout ça est douloureusement réel pour moi. Quand le client, l'acheteur, après avoir joui, éteint le lecteur DVD, ferme le magazine, fait un changement de chaîne mental, peut-elle en faire autant, la femme sur les photos peut-elle en faire autant ? La caméra arrête de tourner et elle se redresse, se lave, le sperme sur son visage et son corps, en elle, elle vérifie les plaies à son anus, son vagin, sa gorge. Elle a de grands risques d'avoir des infections sexuellement transmissibles, l'hépatite B, le VIH. Elle claudique jusqu'à la douche, boursouflée et contusionnée, puis elle retourne à sa vie chez elle, telle qu'elle est, sachant que les images d'elle se faisant maltraiter, se faisant baiser, se faisant humilier, vont maintenant aider l'homme qui l'a vendue à un homme très riche, que des types se branleront sur ces images, en riront, qu'elle continuera à être consommée par un homme après l'autre, même après que l'assaut initial soit fini. L'alcool aide, la drogue aide : ça rend tout ça un peu plus distant, ça rend la douleur un peu moins réelle. Ca aide à prétendre que ce qui arrive n'a pas d'importance, qu'elle n'a pas d'importance, que rien n'a d'importance sauf la prochaine boisson ou la prochaine drogue.

Elle commence à avoir l'impression que son corps n'est pas le sien. Incapable de se retirer physiquement de cette maltraitance, se retirer dans son corps, dans sa tête, n'est pas suffisant. Les hommes la suivent à l'intérieur. Elle se sépare de ça, elle regarde de loin tout en le vivant, elle est là mais pas là. Ce corps n'est pas le mien. "Ne montre pas que tu as mal ne montre pas que tu as mal" (ou ils te feront encore plus mal - ça les fait jouir) se transforme en un sourd "je ne sens rien de toute façon, rien ne me touche, rien ne m'atteint". Tu peux me tabasser et me baiser et te moquer de moi mais je ne suis plus là, tu ne fais que toucher un corps, crier sur un corps, te moquer d'un corps. Je ne ressens pas de connexion. Ca oscille : peur et engourdissement, douleur extrême et détachement total, dans le corps hors du corps. Le nom auquel ils destinent cette maltraitance me semblait être mon nom, était le mien, mais il ne l'est plus. Il se réfère à la coquille, au corps. Ils ne savent pas que je suis partie. Ils ne peuvent pas me faire mal, ils ne connaissent pas mon vrai nom, mon être réel, mon essence réelle.

Retourner dans le corps, mon corps, rassembler les fragments brisés, c'est lent, tellement lent, et douloureux au-delà de toute mesure. L'illogisme d'une société qui approuve la pornographie comme "normale" mais clame avoir une justice pour les victimes de viol, les victimes de violence conjugale, des actes que l'on voit en miroir en permanence dans la pornographie où ils sont traités non seulement comme autorisés mais comme sans danger et même amusants, rend le processus quasiment impossible. Comment puis-je vivre dans cette société ? Comment pourrais-je avoir une place ici, être validée ici, être affirmée et supportée, écoutée et respectée, avec mon passé, mon présent ? Les images de la maltraitance continuent d'être là, des gens continuent à se branler dessus et à en rire. Et des gens qui n'ont pas la moindre expérience de ce que cela signifie d'être vendue, d'être violée devant une caméra, parfois par un homme et parfois par beaucoup, pour leur divertissement, me disent que ce n'était peut-être pas si grave. La porno n'est pas si grave.

Tu as mal compris, Angel. La pornographie c'est juste de quoi s'amuser sans danger, les femmes choisissent de prendre le pouvoir et de célébrer leur sexualité et leur corps en faisant de la pornographie, elles sont payées pour une partie de jambes en l'air et tout le monde est gagnant.

Faux faux faux. Tout le monde est perdant dans la pornographie. Quand j'ai été vendue, j'ai tout perdu : mon corps était utilisé de façons qui me faisaient mal au point de perdre conscience et de vomir devant les hommes autour de moi, les images de ces abus continuent d'être utilisées maintenant par des hommes qui ne me connaissent pas, bien qu'ils croient me connaître. Avez-vous déjà lu les commentaires dans les magazines porno et sur les DVD ? "Cette petite pute l'a bien cherché et ne demandait qu'à se faire remplir tous les trous"... "Cette chatte en a pris plus qu'elle ne l'espérait pour son premier gang bang, y compris subir sa première double pénétration et elle a adoré ça"... L'expérience était avilissante, les images sont avilissantes et le résultat final c'est que c'est décrit comme étant exactement ce qu'elle voulait et méritait.

Vu à quel point la pornographie est devenue courante, et à quel point elle devient de plus en plus agressive, il n'est pas étonnant que le public ait si souvent l'impression que les victimes de viol sont à blâmer. Nous enseignons à la prochaine génération que les femmes veulent être traitées comme des objets sexuels, que nous le demandons, que non ne veut pas vraiment dire non et qu'on l'a bien cherché. Suivez ce schéma de pensée jusqu'à sa conclusion logique et il devient clair que nous vivons dans une culture du viol. Le nier serait illogique.

samedi 29 octobre 2011

La foire aux monstres

Dans Pretty Woman, il y avait Richard Gere. Malheureusement, notre cher Richard n'est pas représentatif des hommes qui achètent des femmes, que ce soit en termes d'apparence ou de comportement.

Il y a une raison pour laquelle les hommes qui achètent des femmes le font.

Laissez-moi vous peindre une image plus exacte, même si moins belle. Les clients sont là pour une raison, et si vous pensez que cette raison a quoi que ce soit à voir avec l'amour des femmes ou une simple transaction financière, vous avez tort. Regardons les clients de plus près.

Le misogyne. Cet homme a une histoire personnelle qui l'a mené à haïr les femmes. Cela peut ressembler à quelque chose comme ça : sa mère l'a maltraité quand il était enfant. Ou il pense qu'une petite amie / collègue de travail l'a humilié. Ou il a une patronne qu'il ne peut pas supporter. Ou il ne peut pas avoir les femmes qu'il mérite. L'histoire peur varier mais le résultat est le même : il veut donner une leçon aux femmes. Il veut que les femmes, cette femme, n'importe quelle femme, cette femme qu'il achète, ressente de la souffrance comme il croit que les femmes dans sa vie l'ont fait souffrir. Peu importe que ce soit une autre femme. Le fait est que la prostituée est disponible pour lui comme un moyen d'exprimer sa haine et son agressivité d'une façon que la ou les femmes qu'il voudrait avoir ne permettent pas. Il ne peut pas avoir de relation avec une femme à cause de la façon dont il les traite. Le fait est, et il le sait trop bien, qu'avec une prostituée, il n'y a pas de conséquences. S'il la frappe, s'il la viole, s'il l'étrangle à moitié, s'il menace de la tuer, rien ne lui arrivera à lui. Aucune sirène de police ne viendra le chercher. C'est ce pour quoi elle est là, non ? Un exutoire pour la rage. Il lui donne de l'argent, ou peut-être qu'il ne paie même pas et l'utilise et la laisse en sang dans la rue pour lui faire un dernier affront (Elle devrait s'estimer heureuse d'être en vie. Pouffiasse.).

Ensuite il y a l'homme conventionnellement laid. Il ne peut pas avoir de relation avec une femme à cause de son apparence ou de son manque d'hygiène. Pour lui, la prostituée est la femme qui ne peut pas dire non. Une perspective attirante ? Peut-être pas. Est-ce que c'était agréable ? NON ! Mais je vais faire semblant parce que je le dois.

Le suivant est l'accro au porno. Il peut être, ou non, en relation avec une femme. Il peut même être marié. Le fait est qu'il veut essayer quelques uns des actes les plus extrêmes qu'il a vus dans la pornographie, ce que sa partenaire ne veut pas faire ou alors il n'ose pas lui demander peut-être parce que quelque part au fond il sait que ce n'est pas quelque chose que les femmes qui ont le choix choisissent de faire. Ca peut être de la sodomie, prendre des photos pornographiques sur son téléphone, deux filles, doubles pénétrations, fisting... bref vous voyez. Guidé par sa fascination pornographique, il divise les femmes en deux groupes : les madones et les putains. Il sort avec les madones, mais il pense que c'est son droit d'explorer d'autres pratiques sexuelles que la pornographie lui a montrées et il sait que pour les trucs plus désagréables, les prostituées sont la seule option.

Finalement, il y a le client qui peut, tout simplement. Il aime payer des femmes pour qu'elles couchent avec lui juste parce qu'il peut - c'est un shot de pouvoir pour lui. Il peut avoir des femmes, il n'est pas forcément laid, mais il jouit en sachant que s'il donne de l'argent à une prostituée, elle ne peut pas dire non. Il peut faire tout ce qu'il veut avec la prostituée et ensuite aller chercher sa petite amie et l'emmener dîner dans un restaurant cher, tout en souriant en pensant à ce qu'il vient de faire. Pour lui c'est un frisson.

En clair, les clients sont un groupe d'hommes qui n'ont aucune responsabilité. Ils veulent utiliser et maltraiter de la manière qu'ils veulent pour avoir leur orgasme, sans la moindre pensée humaine pour la femme qu'ils ont utilisée. La prostituée est au fond de la décharge, sujet de haine et de peur, objet de fable et de folklore. Elle est baisée, jetée et moquée. Le client a tout le pouvoir et il le sait. Qu'elle ait désespérément besoin d'argent est une évidence : c'est sa raison d'être là. S'il la viole et la bat et la laisse moitié morte, la loi ne viendra pas le chercher parce qu'en tant que prostituée, elle n'a aucun recours légal. Il est en sécurité sachant que même si elle essayait de parler, sa voix serait rejetée comme non crédible, hystérique, extrême. En fait, plus il la fait souffrir, moins elle a de chances d'être crue. Ca ne peut pas avoir été si affreux.

J'écris ceci de mon expérience des clients pendant que j'était une escort et dans un bordel. Les hommes variaient mais pas leurs raisons, pas leurs comportements. Être sous la coupe d'un proxénète était encore pire.

Richard Gere ? Pas le moindre espoir en enfer.

mardi 18 octobre 2011

Contradictions et cons tout court

Un petit texte rapide sur un autre article que j'ai trouvé ce mois-ci sur le site du Guardian. Cet article faisait référence à Anna Arrowsmith en tant que pornographe "féministe". Je suis désolée, mais un-e pornographe féministe, ça n'existe pas. Reformulons cela : une féministe qui maltraite les femmes. Vous voyez ce que je veux dire ? Ca ne marche pas. C'est comme dire un croyant athée, ou un rond carré.

C'est une contradiction.

La pornographie naturalise la soumission des femmes - elle les traite comme moins qu'humaines, et comme réclamant à être traitées comme moins qu'humaines. Les hommes y sont des agresseurs  : ils prennent, baisent, dominent et éjaculent dessus ou dedans pour montrer qu'ils en sont propriétaires, comme un chat pisserait pour marquer son territoire. Les efforts féministes pour avancer vers l'égalité des sexes, pour que les hommes et les femmes soient traités humainement comme des êtres humains, vont à l'encontre de ces maltraitances.

Pornographe féministe ? C'est un truc de cons.

vendredi 14 octobre 2011

Anna Arrowsmith : tellement ouverte d'esprit que mon cerveau vient de tomber

Mon attention a été attirée par un article du Guardian en ligne expliquant que la pornographie est bonne pour la société. Dedans, l'auteure (une femme) argumente en disant qu'il n'y a aucune preuve que la pornographie ait des effets délétères. J'ai laissé mes "deux cents" dans la section des commentaires pour ce que ça vaut, avec un peu d'appréhension (les défenseurs de la pornographie ont beau clamer être en faveur de la liberté d'expression, mais dans mon expérience ils ne reculent jamais pour dire à quelqu'un qui n'est pas d'accord avec eux de fermer sa grande gueule - prude ! conservateur ! bien-pensant ! vache frigide... bref vous m'aurez comprise). Je me prépare à un retour de bâton.

Que l'auteure, Anna Arrowsmith, une directrice de films porno, puisse être légèrement biaisée en faveur de la pornographie est difficile à contester. Qu'elle pose des affirmations radicales, comme des vérités, sur l'innocence de la pornographie, c'est un peu plus dur à avaler. Et en tant que survivante de la prostitution et de la pornographie, j'ai du avaler un bon paquet !

Evidemment, en lisant les commentaires, son point de vue est très populaire. Les hommes et les femmes qui jouissent en utilisant de la porno, sans trop réfléchir aux conséquences au-delà de leur orgasme, ne vont probablement remercier quelqu'un qui attire l'attention sur les dégâts que fait la pornographie. Mince, ça pourrait émousser les choses ou même les faire se sentir un peu mal, et la pornographie c'est fait pour se sentir bien après tout, non ? Rire un peu, jouir un bon coup, pas trop sérieux, tout va bien.

Comme si.

La pornographie fait des dégâts. C'est un fait. Dedans, les femmes sont des objets sexuels, un set d'orifices à acheter pour se branler puis à jeter. Les hommes qui s'y opposent sont vu comme "pas des vrais hommes", les femmes qui s'y opposent comme prudes ou jalouses. Ou anti-sexe. Dieu, ça me fait rire, ouais, évidemment, je suis contre la vente et la maltraitance de femmes pour faire des tonnes de fric pour une industrie qui les jette ensuite avec leurs problèmes de santé mentale et physique, donc je dois être une ennemie de l'empowerment sexuel et du sexe.

!!!

Les arguments mis en avant par l'industrie du sexe sont clairsemés et maigrichons, quand ils sont vus pour ce qu'ils sont. Une fois qu'on écarte la peur d'être insultés pour ne pas avoir supporté une industrie qui détruit les femmes, on peut commencer à parler. Mais plus que ça, on peut désigner quelques faits qui sont difficiles à contredire, contrairement aux doux rêves d'Anna Arrowsmith. L'argument mis en avant par l'industrie n'est que du vent, un énorme ventilateur là pour protéger un maximum de profit pour les business men derrière elle. L'industrie du sexe n'a aucune envie de promouvoir une vision saine et variée de la sexualité, elle a envie d'argent ! Elle est menée par le profit. Les proxénètes ne s'intéressent pas aux corps des femmes, ils s'intéressent aux nouveaux marchés de niche, toujours plus extrêmes. Double pénétration ? Double anale ? Fisting ? Tout ça fait mal. Mais ça fait surtout de l'argent, ça repousse les limites, ça a une longueur d'avance. La pornographie ce n'est pas la liberté d'expression : depuis quand un vagin ou un anus a une voix ? C'est l'exact opposé, un bâillon sur les voix des femmes qu'elle utilise et qu'elle fait souffrir. Elles ne peuvent pas dire : ça fait mal ! Elles doivent dire : j'aime ça, j'ai choisi d'être là, c'est si bon, baise moi plus fort, ou alors elles ne sont pas payées ou elles sont frappées par les proxénètes invisibles cachés dans la pornographie de l'autre côté de la lentille.

Je le sais : j'y étais. Les mots que je disais n'étaient pas mes mots, c'étaient les mots de mon ex, de l'homme qui me frappait et me violait et me vendait pour que d'autres hommes me photographient et me filment et me frappent et me viole. Être forcée à dire que j'adorais être abusée, que j'en voulais plus, a failli me tuer, et je ne parle pas au sens figuré. J'ai voulu mourir même depuis que j'en suis sortie.

Les femmes ne rentrent pas dans l'industrie du sexe parce qu'elles sont heureuses et bien dans leur peau. On arrive là-bas à cause de problèmes de santé mentale, de problèmes de drogue, de violence, d'abus vécus dans le passé... du désespoir. Et une fois que tu es dedans, c'est la descente aux enfers. Le traumatisme d'être vendue, d'être utilisée comme un pur divertissement, d'être maltraitée, d'être moquée et frappée et baisée et d'entendre qu'on l'a mérité, ça reste avec toi. Si tu es assez chanceuse pour t'en sortir, et ce n'est pas le cas de tout le monde, tu es laissée tellement abîmée, tellement scarifiée, que tu as le sentiment de ne pas avoir ta place dans le monde. Tu as l'impression que ta place était là-bas, même si tu détestes ça, que tu en es terrifiée. C'est le seul endroit où ils accueilleront une folle comme toi. Où que tu ailles, ils te disent que la prostitution n'est qu'un job, que la pornographie ne fait de mal à personne, ils refusent de t'entendre, ils te jugent (après tout tu as des problèmes de santé mentale maintenant, on écarte facilement tes discours, et puis  avec ce passé de toxicomanie, d'autodestruction...) et ils vous disent de partir. Même les soi-disant professionnels de santé mentale ne veulent pas entendre ton histoire.

Muette avant, muette maintenant. Jetable avant, jetable maintenant.
Parce que, comme l'article d'Anna Arrowsmith et la majorité des commentaires en dessous le montrent, la plupart des gens ne veulent pas écouter, ne veulent pas entendre l'insupportable vérité. La société demande que les individus puissent utiliser une femme, acheter une femme, se branler sur une femme et ensuite la replier pour la ranger dans le tiroir de la table de nuit, avec une boîte de mouchoirs et une conscience sans tache. Cet état de choses continuera tant qu'il y aura une peur de parler. Personne n'aime être insulté. Pour ma part, quand j'entends les défenseurs de la pornographie dire que les gens qui sont anti-porno sont fermés d'esprit, je dis : on a le droit de dire que certaines choses font des dégâts. La porno fait des dégâts. Nous devons poser une limite quelque part. Ou alors nous allons continuer à vivre dans une situation où nous sommes tellement ouverts d'esprit que nos cerveaux en tombent.

mardi 11 octobre 2011

Pas encore noyée

Quand la colère disparaît il reste un océan de tristesse. En vérité, j'ai fait de grands efforts pour éviter cette tristesse : je ne regarde pas de films tristes et ne lis pas de livres tristes, si je sens venir la fin de l'histoire je vais changer de chaîne, je n'écoute pas de musique classique. Je n'aime même pas les dernières saisons de séries : c'est bientôt la fin ! La rudesse de la tristesse, ma tristesse, sa profondeur et sa largeur sont immenses.

J'ai peur de m'y noyer.

Elle semble impossible à contenir, impossible à gérer, et ça me terrifie. Il est bien mieux, bien plus sûr, d'être en colère à la place. Evidemment, le problème est que pour rester clean et sobre, et pour essayer d'aller de l'avant, cette tristesse va devoir être examinée, vécue, et dite et pleurée. Comment la relâcher doucement, plutôt que de couler dans le déluge, là est la question.

Tout s'entremêle. Une chose en déclenche une autre : la mort de mes parents, l'horreur de l'addiction et de l'alcoolisme, le glissement insidieux dans la violence domestique, être prostituée, la violence du proxénétisme, le traumatisme et la fuite et la chute dans ma propre prostitution et la violence que j'y ai rencontrée.

Pour survivre, juste pour avancer, je me suis dit : je n'ai pas d'importance, ce qui se passe là n'a pas d'importance, rien ne me touche, ces gens et cette situation n'ont pas d'importance et moi je n'ai pas d'importance non plus. Maintenant que j'en suis sortie je dois résister à cette pensée. En réalité, quand je suis redevenue sobre, c'était parce qu'il y avait une partie de moi, une minuscule flamme qui a été assez forte pour dire alors que j'étais au plus mal : assez ! Je vaux le coup d'être sauvée. Je dois arrêter ou mourir ici, seule et terrifiée, juste une autre prostituée toxicomane de moins, juste une autre statistique.

Mais suivre cette nouvelle perspective magique sur moi jusqu'à sa conclusion logique continue d'être douloureux. Si j'ai de l'importance, alors ce qui m'a été fait a de l'importance, je ne peux plus grogner et dire que ces enfoirés ne peuvent pas m'atteindre, qu'ils ne me feront jamais souffrir. Le fait est qu'ils m'ont atteinte. Et qu'ils m'ont fait souffrir, incommensurablement. J'ai survécu à ça au mieux que j'ai pu en déniant mes ressentis mes ces émotions se mettent en rang pour être entendues, pour être ressenties et prises en compte et acceptées.

Je suppose que quand tu as poussé tellement de choses sous le tapis que c'en est devenu une montagne avec un tapis perché au sommet, il est temps de le soulever et de nettoyer un peu tout ça !

Effrayant mais nécessaire. La colère, canalisée positivement, est un grand conducteur dans ma vie, et je ne suis pas prête à lâcher ça. Mais je suis à ce point de départ avec la tristesse, avec l'honnêteté d'admettre que je souffre, et d'en laisser paraître un peu. D'être vulnérable. Aucun humain peut passer à travers toute cette merde et en sortir indemne. Je suis juste humaine. C'est une foutue souffrance. Mais je ne veux pas recommencer à boire ou à me droguer, et je veux trouver un peu de paix. Quoi qu'il en coûte, je dois avancer parce que retourner en arrière n'est tout simplement pas une option.

vendredi 7 octobre 2011

"Unwatchable", ou le voyeurisme hors de contrôle

J'ai entendu parler de la tempête que le film "Unwatchable" a déclenché quand mon thérapeute m'en a parlé. Inutile de dire que je ne souhaite aucunement regarder la reproduction du viol collectif d'une femme et de la violence hideuse exercée envers sa famille, montrés dans le but de faire parler des abus qui ont lieu dans le milieu de l'industrie du téléphone portable au Congo.

Ce n'est pas du tout parce que je pense que tout ça ne devrait pas être rendu public, et dénoncé et combattu. Je crois passionnément que là où il y a de la violence et de l'injustice, la vérité doit être dite et amenée à l'attention des gens, peu importe à quel point elle est insupportable. Ici en Occident, on reste trop souvent assis confortablement sur nos fesses complaisantes, à penser que tant que la vie est belle pour moi, alors je ne suis pas très intéressé par ce qui arrive aux autres. Nous vivons dans une culture du "moi". Même quand les choses qui nous procurent du plaisir apportent de la souffrance aux autres (la pornographie étant le principal exemple dont je parle ici dans mes articles), nous préférons une bonne vieille approche de l'autruche. Il faut qu'on nous mette mal à l'aise ! C'est seulement si je suis mal à l'aise que je vais me bouger de mon fauteuil et agir.

Mais pour attirer l'attention sur le viol et la torture, il n'est pas nécessaire de les reproduire. Tout ça me semble faire partie du même bon vieux schéma : les gens sont désensibilisés à la souffrance et à la violence, alors plutôt que de trouver des moyens plus créatifs d'exprimer la destruction engendrée par viol et la violence, on les montre simplement de façons encore plus graphiques. Et alors la barrière du "facteur choc" est repoussée de plus en plus loin et les images sur nos écrans deviennent de plus en plus sordides.

La vérité c'est que le viol est sordide. C'est destructeur, c'est blessant, c'est la perte fondamentale de quelque chose d'irrécupérable : soi-même. En tant que survivante de viols et de viols collectifs, je me sens perdue même pour moi-même, déconnectée, séparée de mon corps, trahie par lui. Incapable d'empêcher ce qui lui arrivait, je me retirais mentalement, je me dissociais. Mon corps restait, mais moi pas : j'étais là mais pas là, présente mais absente. Les viols et les violences sont restés une partie de moi, encore aujourd'hui : ils étaient ma réalité, c'était ma vie en tant que femme prostituée, accro à la boisson et aux drogues. Et il n'y a pas moyen de s'éloigner rapidement de tout ça. Tout le monde aime les happy end, ah comme on les aime ! Elle s'est enfuie, elle s'est désintoxiquée et elle vit maintenant une vie heureuse. Fin ! On peut passer à quelque chose d'autre avec la conscience tranquille.

Pas vraiment. Pas dans mon expérience, en tout cas. Guérir d'un traumatisme demande du temps et de l'aide, et guérir d'un traumatisme sévère demande beaucoup de temps et beaucoup d'aide.

Ce qui a été produit est une vidéo rapide, sensationnaliste, de violence sexuelle graphique (à même de déclencher des flash-backs pour les survivant-e-s de viol), une de plus dans la pile grandissante de matériaux sexuellement graphiques qui nous ressortent déjà par les oreilles. Cela a déclenché une réponse instantanée du type "horreur-choc-voici-à-quoi-ressemble-un-viol-collectif" qui va probablement très vite retomber comme un soufflé (nous verrons si le battage que ça a créé ira au-delà de la discussion à propos de la vidéo, pour aller vers une réelle action à long terme et des groupes de pression). N'est-ce pas toujours le même schéma avec les images choc ? Choqués, puis un peu moins choqués, puis on oublie comme d'autres images encore plus choquantes arrivent. J'ai vu une vidéo et j'ai été outré et j'en ai parlé, peut-être ai-je même signé une pétition, donc maintenant je peux m'en laver les mains et oublier... N'aurait-il pas été plus efficace d'attirer l'attention sur les dégâts psychologiques du viol ? Une conversation plus élargie que la tactique du choc visuel n'aurait-elle pas eu plus un impact durable, en faisant réfléchir les gens, déclenchant des discussions franches et utiles et de l'action, plutôt qu'une réponse réflexe ?

Pourquoi sommes-nous encore obsédés par le fait de regarder une femme être violée, plutôt que de parler à une victime de viol et entendre sa voix ? Pourquoi l'emphase est-elle toujours mise sur le corps nu et impuissant d'une femme, plutôt que sur la femme tout entière ?

Est-ce que ça ne serait pas un changement rafraîchissant de cesser d'être des voyeurs ?


Dans une société saturée par la pornographie hardcore, dans laquelle les femmes subissent de la violence de façon routinière, dans laquelle les clubs de lapdance où les femmes sont objétisées et achetées tous les jours sont considérés comme des plaisirs inoffensifs, où le strip-tease et la pornographie sont considérés comme des sources de pouvoir pour les femmes, en réalité rien n'est inregardable. Etant donné l'obsession de notre société avec l'objétisation du corps des femmes, une approche plus utile et plus inhabituelle aurait été d'entendre réellement la voix de la femme, sans s'attarder sur son image à la caméra, figée dans le temps, alors qu'elle est violée. Si les gens sont mal à l'aise vis à vis de ce film (et ils le devraient : ici je discute le fait qu'il y avait un meilleur moyen d'alerter sur ce problème, pas que ce problème ne devrait pas être discuté), peut-être devrions nous leur demander non pas pourquoi ils sont affligés par les réalités de ce qui se passe au Congo, mais plutôt pourquoi ils ne sont pas affligés par les réalités de ce qui se passe ici et maintenant, dans notre propre pays.


Une femme sur quatre sera victime de violences conjugales.

Chaque semaine, deux femmes au Royaume-Uni sont tuées par leur partenaire ou leur ex-partenaire.

Les taux de viol en font toujours une menace pour toutes les femmes.

Le taux de condamnation pour viol stagne à 13%.

Les sondages continuent de montrer que la majorité des gens, hommes et femmes, pensent que la victime de viol a un certain degré de responsabilité dans le fait d'avoir subi ce viol.


Notre culture est une culture du viol, c'est à dire, une culture dans laquelle les femmes restent inférieures, dans laquelle la pornographie de plus en plus hardcore devient de plus en plus dominante, et où on estime que c'est une bonne chose, pas du tout en contradiction avec la promotion d'une sexualité égalitaire. Les producteurs d' "Unwatchable" ne sont pas les seuls à comprendre que des tactiques plus choquantes que jamais sont requises pour s'attirer une audience. Les pornographes entrent dans un territoire de plus en plus extrême pour attirer les clients. Nous sommes désensibilisés. Le prix que les pornographes sont prêts à payer, c'est les dégâts faits au corps d'une femme quand elle subit des actes de plus en plus brutaux pour le frisson du payeur. Cela me frappe, si les gens qui ont fait cette vidéo étaient vraiment inquiets à propos des femmes, ils ne devraient pas prendre exemple sur les pornographes et se concentrer sur une représentation graphique de violence sexuelle encore plus extrême. Être un voyeur n'est pas suffisant. À la place, ce serait plus utile que les gens se tiennent aux côtés des personnes qui ont survécu aux viols, et qu'ils entendent nos voix.

Je ne peux pas parler pour chaque victime de viol, mais pour moi ? J'en ai assez des gens qui se tiennent là, à regarder, choqués ou non, quand les femmes se font violer et frapper. Nous avons besoin d'aide, et au-delà de ça, nous avons besoin d'une voix, nous avons besoin de compréhension, nous avons besoin de vivre dans une société où nous ne sommes pas blâmées pour avoir été violées à cause de ce que nous portions / avons dit / de notre comportement, une société où les gens arrêtent de nous voir figés dans le temps comme "la femme qui se fait violer" et où ils nous voient tout entières : notre histoire, comment nous en sommes arrivées là, nos espoirs et nos rêves. En clair, nous avons besoin de changement, ce qui ne peut vouloir dire qu'une seule chose. Action !

dimanche 25 septembre 2011

Lui ou moi ?

Je fais dois souvent faire face à la colère ces jours-ci. Très souvent. La colère est vicieuse. Une grande partie de moi me tient pour responsable quand les gens me traitent mal. Je sais, quelque part, à un niveau logique, que ce n'est pas vrai, que quand les gens agissent mal envers moi ou abusent de moi, c'est leur faute, leur responsabilité. Mais je ne le ressens pas. Je le sais mais je ne le ressens pas.

Le problème, c'est que ce qui se passe maintenant est rendu confus par toutes ces merdes venues du passé que cela fait resurgir en moi. Mon Syndrome de Stress Post-Traumatique est en surchauffe en ce moment. Ayant vécu avec un homme qui me cassait la gueule, et qui m'a vendue à d'autres hommes, et ayant rencontré encore plus de violence quand je me suis prostituée, je trouve que la colère - les cris, les silences lapidaires, le langage corporel agressif, et même le sarcasme - refait surgir tout ça. Je me détache rapidement, ou je m'évanouis. Je ne sais plus si la voix que j'entends appartient à la personne en face de moi, à mon ex ou à moi-même.

Je suis allée à l'IDAS (Independant Domestic Abuse Services) pendant un moment depuis que je suis sobre, et ils m'ont vraiment martelé et fait rentrer dans la tête que quoi qu'il arrive, tu ne peux pas pousser quelqu'un à te frapper. Chacun a le contrôle de ses poings. Je sais de ma propre expérience que quand je suis vraiment très en colère, je pourrais être violente si je le voulais ; je choisis simplement de ne pas l'être. Je me bats passionnément contre ceux qui disent aux victimes de violence, de viol, que c'était leur faute. Quand j'imagine n'importe qui recevant une telle violence, je peux voir que cette idée est complètement bidon.

Et pourtant quand il s'agit de moi, je n'en suis plus si sûre. Je suppose que cela tient au fait que j'ai tellement internalisé ce que mes abuseurs m'ont dit : que je l'ai mérité, que je suis la cause de tout ça, que je devrais me considérer chanceuse qu'ils aient été si généreux envers moi (quelle générosité, hein). Et avec toute la haine de soi et l'auto-destruction, c'est resté. C'est resté dans ma tête : c'est moi le problème. Je suis un putain de gros problème. J'attire les ennuis, je cause les ennuis, je prends de mauvaises décisions, nom d'un chien ce que je prends de putain de mauvaises décisions. J'envoie les mauvais signaux et je pousse les gens à me frapper. Je me fais tout ça à moi-même.

Les jugements que j'ai reçus de la part de professionnels au cours de la violence sont restés aussi. Ma faute ! Je devrais tout simplement le quitter. Je ne compte pas de toute façon, je ne suis qu'une alcoolo. Après une autres discussion avec la policière, je me souviens avoir dit "vous pensez vraiment que je veux aller au tribunal et être déchirée en lambeaux par le conseil, parce qu'avec mes problèmes de drogues, mon historique de santé mentale et avec la façon dont notre système traite les victimes de viol et de violence conjugales, je n'ai pas le moindre espoir là-dedans". Même s'il était condamné, à quel prix ? Ma honte et ma faiblesses affichées pour que tout le monde puisse les voir et les juger. Cela m'aurait détruite.

Et je me souviens que la policière a dit, et s'il fait la même chose à quelqu'un d'autre ? Et que j'ai pensé que ça ne servait à rien d'essayer de répondre à ça. S'il le fait à quelqu'un d'autre, ce sera sa faute, pas la mienne. Je ne suis pas une sorte de complice, responsable de lui d'une manière ou d'une autre. Merde, je ne peux même pas arrêter ce qu'il me fait à moi toute seule, alors m'interposer pour sauver quelqu'un d'autre...

Alors j'ai pensé, comme je le pense maintenant, quel système pourri. Et quels dégâts faits par cette perception erronée. Et voilà où j'en suis, quatre ans et demi de sobriété, et essayant de travailler à prendre soin de moi, à ne pas me haïr, à rassembler les lambeaux de ma personne, et j'entends une voix dans ma tête qui me dit que si cette personne m'abuse, ici et maintenant en 2011, c'est ma faute ! Une grande partie de moi me méprise toujours, me blâme toujours. Progression lente. Mes différents fragments, les effets de bords de la dissociation, du détachement à cause du trauma, me disent des choses différentes. La voix qui est là à un moment donné, la personne que je suis au moment où le déclenchement a lieu, dictent ma réponse. Ma faute - pas ma faute. C'est lui la merde - c'est moi la merde. Son problème - mon problème. Je mérite d'être aimée - je mérite d'être frappée.

Je ne dors pas, ce qui n'aide pas. Je me sens coincée dans le passé. Et confuse, tellement confuse avec l'enchevêtrement de pensées, avec les fragments. Pourtant, je reste clean et sobre, donc je suppose que c'est un progrès. Toute cette histoire d'esprit/corps met un peu plus de temps à avancer.

samedi 10 septembre 2011

Faire ou ne pas faire confiance


En ce moment je bataille vraiment avec la confiance. C'est le genre de chose qu'on ne remarque pas dans ses interactions avec les autres jusqu'à ce qu'elle disparaisse et qu'on se retrouve à avoir l'impression que toute cette histoire de communication avec les autres, d'interaction avec les autres, est un labyrinthe et un cauchemar. Sur le chemin de la guérison, par un énorme effort conscient de ma part, ma capacité à faire confiance a augmenté un petit peu. Jusqu'à ce que je commence une thérapie, ma confiance était détruite. Je ne faisais confiance à personne, homme ou femme. Je me sentais vendue, trahie, pas seulement par les hommes qui abusaient de moi mais par le système tout entier, la façon dont notre société tout entière s'est blindée pour rester aveugle à toute cette maltraitance et pour la classifier comme un divertissement. J'étais en colère contre cette vision de classe moyenne dans laquelle j'ai été élevée, qui m'avait laissée tellement complètement sans défense face à ce qui m'est arrivé, au point de n'avoir même pas le vocabulaire pour le décrire. Prostituer. C'est un mot qui ne m'est venu que deux ans après être redevenue clean et sobre. Mon ex m'a prostituée. Sur le moment, avec la peur et à travers la brume des drogues et de mes blessures à la tête, je n'aurais pas pu dire ce qu'il était en train de se passer. En fait, j'ai largement perdu ma capacité à parler tout court. Viol. En voilà un autre. Je crois que comme beaucoup de gens j'ai grandi en croyant que le viol était quelque chose que seuls des étrangers pouvaient commettre. L'idée qu'un partenaire puisse me violer, et ce fréquemment, ainsi qu'un cercle d'autres dont certains m'étaient familiers, était tellement hors de ma sphère de compréhension que je ne pouvais pas l'intégrer. C'est un mot que je ne peux toujours pas dire à voix haute. Je pourrais peut-être à la limite dire "m'a forcé à avoir une relation sexuelle".

Les professionnels que j'ai rencontrés au milieu de tout cela ont renforcé cette confusion, et multiplié mon sentiment de honte. Pendant les rares visites que j'ai faites à l'hôpital avec des blessures, on m'a clairement fait comprendre que c'était ma faute. J'étais traitée avec suspicion et une hostilité palpable - "elle retourne le voir". Les gens parlaient de moi comme si je n'étais pas là, et je n'essayais même pas de comprendre. Il était dans ma maison, et mon argent était engagé dans ma maison, et j'avais peur et j'étais perdue et je me battais contre une addiction au-delà de mon contrôle. Je ne comprenais pas pourquoi tout ça se passait, je ne savais pas quoi faire. Ayant été élevée dans l'idée de confiance envers la profession médicale, je ne savais plus où me tourner.

Quand je suis devenue sobre, j'ai réalisé que pour le rester j'allais devoir faire les choses un peu différemment. J'entendais les autres gens partager leurs sentiments, et avec l'aide de quelques bonnes personnes autour de moi j'ai commencé à donner un sens à ce que je ressentais. Au début de la guérison, j'avais l'impression que je ne pouvais pas aller plus loin que de penser "bleurk". Des années à enterrer les émotions, à me diviser, m'assommer et me détacher ont rendu difficile le fait d'accepter la moindre émotion et de faire avec. Elles menaçaient de me noyer. Identifier et nommer les émotions - colère, peur, tristesse - a pris du temps.

Mais il restait, même après que j'ai commencé à devenir plus ouverte et plus honnête sur ce que je ressentais, de larges morceaux de ma vie dont je ne pouvais tout simplement pas parler. La violence, la prostitution, le fait d'avoir été filmée lors de ces abus, restaient pour moi indicibles. C'est une des raisons qui m'a fait commencer ce blog en 2009 : comme je commençais à pouvoir mettre en narration ce qui m'était arrivé, comme de plus en plus de choses me revenaient, j'ai réalisé que tout ça devait aller quelque part, ou alors je deviendrais folle. Incapable de le dire à voix haute, et ne faisant pas confiance aux autres en matière de ce poids pour moi, j'ai choisi d'écrire et de mettre tout ça ici. J'avais une voix, mais sans visage je pouvais être honnête sans devoir faire avec les réactions d'autres gens envers moi, envers ça.

J'ai parfois réussi à parler un peu de tout ça. J'ai vu un thérapeute pendant un an et j'ai commencé à essayer d'en parler un peu. C'était incroyablement rude, incroyablement douloureux. Il y avait de longs silences et j'avais peur de m'évanouir ou de vomir. Et j'avais peur de sa réaction. Comme c'était ma première année de guérison, je me battais encore pour trouver le vocabulaire qui convenait. Les tentatives de m'ouvrir un peu aux autres gens ont été beaucoup moins réussies. J'ai découvert que même avec des gens décents, des gens que je compte dans mes amis, leur vision du monde n'a tout simplement aucune place pour ce qui m'est arrivé. Dans une société saturée par la pornographie, qui prend à la légère la violence contre les femmes, et qui quand une femme est violée ou battue, tend à dire "oui mais bon, elle est retournée le voir / elle lui a envoyé les mauvais signaux / elle l'a trompé / elle avait bu / elle l'a allumé", il est difficile de savoir où aller quand tu luttes avec les effets secondaires de la maltraitance. Les femmes sont, dans mon expérience, tout aussi dures dans leur jugement, et tout aussi capables d'être du côté de l'agresseur.

Cette année, j'ai perdu mon dernier parent. Cela a fait une grosse différence dans ma capacité à faire confiance. J'ai vraiment fait un pas en arrière. Parce que nous ne sommes pas très bon en matière de mort dans ce pays, j'ai eu des réactions négatives à ma perte, certains de mes amis se sont mis à m'éviter (c'est leur problème, je sais, mais c'est quand même douloureux), certains ont fait des commentaires du genre "et bien tu n'as qu'à faire avec, c'est la vie" (je sais ! qu'est-ce que tu crois que je suis en train de faire ?), ce qui peut se traduire par "n'en parle pas, s'il te plaît" et cela a enflammé ma méfiance totale. Je ne fais confiance à personne. Mon allié le plus proche à cet instant est mon chien.

Ce qui me laisse dans le pétrin, puisque de toute évidence ça ne va pas fonctionner ; je dois faire confiance aux autres pour rester sobre, mais c'est vraiment difficile. J'ai peur et je suis seule et tellement perdue, je ne me fais même pas confiance pour choisir les bonnes personnes à qui parler. Je viens tout juste de recommencer une thérapie, ce qui est positif, et je dois me battre contre tous mes instincts défensifs pour réellement le laisser m'aider. Je veux être proche des gens, je veux aimer et être aimée, mais je ne suis pas sûre de savoir encore comment faire ça, ce qui me rend tellement triste que je pleurerais si je m'y autorisais. Je suppose que je vais devoir "faire comme si" et juste essayer d'être honnête, à l'encontre de tous mes instincts. En vérité, j'ai dû me débrouiller toute seule pendant beaucoup trop longtemps par le passé, à me battre, et je suis fatiguée, et je ne crois pas que je peux continuer comme ça.

Je dois faire un grand saut maintenant. J'espère juste atterrir sur la terre ferme, pas dans la merde.

dimanche 28 août 2011

Le fantasme du fantasme

Je trouve ça vraiment bizarre quand les femmes qui sont utilisées dans la pornographie sont appelées des "actrices". Cela me frappe comme un nom très mal approprié. Même s'il est vrai qu'on leur donne souvent des lignes à répéter devant la caméra ("baise moi plus fort", "c'est tellement bon" en étant le matériau de base), et qu'on leur dit de sourire comme si elles aimaient ça, le rôle d'actrice s'arrête là. Ce qui est fait est en réalité fait à la femme. Ce n'est pas comme n'importe quelle autre émission où tu regardes des actrices et des acteurs prétendre souffrir. Prenez Casualty par exemple, ou Midsomer Murders. C'est noter l'évidence que de dire que quand le rôle implique de la violence envers le personnage ou qu'on lui fait du tort, que ce soit un accident de voiture dans Casualty ou une victime de meurtre dans Midsomer Murders, cette violence n'est pas réellement faite, n'est pas réellement perpétrée contre l'acteur ou l'actrice. Cependant, quand, dans la pornographie, vous voyez une femme se faire baiser, elle peut bien répéter ses lignes mais l'expérience est réelle, c'est quelque chose qui lui arrive à elle, qui lui est fait à elle. C'est réel. La pénétration, les éjaculations, l'agressivité, sont son expérience. Les pratiques qui sont de toute évidence douloureuses et celles qui le sont de façon moins évidente, elles la font souffrir. Pas de faux sang ou de faux bleus ici, pas de fausses parties du corps fabriquées minutieusement pour subir l'impact des actions. Tout ce qui est fait est fait à elle, fait à elle pour faire de l'argent pour lui, fait pour votre consommation, pour votre plaisir. Son expression de souffrance est réelle.

L'argent qu'elle reçoit (après que son maquereau ou son "agent" a pris sa part) ? Et si il exprimait tout simplement le fait que les femmes doivent être payées pour accepter d'être traitées ainsi ? Ou que les hommes qui nous contrôlent doivent être payés pour notre utilisation. On ne fait pas ça parce qu'on aime ça, comme les proxénètes et les pornographes veulent vous le faire croire, on le fait parce qu'on a besoin d'argent, que ce soit pour de la drogue ou de la nourriture, et nous ne voyons aucun autre choix, ou parce qu'ils veulent l'argent, nos proxénètes veulent l'argent et on va avoir des problèmes si on refuse. Les femmes utilisées dans la pornographie ne viennent généralement pas des milieux les plus heureux. Nous sommes abîmées, et dans la pornographie nous sommes encore plus abîmées.

Les risques et les dégâts faits sont graves. Le sexe sans protection avec de nombreuses personnes ayant des relations sexuelles sans protection avec de nombreuses autre personnes est dangereux, avec ou sans dépistage. Le VIH et l'hépatite B ne sont que quelques unes d'une armée de maladies transportées par le sang et les fluides. Les relations sexuelles brutales prolongées, qu'elles soient vaginales ou anales, ou l'insertion d'objets peuvent conduire à des dommages internes et des saignements, des infections urinaires, des descentes d'organes, des fissures et autres problèmes à long terme. De nombreux actes parmi les plus "hardcore" sont des expressions non déguisées d'agressivité.

Mettez vous à sa place pour un moment si vous les voulez bien. Elle est blessée, elle est humiliée, par un homme ou plusieurs, pendant que quelqu'un filme tout ça. Alors qu'elle est en souffrance physique, on la traite de putain, de salope, de pouffiasse, et on lui dit qu'elle aime ça. On lui dit de dire qu'elle aime ça - "baise-moi plus fort" "rentre-moi dans le cul". On lui fait dire qu'elle aime être maltraitée. Ils rient d'elle, des dégâts faits à son corps - "elle va bientôt devoir porter des couches !". Imaginez être à sa place, ouverte pour la caméra, nulle part où se cacher, pour le plaisir d'un tas de mecs qu'elle n'a jamais rencontrés, qui paient les hommes qui lui font ça, qui vont eux aussi rire des dommages qui lui sont faits et orgasmer sur sa souffrance.

Pas très bon pour la tête, hein ? Ni pour le corps. L'expérience physique de la souffrance d'être utilisée dans la pornographie n'est égalée que par la souffrance mentale. Les taux de Syndrome de Stress Post-Traumatique, d'abus de drogues et d'alcool, et de suicide, dans la prostitution et la pornographie, parlent d'eux-mêmes. Problèmes de confiance, problèmes de corps, dissociation, pulsions auto-destructrices, toxicomanie... etc. Le "glamour" de "jouer" dans la pornographie continue, il ne s'en va pas en se frottant un peu dans la douche. Les cauchemars commencent, les flash-backs commencent.

Impuissante pour te sortir de cette situation, tu fais la seule chose que tu peux faire pour te débrouiller, pour survivre, pour passer à travers. Quand la souffrance est insupportable, la peur est insupportable, la dégradation est insupportable, tu te divises. Ton corps ne semble plus être le tien, tu n'es même pas à l'abri dedans, et leurs mots sont dans ta tête, ils sont dans ta tête. Aucun endroit n'est sûr alors tu vas dans aucun endroit, une sorte d'anesthésie déconnectée qui te fait passer au travers des événements parfois. Quand je ne peux pas y arriver volontairement, je me mutile ou je bois ou je me drogue. J'essaye d'oublier, j'essaie de maintenir quelques lambeaux de ce moi, tel qu'il était, malgré tout ce qui m'arrive.

Sur le chemin de la guérison, je me retrouve souvent déconnectée, parfois de façon plaisante mais la majorité du temps cela m'effraie, je me sens coincée en dehors de mon corps et il n'y a pas moyen de revenir. Chaque mouvement que ce corps fait semble être un effort immense, comme s'il fallait consciemment tirer les cordes d'un pantin une à une. Je me sens fausse car je ne sais pas qui je suis, qui Angel est, lesquels des lambeaux et des fragments et des voix qui s'opposent sont moi. Le désespoir ou l'espoir, l'optimisme et le pessimisme, le dur et le doux, le froid et le chaud. Ce que vous obtenez quand vous me rencontrez dépend largement de quelle partie de moi est dominante à ce moment là. Je progresse lentement à ma propre intégration et à cet instant j'ai l'impression d'être revenue en arrière. Fais leur confiance - ne leur fais pas confiance ! Sois honnête - ne montre rien ! Je suis importante - je n'ai aucune importance ! Je vis dans une zone de guerre et c'est épuisant et terrifiant. Je ne sais pas qui je suis, et cela me rend triste et perdue.

Mon expérience d'avoir été utilisée dans la pornographie a été celle d'un traumatisme extrême et persistant.

Alors je ne suis pas une professionnelle de la santé mentale, mais je parie que l'actrice qui était dans cet accident de voiture dans Casualty est rentrée chez elle avec une fiche de paie, rien de plus. Les "extras" avec lesquels une "actrice" porno rentre chez elles - traumatismes physiques et mentaux - la rendent différente de cela. La pornographie n'est pas un fantasme, n'est pas un jeu d'acteurs - elle arrive aux femmes et blesse les femmes. Au lieu de cela nous devrions la voir pour ce qu'elle est - mensonges et maltraitance. Les femmes dans la pornographie sont la décharge à ordures pour nos imaginations perverses, utilisées et jetées pour notre plaisir, tout en bas de la pile dans une série de relations de pouvoir inégales.

Actrices ? Mon cul.

vendredi 27 mai 2011

Comedy Club Central

Je lisais une interview de Larry Flynt l'autre jour (The Independent, 27 mai 2011). L'homme qui clame avoir perdu sa virginité à l'âge de neuf ans en baisant un poulet (le laissant ensanglanté et criant - il l'a tué après). Il semble avoir passé le reste de sa vie à avoir à peu près la même attitude envers les femmes à travers son magasine, Hustler. C'est le magazine qui a dépeint une femme subissant un viol collectif sur une table de billard, qui a montré des rats sortant de vagins de femmes, qui a montré une femme rasée de force, violée puis tuée dans un camp de concentration. Pour n'en nommer qu'une petite partie. Critiqué pour l'incitation au viol collectif d'une femme sur un billard à New Bedford, Hustler a sorti des cartes postales montrant une autre femme subissant un viol collectif sur une table de billard avec l'inscription : "Meilleurs voeux de New Redford, Capitale du Viol Collectif en Amérique". La réaction de la victime du viol n'a pas été notée, mais ça a fait rire Flynt et semble avoir satisfait ses "lecteurs".

Ce type est devenu salement riche en publiant de la haine à l'encontre du corps des femmes et en encourageant les gens à en rire et à se branler dessus.

Comment de telles images ont-elle pu en venir à être légalement défendables comme de la "liberté d'expression" ? Depuis quand un vagin torturé est-il capable de parler ? Comment le viol et la torture, l'absence complète de libre arbitre et de choix, peuvent-ils être célébrés comme une liberté, une liberté pour laquelle on se bat ? Pourquoi les gens voudraient-ils se rallier à l'appel d'un tel homme et venir à son aide ?

Qu'est-il arrivé au droit des femmes à ne pas être violées, à ne pas être humiliées et couvertes de honte et torturées et utilisées pour divertir les autres ?

Voulons-nous vraiment encourager les gens à rire de ça, à être sexuellement excités par ça ? Ressentiriez-vous la même chose, pourriez-vous ressentir la même chose si votre fille, votre soeur était utilisée dans un de ces photoshoots ? Vous penseriez toujours que ce mec est un héros, un guerrier de la liberté d'expression, et pas juste un homme blanc trop gras qui se fait du fric et qui se fait jouir en dégradant les femmes, en vendant des femmes ? Et que dire de "Chester le Violeur", les cartoons qu'il a publié à propos des exploits d'un pédophile, jusqu'à ce que le mec qui les dessinait pour lui soit arrêté pour pédophilie ?

Est-ce que quelqu'un est encore en train de rire ?

La pornographie n'est pas dans une bulle. Ce qui y est acceptable, les attitudes envers les femmes qui y sont promues, vont avoir un impact sur la façon dont les gens qui l' "utilisent" (se branlent dessus) regardent les femmes dans la vraie vie. Et pourtant en tant que société nous choisissons volontairement de tourner le dos à cette insupportable vérité et on s'en débarrasse, tout doute étant immédiatement remplacé par un orgasme rapide et un changement de chaîne mental.

Il est peut être temps de relier les points.

mercredi 30 mars 2011

Souvenirs, mais pas de la vallée du clair de lune

Alors voici le problème auquel je me retrouve confrontée encore et encore : comment vivre avec ces souvenirs et ces images horribles qui sont gravés dans mon cerveau ? Je suis clean et sobre, cette semaine cela fera quatre ans.

Les images sont toujours là.

Si j'avais espéré que sortir de l'addiction et de suivre un programme serait une façon d'effacer magiquement toute cette merde je serais très déçue. La sobriété m'a rendue capable de me sortir de cette situation, et chaque jour sobre ajoute un peu de distance temporelle de tout ça. Mais la phase que je trouve difficile est la phase suivante : l'opération de nettoyage. Un oiseau de mer couvert de pétrole qu'on a sauvé de la noyade ne va pas survivre si on se contente de le sortir de la mer et de le lâcher sur la plage, couvert de toxines, sa chaleur s'échappant à travers ses plumes souillées. Similairement, m'être simplement échappée de la prostitution, même dehors et clean et sobre, n'est pas suffisant pour que je survive réellement à moins de pouvoir retirer de mon système toutes ces choses toxiques qui me sont restées de ces années de maltraitance et de vente. J'ai passé les quatre dernières années à essayer de trouver comment faire ça parce que tant que je n'aurai pas réussi à changer ça, ça reste toujours là, à m'étouffer, menaçant de m'engouffrer parfois quand c'est particulièrement difficile.


C'est mon talon d'Achille.

Juste pour clarifier : la sobriété me donne énormément. Chaque jour je suis reconnaissante d'être en guérison, hors du danger physique, de ne pas passer les fêtes annuelles dans la terreur et la honte et la dégradation d'être toxicomane et dans la prostitution. Une des nombreuses choses que la sobriété me donne est une chance d'essayer de trouver un moyen de sortir tout ça de moi.

L'idée de raconter tout ça à voix haute, de nommer les choses, de mettre des mots sur les images et de les partager avec un autre être humain me fait peur. Mais l'idée de ne pas le faire, et de continuer avec tous ces trucs s'entrechoquant dans ma tête, affectant toute ma vie, est encore plus terrifiant.

Il est temps de me jeter à l'eau.

C'est incroyablement difficile de retrouver la vérité de ce qui se passe réellement dans ta vie au moment présent quand le passé intervient et mélange tout dans un énorme noeud épineux. Chaque interaction, chaque réaction, est expliquée par mon passé.

Je crois que je lutte pour me sentir connectée à la vie "normale", bien que je suive le mouvement. Je ne sens plus rien d'autre. Rien ne dévaste la confiance ou l'intimité, rien ne divise quelqu'un autant que l'expérience de la pornographie extrême - être forcé à la regarder et à en performer - et la violence. Quand des gens ont piétiné toutes tes limites, c'est difficile de ne pas créer ensuite des limites physiques et émotionnelles partout pour rester en sécurité. Plus personne ne me fera souffrir ! Ils ne peuvent pas rentrer, ils ne peuvent pas s'approcher. Mais tu ne peux pas non plus sortir. Tu es piégée. Tu ressens la perte et la solitude, sachant ce que tu sais. Les images dans ta tête te rappellent d'où tu viens, ce dont les gens sont capables, où ces choses mènent, ces choses dont tu vois les gens rire et faire des blagues, que tout le monde défend comme inoffensives. Parce qu'ils ne peuvent pas, ne veulent pas se rendre compte des dégâts, les dégâts faits par la pornographie, les dégâts faits par la prostitution - ils ne veulent pas te voir. Ton expérience te rend invisible.

Ils ont changé le langage, tu vois ? Si quelque chose est inoffensif, et si cela tient du droit d'une femme de pouvoir le faire, alors il est évident que cela ne peut pas faire de victimes. Si tu es une victime du jeu de langage et d'un système qui nie aux femmes leur dignité humaine en réduisant au silence les victimes du système, les exploitées, et qui place dans leurs bouches les justifications des proxénètes et des pornographes - elle aime ça, elle a choisi, elle est responsable de ce qui lui arrive. Fin de la discussion, pas d'exceptions. Les femmes qui diront des choses qui défendent l'industrie du sexe sont autorisées à rester, courtisées par leur culture, payées pour raconter leurs histoires "coquines" dans les magazines féminins et dans les émissions télévisées.

Les femmes qui racontent une histoire différente sont des parias. Non seulement as-tu été abusée, mais on te dit que tu ne l'as pas été, que ce qui s'est passé était normal, un simple divertissement pour adultes. Je dois vous le dire, être utilisée et abusée comme un divertissement est inhumain.

Les gens qui disent "passe à autre chose" prononcent une malédiction. Je veux leur crier "comment, exactement ?" mais je ne le fais pas parce que souvent ces gens veulent juste dire ferme ta gueule et vis ta vie, ce que je fais : je suis clean et je suis sobre et je vis ma vie. Le fait que je sois suicidaire à cause de tout ça et que je lutte avec mon syndrome de stress post traumatique jour après jour est un sujet de profonde indifférence pour eux tant que tout a l'air normal vu de l'extérieur.

Mais je refuse de fermer ma gueule.

Pour moi, les images restent, les souvenirs restent, réapparaissant dans mes rêves, et déclenchés dans la vie de tous les jours, souvent sans avertissement. Guérir demande de la clémence et la possibilité d'être crue quand on parle de son histoire. Pour l'instant, notre société n'offre pas cela aux survivants de l'industrie du sexe.

samedi 5 mars 2011

Une main pour aider ou pour frapper ?

L'autre jour, quelqu'un m'a demandé comment parler à une vieille amie qui avait travaillé comme prostituée. Elles avaient perdu contact pendant un moment mais maintenant, avec le contact ré-établi, elle semble distante, incapable d'accepter amour et gentillesse. Elle semble être en déni de ce qui lui est arrivé en tant que prostituée.


D'un certain côté je suis bien placée pour donner un point de vue là dessus, mais de l'autre je suis un peu perdue. Je peux m'identifier à la femme en question, mais je ne sais pas toujours ce dont j'ai besoin, ce qui m'aiderait à avancer. Parfois il est difficile de savoir, quand quelqu'un tend la main, si c'est pour t'aider ou pour te frapper, en particulier quand les expériences passées de mains tendues avaient plutôt à voir avec le second cas.

Je peux toujours être très méfiante envers les gens, les hommes en particulier, qui professent la moindre affection envers moi, et encore plus s'il s'agit d'une inclination romantique. Tu t'habitues à ce que les clients te sortent des phrases bidon pour arriver à leurs fins. Ma première pensée peut toujours être, tu n'obtiendras rien de moi, connard. Evidemment, ce n'est pas une attitude qui conduit à de super relations, donc ça peut mener à une certaine solitude. Parfois, quand les choses vont bien, je peux faire un effort conscient pour éviter de penser comme ça. Mais inévitablement si je suis fatiguée, ou effrayée, ou que j'ai mal, ce sera comme ça par défaut. Les murailles s'élèvent.

S'autoriser à être vulnérable devant quelqu'un est un acte incroyablement courageux, en particulier si les gens t'ont fait souffrir par le passé et ont joué de tes faiblesses. Positivement dangereux. Mieux, toujours mieux, d'apparaître dur et insouciant et insensible. S'ouvrir, et être honnête, requiert de la sécurité, de la réassurance, et du temps. J'ai vu mon conseiller pendant 6 mois avant de commencer à m'ouvrir à lui. Je devais être aussi sûre que possible qu'il ne me ferait pas de mal, être sûre de son intégrité, de son professionalisme, son implication. Je l'ai testé pour vérifier le moindre indice de jugement ou d'assomptions sur moi pendant très longtemps, et même après tout ce temps, et dans cette situation, je doutais encore, et je ne me sentais toujours pas en sécurité. Le fait que son attitude envers moi reste cohérente tant avant que je m'ouvre que quand j'ai commencé à laisser échapper quelques fragments, m'a permis de continuer. Il n'y a rien de plus rebutant que quelqu'un qui te pousse vraiment à parler avant que tu te sentes prêt, ou que quelqu'un qui te fait taire ou qui ne veut pas comprendre quand tu finis par parler. C'est un parcours de funambule.

Je n'aurais pas pu me presser pour parler de mon passé, en partie parce que retrouver mes émotions après avoir essayé de les effacer dans la prostitution et la toxicomanie a été un processus lent. Et ensuite, avoir les mots et les dire à voix haute sont deux choses différentes. J'avais peur qu'en disant ces choses, cela les rende réelles. Je devrais me rendre compte que ces choses douloureuses et horrifiantes étaient vraiment arrivées, et ensuite devoir faire face non seulement à sa réaction, mais à la mienne aussi.

Je n'étais pas sûre de pouvoir supporter ça. Porter un regard adapté, sobre, à ce qui m'était arrivé était une perspective terrifiante. Mon esprit et les drogues et l'alcool avaient réussi à m'anesthésier suffisamment pendant que ça se passait pour avancer à travers tout ça, de justesse. J'ai réussi à me distancier de mon corps au point de n'avoir plus l'impression qu'il s'agissait de moi. Mais désormais en regardant mon passé, je pouvais ressentir tout ça. Mon corps est passé de l'engourdissement aux tremblements et à la douleur, avec les flashbacks et les souvenirs. Muscles tendus et vacillant. Parfois je vomissais.


J'avais l'impression que si je parlais, les émotions pourraient me submerger et je ne pourrais pas y faire face, je ne m'en tirerais pas. Je ferais quelque chose de stupide et foutrais à nouveau ma vie en l'air. J'avais l'impression que je ne pouvais pas regarder un autre être humain dans les yeux et dire ces vérités, ces vérités si dures, à voix hautes. Je pensais qu'il me haïrait. En tout cas je me haïssais. Je pensais qu'il me jugerait, et qu'il dirait que j'avais aimé ça, comme le disaient mes agresseurs. Je pense que le pire pour moi était l'idée que je peignais dans la tête de cet homme des images de moi, des images horribles dans lesquelles j'étais nue et impuissante et humiliée et utilisée comme un pur divertissement. Je me sentais comme s'il pouvait les voir réellement. Parce que je me sentais comme si j'étais vraiment de retour là-bas, il était difficile de me dire qu'il n'était pas en train de regarder comme les autres hommes. J'avais aussi peur, au fond, qu'il ne me croie pas. Mon ex mettait constamment cette peur dans ma tête, et je peux encore me cogner dedans si je ne fais pas attention.

Le déni est quelque chose de sournois. Pour survivre en tant que prostituée, il est nécessaire de construire une toile de mensonges, même à soi-même. Si tu ne dis pas que ce sera différent demain, si tu ne te dis pas que tu t'en fiche, que ça n'a aucune importance, que ça ne te touche pas, peut-être même que tu l'as choisi, alors comment peux-tu te lever le matin et faire face aux clients encore et encore. Pour survivre en étant vendue et enfoncée et tripotée et baisée et quand les acheteurs te disent et te forcent à faire des choses dégoûtantes, humiliantes, tu es obligée de transformer cette expérience, et si tu ne peux pas changer ce qui t'arrive physiquement, tu essaies de changer ta perception de tout ça dans ta tête, te distancier, te séparer. Ton corps est en train d'être baisé mais tu t'accroches au déni - je ne suis pas vraiment là, ce n'arrive pas vraiment, ils peuvent faire ce qu'ils veulent à ce corps mais ce n'est pas moi. Essayer de rassembler les morceaux fragmentés de moi en guérison continue d'être un processus lent et douloureux, parce que cela signifie que l'inacceptable m'est arrivé à moi, m'a fait souffrir moi.


Cela fait quatre ans et parfois je me retrouve encore vidée de toute positivité et de toute chaleur, de toute connexion. Je me sens séparée de moi-même et des autres gens, froide, malveillante et capable d'une auto-annihilation complète. Il y a une très forte pulsion à l'auto-destruction et à la destruction de tout ce qui a pu signifier quelque chose pour moi. On dirait que quelqu'un a versé de la glace dans mes veines et débrancher mon coeur. Je veux éloigner les gens, même si je sais qu'une fois tout ça passé je le regretterai.

Ces épisodes apparaissent quand quelque chose me "déclenche" et me renvoie dans le passé. Je crois qu'en dessous de cette sauvagerie se trouve un monde entier de souffrance et de douleur et plus de perte et de tristesse que j'aurais cru cela possible avant que je fasse l'expérience de la violence et de la prostitution.

J'espère qu'il y aura toujours des gens qui prendront le temps et auront la patience de passer au delà des dégâts pour accéder à la femme à l'intérieur. Je me sens privilégiée que quelqu'un m'ait demandé conseil. Parfois il est difficile de savoir ce qui aiderait, ou si on est dans la position d'essayer d'aider quelqu'un qui est sorti de la prostitution, comment l'aider. Je suppose que je vais simplement dire qu'un peu d'amour et de patience font beaucoup de choses.

mardi 1 mars 2011

La méprisable

J'écoutais la radio l'autre jour et on parlait d’un soldat qui a tiré sur deux de ses camarades, après une beuverie, à cause de son syndrome de stress post-traumatique. Ils parlaient de la façon dont le SSPT peut faire revivre à la victime les traumatismes passés. Leurs moqueries avaient apparemment réactivé chez lui l'expérience d'être la cible d'attaques dans une zone de guerre. Alors, il les a tués.

J'ai reçu un diagnostic de stress post-traumatique il y a quelques années en raison des abus dont j'ai souffert comme prostituée et comme femme battue. Je me souviens de mon thérapeute me disant que des soldats en souffrent souvent, et que les gens qui souffrent de traumatismes graves peuvent aussi le développer. Les symptômes comprennent des flashbacks, des cauchemars, et des déclencheurs.

J’ai tous ces symptômes.

Mais ce que l'expert a déclaré à la radio, et qui a vraiment attiré mon attention, était que les soldats qui ont été dans un conflit armé, ont des difficultés à se réadapter à la vie civile ensuite, restant avec toutes ces images horribles des atrocités qu'ils ont pu voir, imprimées dans leur esprit. Et ils voudront peut-être retourner au service actif et dans un cadre de combat, parce qu'il y aura autour d’eux d'autres hommes qui ont vécu les mêmes expériences et qui comprennent.

Et là, avec cette seule phrase que j'ai attrapée par hasard à la radio, j'ai trouvé une réponse à 4 ans de culpabilité, de honte et de confusion. Depuis que j’ai quitté la prostitution, je me suis parfois sentie tirée en arrière vers elle, en particulier lorsque des gens ont refusé de m'aider, ou m’ont dit que j’avais choisi et que j’avais dû y trouver du plaisir. Il n'y a rien de pire que d’entendre quelqu'un vous expliquer que vous avez tort sur ce que vous ressentez de ce que vous avez vécu, en quelque sorte que vous avez mal compris. Je ne pouvais pas comprendre pourquoi je me sentais tirée vers l'arrière vers quelque chose que j'ai trouvé si horrible, et j’en suis arrivée à la conclusion que j’ai, à ces moments là, de fortes pulsions autodestructrices.

Mais ce qui a été dit sur ​​les soldats a fait sens pour moi. Depuis que je suis sortie de la prostitution, j'ai trouvé mes expériences invalidées à tous les niveaux, rejetées ou refusées. Encore 4 ans plus tard, je réalise que, presque sans exception (et il ya eu très peu d'exceptions, même parmi les soi-disant professionnels de la santé mentale), je n'ai trouvé personne qui ait compris ce que c'est que de se prostituer. La plupart n’ont même pas essayé.

Donc, le seul endroit où je me suis toujours sentie vraiment comprise, a été parmi les autres prostituées.

Il n’y a pas d’autre situation qui puisse être comparée à la prostitution, aucune qui attire si peu de compréhension, tant de jugements, de haine et de mépris.

Si vous êtes frappée en tant que prostituée, c’est que vous le méritez. Et si vous êtes violée…

Peut-on même violer une prostituée ? Certes, cela signifie seulement ne pas payer, et de toute façon elle aime le sexe sinon elle n’aurait pas choisi d’être là. On m’a dit que j’avais choisi tout cela. Et bien, Angel, qu’avez-vous retiré de tout ça ? Prenez la responsabilité de ce qui vous est arrivé ! Je ne crains pas de prendre la responsabilité des erreurs du passé, mais je réfute le fait que je voulais ce genre de choses. Personne ne choisit le viol.

La prostituée est condamnée, tant par ceux qui la méprisent pour ce qu'elle fait que par ceux qui soutiennent si généreusement (en son nom – ils ne rêveraient pas de le faire eux-mêmes) son droit d’être une femme violée, d’être une prostituée. C’est une situation désespérante.

Sur Radio 4, ni l’expert, ni à vrai dire personne, n’a suggéré qu’un soldat veuille revenir au service actif parce qu’il prenait plaisir à être le témoin des atrocités qui avaient déclenché son SSPT et l’avaient tellement déconnecté de la population civile en général. Où sont cette compassion et cette compréhension quand il s’agit d’une femme prostituée ? Pourquoi lui est-il reproché à elle, parmi tous les autres, d’avoir été blessée et pourquoi lui dire à nouveau qu’elle a choisi parce qu’elle aime ça ? C’est un total manque de compréhension de l'absence de choix, de la dépendance, du désespoir et du traumatisme qui résultent d’être baisée et et utilisée et violée et traitée comme moins qu’un être humain. Comme prostituée, j’étais une poupée humaine à baiser, la seule différence était qu’on s’attendait à ce que je me réjouisse d’être violée et que j’y trouve du plaisir. Une poupée gonflable aurait été traitée avec plus de douceur.

Considérant cela, Il n’est pas étonnant que vous soyez tirée vers l'arrière. Une femme qui a été prostituée est une femme qui ne s'appartient pas. Abîmée comme elle l’est par ce qu'elle a vécu, elle est simplement impossible à accepter. Une vérité trop dangereuse à manier.

Si les femmes utilisées dans l’industrie du sexe n’aiment pas réellement cela, le « droit » de chacun de se masturber sur des femmes dans des clubs de striptease, des magazines, des vidéos et la télévision peut être mis en doute, et la société n’est pas préparée à ce que cela se produise.

Ainsi nous sommes utilisées, puis jetées, un embarras, le rebut humain produit par un système de perpétuelles inégalités et abus.

Etre une ordure humaine ? Maintenant, je sais que c’est de la foutaise.

(traduction par Lora, légèrement éditée)