jeudi 18 novembre 2010

J'ai mal à la tête j'ai mal au corps j'ai mal

Je suis dans une passe difficile en ce moment. Ma tête est pleine de douleurs du passé, des images vivantes dégringolant les unes après les autres, une progression rapide, un mélange, qui tourne en rond. Les insultes et les coups et les humiliations et qu'on rie de moi et la souffrance et la honte et la dégradation et être utilisée.

Ma tête me fait mal et mon corps me fait mal, chacun leur tour et ensemble, l'un puis l'autre, ressentant et re-sentant les choses qui passent dans ma tête. Mes muscles se contractent sous la tension et me font mal en se relâchant. Je vis dans une zone de guerre.


Épuisée.

Je peux sentir ma confiance partir, sentir mes mots partir, sentir ma force partir. Je me sens incapable, vaincue.

Tout s'en va.


Partout où je regarde, des images de femmes comme des objets sexuels, des voix pour le justifier, le normaliser, en chanter les louanges.


Qui me font souffrir.

J'ai déjà été là, je suis déjà passée par là, je suppose que je vais traverser ça bien que mes émotions me disent le contraire, les voix venant du passé me disent le contraire. Elles veulent que j'abandonne. Elles me tourmentent, m'aiguillonnent, me minent : pourquoi faire ? Croyais-tu vraiment pouvoir faire la moindre différence espèce de putain de salope stupide ? Putain de salope stupide ! Maintenant ferme ta gueule.

Je ne serai PAS vaincue. La vérité ne peut tout simplement pas être tue. J'aimerais juste que ce ne soit pas aussi affreusement douloureux parfois.

lundi 25 octobre 2010

Les violences invisibles

Le Lobby Européen des Femmes (European Women's Lobby) vient de publier un de mes articles. Elles m'ont envoyé, accompagné de quelques copies du magazine, un DVD appelé "Not For Sale" ("Pas à vendre"), qu'elles ont produit conjointement avec la Coalition Contre le Trafic des Femmes. Elles m'ont également envoyé "Les liens entre la prostitution et le trafic sexuel : un manuel d'introduction", rempli de données sur la prostitution et la pornographie. Une lecture assez sinistre.

Ce qui m'intéresse, c'est cette question : où sont ces faits et ces statistiques quand on débat de la prostitution et de la pornographie dans la vie de tous les jours ?

Cette information n'est pas cachée : elle n'est pas conservée dans une sorte de cache secrète dans une une salle sombre. Et pourtant elle est complètement absente de la majorité des discussions. Pourquoi ? Si on devait débattre du pour et du contre de la modification génétique, on ne le ferait jamais sans avoir recours à l'information, aux faits et aux chiffres. Si on devait débattre de quoi que ce soit d'importance, que ce soit de la peine de mort à l'état providence, d'une façon significative, on s'attendrait à utiliser des données et des preuves.

L'industrie du sexe a fait un bon travail en s'assurant que ces faits soient écartés des débats sur la prostitution et la pornographie en utilisant à la place un langage qui est extrêmement attractif à l'esprit occidental moderne. Choix, libéralisme, empowerment - qui ne les encourage pas ? J'ai argumenté ailleurs sur le fait que ce langage n'a aucune place dans le contexte de l'industrie du sexe. Leurs arguments sont du vent très joliment emballé.

L'argument du DVD que j'ai regardé, et que je crois être vrai à 100%, est celui-ci : quand nous adoptons ce langage, en particulier là où un état légalise la prostitution, cela sert à rendre invisible la violence faite aux femmes impliquées.

Légaliser la prostitution rend invisible tout le mal qu'elle fait aux femmes qu'elle utilise.


Il y a moins d'aides pour sortir de la prostitution dans les pays où elle est légale. Pourquoi ? Parce que là où elle est légalisée, elle devient vue comme un job comme un autre, et pourquoi aurait-on besoin d'aide pour quitter un job normal ? Réfléchissez-y. Là où la prostitution est légale, le maquereau devient un businessman, un entrepreneur, dont les intérêts sont protégés par la loi. Le langage de la maltraitance disparaît. Les femmes qui sont prostituées deviennent des "travailleuses du sexe", les types qui les achètent des "clients". Un vernis de respectabilité est donné à un système qui ne respecte pas les droits humains. Une atmosphère où les actes quotidiens de violence et de dégradation sont perpétrés sur des femmes devient légitime parce que cela prend place dans un environnement "sécuritaire". Qu'est-ce qui est sécuritaire dans le fait d'être pénétrée, blessée, utilisée ? Est-ce que c'est correct parce que cela prend place dans des chambres avec de jolis couvre-lits (pour la commodité des clients, biens sûr), et en intérieur ? Si je suis violée dans un bordel légalisé et pas au coin d'une rue, en quoi est-ce que c'est mieux ?

La violence est inhérente dans l'action de chaque client. Ils demandent le droit de prendre leur plaisir de la manière qui leur plaît, et parce qu'ils payent pour ça, on estime cela acceptable. Pourquoi est-il plus acceptable de violer une prostituée, de maltraiter une prostituée, que n'importe quelle autre femme ? Est-ce qu'un échange d'argent, dont elle devra reverser la majorité si ce n'est tout à son proxénète ou pour payer sa maison, rend l'inacceptable acceptable ?

Légaliser la prostitution n'a rien à voir avec l'amélioration de la sécurité des prostituées : il n'y a pas de sécurité en tant que prostituée. Être une "escort" a peut-être l'air plus salubre, mais l'acte est le même, les risques sont les mêmes. Légaliser la prostitution a tout à voir avec la sécurité et le bien-être des clients, des proxénètes. Cela leur donne un air de légitimité, cela leur permet de marcher tête haute et de bavarder à propos de leur "business" en public (une version très abstraite et aseptisée, évidemment). Légaliser la prostitution supprime toute possibilité de la femme prostituée à appeler à l'aide, parler de sa maltraitance, ce qui est déjà assez difficile comme ça.

Légaliser la prostitution serait l'équivalent d'exhumer les souvenirs du temps où le viol conjugal n'était pas encore reconnu : changez le langage et vous étouffez le problème. Comment veux-tu parler sans langage ?

J'ai lutté pour obtenir de l'aide, pour être entendue, depuis que j'ai quitté la prostitution. J'ai fréquenté des (soi-disant) spécialistes de la santé mentale qui étaient incapables de voir où était le problème avec la prostitution. On m'a dit que j'avais tort d'avoir un problème avec ça, d'être dérangée par la pornographie (même en tant que personne qui a été utilisée dans la pornographie et qui a dû "apprendre" comment se comporter selon la pornographie), on m'a dit de passer à autre chose et que j'avais choisi tout ça.

HEIN ?

Tu ne choisis pas d'être traitée comme ça. Tu es foutue et tu te retrouves là-dedans. C'est ce qui m'est arrivé et j'ai vu la même histoire encore et encore avec les femmes que j'ai rencontré. Elles avaient été maltraitées. Elles étaient piégées par une addiction. Elles n'avaient pas d'argent. Elles n'avaient aucune estime de soi. Elles n'avaient aucun choix.

Tu en arrives au point ou tu es tellement fracassée par tout ça, tellement consumée par tout ça, par les choses qu'ils te disent - les clients, ton partenaire qui te frappe, la clameur toute entière d'une société qui a gobé les mensonges de l'industrie -, que tu cesses de te préoccuper de ce qui t'arrive. Ils t'ont dit que tu aimais ça, que tu l'as choisi. Tu deviens confuse. Peut-être que oui. On s'en fout. Tellement fatiguée. Juste survivre. Juste survivre.


Je suis chanceuse de m'en être sortie - de justesse. J'ai failli de pas y parvenir. Je connais beaucoup de femmes qui n'ont pas eu cette chance. Nous devons nous battre pour que le mal qui leur est fait reste visible.

mercredi 20 octobre 2010

Scandalisés mais pas touchés

L'autre jour j'ai vu qu'un garçon de 16 ans avait été arrêté pour le viol d'une fille de 8 ans. Les gens sont scandalisés - et c'est effectivement scandaleux. Mais ce n'est peut-être pas surprenant. C'est ce qui arrive quand on vit dans une culture pornifiée. Quand on vit dans une culture qui vend les femmes, qui dégrade les femmes, qui fait d'énormes profits en dépeignant les femmes comme des objets sexuels, constamment disponibles, attendant juste que ta bite (ou aucun autre objet de passage) soit insérée dans son vagin et son rectum, on ne devrait pas être surpris quand les générations qui viennent croient que les femmes veulent être traitées ainsi. Les enfants "mineurs"* auront accès à la pornographie et seront affectés par ce qu'ils verront. Je me souviens avoir vu la collection de porno du frère d'un ami quand j'étais en primaire. Ces images, et ce qu'elles signifiaient pour moi, sont restées avec moi. Quand je disais aux hommes qui m'utilisaient et me vendaient que ça faisait mal, ils me disaient que non, que j'aimerais ça - exactement comme les femmes dans les films qu'ils regardaient le disaient.

Je ne crois pas qu'elles aient aimé ça non plus, à en juger par l'expression de souffrance sur leur visage.

Les défenseurs de la pornographie disent que c'est un fantasme inoffensif. Mais cela n'a rien d'un fantasme pour les femmes qui y sont utilisées ("actrice" et "mannequin" me semblent être des étiquettes trop douces pour la réalité : poupée gonflable). Ou pour les femmes dont les partenaires regardent de la pornographie et veulent qu'elles imitent ce qu'ils voient, ignorant complètement leur intimité et l'égalité. Ou pour nos enfants qui apprennent la sexualité et les dynamiques relationnelles entre les sexes de cette façon. La pornographie ne parle pas d'égalité entre partenaires sur les besoins et les désirs. Elle parle de l'affirmation du pouvoir et de la possession, de mensonges et de désinformation.

La majeure partie de la pornographie hétéro ne dépeint pas de sexe "sécuritaire" - dans aucun des sens du terme. Les hommes portent rarement un préservatif, et les femmes sont montrées subissant des pénétrations orales, vaginales et anales (plus grand risque d'infection) par de nombreux hommes. Ou alors le même homme baise de nombreuses femmes, l'une après l'autre, sans préservatif. "Chevauchée à cru", comme l'industrie aime appeler ça. À quelle fréquence la pornographie montre-t-elle l'application de lubrifiant ? Ou n'importe quelle sorte d'effort tendant vers le bien-être de la femme. Elle est là uniquement pour faire bander l'homme : celui qu'on montre en train de la baiser, celui qui manie la caméra, celui qui fait de l'argent en la vendant et celui qui se branle sur elle chez lui sur son sofa. Son bien-être, physique ou émotionnel, ne fait tout simplement pas partie du tableau.

Alors avec les garçons et les filles qui découvrent souvent la sexualité via la pornographie, on a un problème. Les femmes pensent que leurs besoins et leurs désirs ne sont pas légitimes - il n'y a pas de place pour eux. Les femmes dans la pornographie n'ont pas de désirs ou de besoins autres que d'être touchée n'importe comment, baisée n'importe comment, répondant aux désirs et aux exigences de l'homme. Des filles qui grandissent ressentent le poids de l'attente. Des garçons pensent qu'être "viril" implique de traiter les femmes comme des objets sexuels, d'être dominateur, et de baiser les femmes sans intimité ni respect. Il est difficile d'apprendre l'intimité et le respect dans une culture de pornographie agressive, surtout quand cette culture est si dominante. Le fist-fucking, les gang bangs et les double pénétrations ne vont pas vraiment main dans la main avec le respect. Et la présence d'une caméra et d'une audience ne crient pas exactement à l'intimité.

La valeur humaine est hors du tableau.

On devrait arrêter d'avoir l'air surpris quand des hommes ou des générations plus jeunes de garçons traitent les femmes comme des objets sexuels dans la vraie vie, et prendre un peu nos responsabilités pour une fois. Après tout, si nous acceptons que les femmes soient traitées ainsi dans les magazines et les dvd, et que nous défendons cela, que nous l'achetons et en rions ("les mecs sont des mecs !"), pourquoi cela ne changerait pas la façon dont les hommes traitent les femmes dans la vie de tous les jours et la façon dont les femmes se voient elles-mêmes ? Nous avons besoin de réfléchir un peu, de réaliser quelle est notre part là dedans et de prendre action pour stopper la normalisation de l'objectification sexuelle des femmes. Tant que nous ne sommes pas préparés à agir, à faire les choses différemment, nous restons scandalisés. Mais pas touchés.

* Je trouve ça étrange que quand une femme atteint 18 ans, son statut change magiquement et elle devient soudainement exploitable légalement dans la pornographie.. Est-ce qu'atteindre un certain âge fait soudainement qu'un humain n'a plus besoin de protection et de dignité ? De même que l'âge d'accès à la pornographie - à 18 ans devient-il soudainement acceptable de se joindre à l'achat et la maltraitance de femmes dans la pornographie ? Je ne dis pas ici que les mineurs ne devraient pas être protégés mais je demande plutôt pourquoi l'inquiétude pour le bien-être d'un humain disparaît quand un mineur devient adulte au nom de la loi.

mercredi 29 septembre 2010

Être humain

J'étais en train de regarder quelques sites anti pornographie... Un nouveau a été lancé récemment, The Anti Porn Men's Project. Finalement ! Un espace pour les hommes qui ont les yeux pour voir que la pornographie ne fait pas que nuire aux femmes, mais qu'elle dévalue les hommes aussi. Il est malsain de définir la masculinité en termes de traiter les femmes comme des objets sexuels.

Il est bon de savoir qu'il y a d'autres voix, bien que toujours une minorité, qui font campagne contre l'accession à la culture dominante de pratiques inacceptables et inhumaines. Notre société a intégré quelque chose d'essentiellement nuisible et l'a normalisé au point où la majorité des gens l'acceptent simplement - avec un haussement d'épaules, si pas les bras ouverts. La pornographie n'est pas inévitable, une sorte de mal nécessaire ! Quand on la traite ainsi au lieu de prendre parti contre elle, nous nous tirons une balle dans le pied, à nous et aux futures générations. Qu'est-ce que cela signifie si la majorité des idées des adolescents sur le sexe et les relations intimes sont formées à travers la lentille de la pornographie ?

Ce qu'il faut comprendre c'est que nous parlons de quelque chose qui déshumanise, qui diminue, qui fait des femmes des objets à prendre et à jeter - quand elle a été entièrement utilisée et abusée et est trop abîmée pour "performer" à nouveau, elle est mise de côté, et on met une autre femme sans nom devant la caméra. La pornographie vole l'humanité des gens qu'elle utilise. Dans la pornographie, les femmes sont montrées comme étant dominées, humiliées, pénétrées et double-pénétrées et triple-pénétrées - blessées - et aimant ça. Les femmes sont montrées comme quémandant du sexe en permanence.

Le respect et la dignité n'ont aucune place dans ce tableau.

Le pornographeur veut faire vibrer le spectateur. Même les hommes dans le porno font parfois semblant d'être surpris que la femme veuille un traitement si extrême (généralement l'insertion de gros objets dans son vagin ou son rectum). Pas étonnant que quand des femmes sont violées tant de gens disent qu'elle en demandait ! Les femmes dans la pornographie sont rarement montrées refusant quoi que ce soit. Et quand le spectateur pourrait être en danger de penser que quelque chose qu'on lui fait a l'air douloureux, elle se voit souvent forcée de dire que c'est génial, qu'elle adore ça.

Des femmes utilisées directement dans la pornographie aux hommes et aux femmes qui vivent dans une société qui accepte la vente des femmes pour le sexe, tout le monde est perdant, si pas financièrement, au moins humainement. L'argent triomphe sur l'humanité. Et voulons nous réellement remplir les poches des proxénètes et des pornographes ?

mardi 7 septembre 2010

Putain d'intimité

J'ai réalisé que dans ma vie passée il y avait la baise, et il y avait l'intimité. Les deux ne se rencontraient jamais ! Le concept de sexualité amoureuse, dans une relation entre égaux, m'était complètement étranger. Dans un contexte de violence, le choix ne veut rien dire. J'ai fait ce que je devais pour rester en sécurité, parfois en initiant des relations sexuelles même quand je n'en voulais pas, pour tenter d'éviter des coups. Ou alors j'ai fait ce qu'on me forçait à faire, que ce soit par la contrainte physique ou par la menace de violence. Je n'avais aucun contrôle sur mon corps, sur ce qui lui arrivait, sur qui y avait accès, qui l'utilisait et le en abusait. Traitée comme un animal, j'en suis devenue un - vivant par instinct, sans dignité et sans respect. Viol et dignité, violence et dignité, pornographie et dignité ne sont pas compatibles.

Incapable de m'éloigner physiquement de ce qui m'arrivait, je me suis éloignée mentalement : je m'anesthésiais. Aujourd'hui encore, mes souvenirs restent en lambeaux, une série d'instantanés préservés dans toute leur gloire en technicolor, avec d'énormes trous entre eux, perdus. Parfois je préférerais ne pas me souvenir des choses dont je me souviens, mais les trous de mémoire me perturbent aussi.

Je continue de lutter pour lier le sexe à l'intimité. Je peux me sentir très détachée quand on me touche, ou alors très vulnérable. Ma position par défaut est celle de la méfiance : d'être blessée, d'être utilisée, d'être humiliée à nouveau. Je continue parfois de pleurer dans un contexte intime. Bien que cela soit un peu gênant, je suppose que c'est une bonne chose. Les larmes apportent une guérison, et c'est un progrès que je m'autorise à ressentir, même si parfois j'aurais préféré me sentir différemment ! M'autoriser à ressentir, à être pleinement présente, dans un contexte sexuel, est quelque chose que je suis encore en train d'apprendre. J'ai dû désapprendre un tas de choses à propos des gens et de mes relations à eux. Tous les hommes ne sont pas comme les hommes que j'ai rencontrés dans ma vie précédente.

Je crois que la confiance se mérite. Je ne la donne pas de façon légère. J'ai vraiment peur d'être blessée à nouveau. Beaucoup. Mais au final je sais que je ne peux pas survivre toute seule, sans faire confiance à qui que ce soit. Sur ce chemin se trouvent la solitude et l'addiction ! Ce n'est pas quelque chose que je tiens pour acquis et cela va et vient à certains moments, mais c'est simplement bon d'être en vie et d'avoir une chance de faire les choses différemment, d'être dans ma propre peau, de constater moi-même mes propres besoins, ou si je ne suis pas sûre de savoir ce que sont mes besoins, simplement de savoir qu'il est normal d'en avoir.

Tu vois ce que je veux dire ?

mercredi 1 septembre 2010

Sur les rêves et le rêveur

Je me réveille, un enchevêtrement de pensées confuses et de souvenirs, de membres et de draps. Je sens la sueur couler le long de mon dos, le long de mon visage. Trempée. Le rêve que je faisais était un parmi d'autre, faisait partie d'un cycle, un ensemble habituel. Ces rêves...


Ils sont une poussée vers l'extérieur de mon subconscient, un vomissement de matière repoussée et enterrée pour ma survie. Quand je rêve comme ça je rejoue, je revis, mon passé. Ça me hante. Les images peuvent changer mais pas le scénario : je regarde un corps, un corps qui m'appartient et qui ne m'appartient pas, je regarde mon ex et les autres hommes le maltraiter.

Ce corps !

Il peut courir mais il ne peut pas les semer, il peut résister mais il n'a aucune chance. Impuissance désespérée. Mon corps. Moi. Je suis le spectateur, le voyeur, je suis la peur et la honte, la souffrance et la terreur. Je suis mes émotions, dans mon corps mais trop, ou alors je suis déconnectée, un esprit flottant, rattachée par le plus fin des fils.

Je suis et je ne suis pas.

Sensation si réelles dans ces rêves. Trop réelles. Être touchée et je ne veux pas. Vouloir crier mais rien ne sort. Essayer de voir mais la noirceur d'un bandeau. Le sens des réalités en panne, l'odeur et le goût et le toucher en vie et accablants.

Mon esprit est en train d'intégrer des choses, lentement oui, mais certains blackouts, les trous de mémoire, se remplissent. En toute honnêteté, parfois je préférerais ne pas me souvenir.

Une image.
Une sensation.
Un instantané.

Curieusement, glorieusement, séparée de mon corps, là mais pas là.

La souffrance et l'obscurité font partie de moi, je choisis de ne pas y vivre ces jours-ci en cours de guérison mais je ne peux pas l'empêcher de s'écouler lentement hors de moi, faisant son chemin, l'Inacceptable faisant son chemin à travers moi. Aucune quantité de déni, aucune quantité de distraction, ne l'arrêtera. Invoulu ? Oui. Tellement douloureux que mon corps entier en a mal. Mais nécessaire, absolument. Mon corps et mon esprit se guérissant à un niveau plus profond que je ne peux le comprendre. Être entendu amène la guérison, être accepté amène la guérison, et j'ai besoin de m'entendre et de m'accepter.

samedi 28 août 2010

Oh, et PS...

Juste une note sur mon dernier article... le gentleman avec qui je parlais qui donnait l'opinion qu'un club de lapdance n'était qu'un "simple divertissement" utilisait comme principale justification le fait que "c'est un mec". Ok, donc c'est un mec - mais et alors ? Ca ne signifie pas qu'il doive agir comme un déchet. En fait, je trouve ça sexiste d'impliquer que c'est un homme donc il doit voir les femmes comme des objets sexuels. Cette ignorance et ce consternant manque de pensée cohérence derrière des pratiques sexistes et nuisibles ne cesseront jamais de m'abasourdir. Personnellement, j'aime croire qu'un homme n'est pas gouverné par son pénis et a en réalité la même capacité de self-control qu'une femme. Je crois qu'on appelle ça égalité.

La défense des clients

C'est la voix de chacun des hommes qui m'a frappé, chaque homme qui m'a touchée quand je ne voulais pas être touchée, chaque homme qui m'a achetée. "Les mecs sont comme ça... ce n'est qu'un club de lapdance". Je peux lire les sous-titres, pas de problème : C'est quoi ton problème ? Quelle puritaine ! C'est juste un petit divertissement inoffensif.


Un putain de divertissement inoffensif.


Je ne crois pas, non. C'est l'achat de femmes, la vente d'une inégalité, la légitimation d'un abus. Tout cela justifié au nom du "passer bon moment", le tout encadré par l'échange d'argent (bien que la majorité de cet argent n'aille pas à la femme qu'on regarde et qu'on touche).

Et pourtant c'est moi qu'on accuse d'être extrême, déraisonnable pour oser émettre une objection, suggérer qu'il puisse y avoir un autre regard à porter sur tout ça. !!!!. Inquiètes d'êtres qualifiées de prudes si elles ne se joignent pas à la cacophonie de voix qui soutient la vente des femmes, trop de femmes choisissent d'être "libérales" au sujet de l'oppression de leurs soeurs. J'ai ressenti cette pression moi-même ! Jeune et naïve, je me suis jointe au rire de mes compagnons face à la pornographie, à certaines de ses images les plus extrêmes (regarde ce qu'il lui met dans la chatte et dans le cul ! on croirait que ça fait mal mais elle adore, elle sourit !) - jusqu'à ce que je me retrouve moi-même du mauvais côté de la caméra, frappée, utilisée, vendue, déchirée - "souris !" - et que je réalise ce que tout ça signifie pour moi.

Si elle peut être traitée de cette façon, comme un ensemble de trous, un morceau de viande pour satisfaire les hommes, moi aussi je peux, et toutes les femmes le peuvent. Il serait idiot de penser que les gens qui voient le lapdance et la pornographie comme la norme ne portent pas cet état d'esprit avec eux dans leur façon d'agir avec les femmes au quotidien. Regarder régulièrement un matériau, ou aller dans des endroits, que ce soit un club de lapdance ou un bordel, où les femmes sont traitées comme moins qu'humaines, ça te change.

Loin du proxénétisme, des coups, loin de ma condition de femme prostituée, je continue de devoir me protéger des gens qui pensent comme ça tout le temps. Pour moi, ça touche des vieux nerfs, ça reflète cette attitude de "prendre et jeter" des clients. Cela me ramène dans le passé. Je pleure, je tremble, parfois je vomis.

Peut-être que si ces gens pouvaient voir les conséquences, voir la réalité de ce qu'ils font aux femmes qu'ils utilisent, ils pourraient se construire une conscience. Peut-être, peut-être pas. Je ne mets pas trop d'espoir là-dedans pour l'instant. Parfois les enfants ne veulent pas voir la vérité. La vérité se met sur le chemin du divertissement, de l'orgasme. Je suppose que tout ce que nous pouvons faire est continuer d'afficher la vérité, là dehors. Nous nous sommes débarrassés du bear baiting (NDT : ancien "sport", jusqu'au XIXe siècle, qui consistait à attacher des ours pour les faire attaquer par des chiens), n'est-ce pas ? Peut-être qu'un de ces jours les droits des femmes rattraperont leur retard.

vendredi 2 juillet 2010

Sur les gueules de bois émotionnelles

Mes cicatrices attirent mon attention, maintenant que j'ai des rencarts, pour voir un homme. Il remarque et il est curieux. Je ne suis pas habituée aux questions. J'avais les mêmes cicatrices de mon ex quand je me suis prostituée, mais les clients n'en avaient que faire. Faisant une fixation sur les seins et les trous, matières premières de la pornographie, je ne crois même pas qu'ils les aient ne serait-ce que remarqués.

Peut-être que si. Ils n'auraient pas pu rater les entailles sur mes bras, une tentative désespérée de ma part de survivre, de vivre avec l'invivable, d'être moi dans mon corps, moi dans le naufrage de ma vie. Ils n'auraient pas voulu savoir, de toute façon. Après tout, n'est-ce pas là tout le but de la pornographie, de la prostitution, d'être l'achat et l'utilisation sans culpabilité d'une femme comme un objet sexuel ? Pas de place pour entendre l'histoire de cette femme, entendre ses émotions, demander comment ça la fait se sentir et comment elle est arrivée là - ça se mettrait sur le chemin. Les acheteurs demandent une expérience sans culpabilité, sans vérité, que ce soit en éjaculant sur le visage de la prostituée qu'ils ont achetée ou en baisant une autre à travers les pages brillantes d'un magasine, l'humanité de la femme encore un peu plus effacée, pour être pliée et mise dans un tiroir.

L'acheteur termine et est libre de continuer avec sa vie de tous les jours. On ne peut pas en dire autant de la femme qu'il utilise ! Elle vit cela, elle sait, on lui réaffirme sur une base quotidienne que sa seule valeur est de servir de réceptacle pour son foutre, un spectacle qui doit rester ouvert, maltraitée, pénétrée et vendue. Elle n'a aucune importance : sa souffrance, ses émotions n'ont aucune importance ; ce qui est important, c'est lui, le vendeur, son plaisir, ses frissons. Tout ce qui importe à propos d'elle, c'est qu'elle est disponible, qu'elle est muette, qu'elle ne montre rien d'autre que du plaisir et de la gratitude pour tout ce qu'il décide de lui faire, peu importe à quel point c'est douloureux ou sadique. Sodomie à sec ? Pas de problème - j'adore ça. Double pénétration ? C'est tellement bon ! Passer de l'anus à la bouche ? Le fisting ? Qu'on me pisse dessus ? J'en veux encore plus.

Comme si. Chaque fois qu'elle était abusée, elle rétrécissait un peu, devenant "moins". Chaque fois qu'il la maltraitait, il grandissait un peu, devenant "plus". Son pouvoir à lui grandit tandis que le sien à elle diminue. Les limites n'existent plus désormais. Ces actes sexuels qu'elle n'a pas voulu, qui la font souffrir et l'humilie et la dégradent arrivent un par un. Il manque à son "non" le pouvoir et la possibilité de sortir de cette situation pour se mettre en sécurité. Tu entends ces mots sortir de sa bouche, en demandant encore plus, gémissant de plaisir, disant qu'elle aime ça, ses mots à lui, mais dans sa bouche à elle. Il est le marionnettiste. Apprenez-ça d'une femme qui sait, l'humiliation ultime c'est d'être forcée à remercier ton abuseur, à demander d'être abusée encore plus. Je me suis scarifiée, j'ai bu et je me suis droguée, je me suis dissociée, je me suis endormie en pleurant quand il y avait des cauchemars attendant juste de me retrouver là où il était parti.

Avec mon ex, je savais ce qu'on attendait de moi. La violence, et sa menace, étaient constantes. On me disait de sourire pour les photos, de dire que j'aimais ça pour la caméra. Parfois il était clair que je n'étais pas là par choix - il y avait des stries des coups de ceinture et des hématomes, et de la violence dans la film (et ça vend bien dans certains coins), mais pas toujours. C'est facile d'ignorer ce que tu ne veux pas voir. Pour l'utilisateur de pornographie, il a derrière lui le poids d'une société qui justifie et normalise son achat de femmes comme un "truc de mec". Une société qui, en plus, dit : ne t'inquiète pas pour elle, elle aime ça, ça la libère, ça lui donne du pouvoir, ça lui permet de faire plein d'argent.

Trois ans après ma sortie, les bleus ont disparu. Les plaies se sont transformées en cicatrices qui seront avec moi pour le reste de ma vie. Mais ce sont les cicatrices mentales qui me font le plus souffrir. Mon syndrome de stress post-traumatique est redevenu violent récemment, et il n'est pas toujours facile de vivre avec mon passé, la maltraitance. Cela continue à impacter sur mon présent, la "gueule de bois émotionnelle" d'avoir été vendue, et que le société continue à choisir d'ignorer. C'est un piège dont il est difficile de se tirer. Tout ce que je sais c'est que, bien que cela puisse être douloureux, essayer d'avancer est la seule option. C'est une belle chose d'être avec quelqu'un qui compte pour moi. Je vais utiliser tous les moyens à ma disposition pour laisser tout ça derrière moi pour pouvoir enfin réellement apprécier ce que j'ai.

mercredi 16 juin 2010

L'industrie du sexe, "féministe" ou artiste du mensonge ?

Récemment j'ai participé à une conférence aux côtés de plusieurs autres orateurs à propos de mon expérience de la violence domestique, de la pornographie et de la prostitution. Comme toujours, j'étais extrêmement anxieuse, mais ces jours-ci j'essaie de ne pas laisser la peur se mettre en travers de mon chemin. Le progrès, pas la perfection ! Une des autres personnes à parler est une ancienne lap-danceuse, Lucy, que j'ai rencontrée quand j'ai parlé à l'événement Foyles plus tôt dans l'année. C'était si agréable d'être aux côtés d'autres femmes qui se dédient à mettre la vérité au grand jour sur l'industrie du sexe et ce qu'elle signifie vraiment pour les hommes et les femmes.

Un des points clés de cette discussion est un point qui me tient particulièrement à coeur : la façon dont l'industrie du sexe a détourné le langage du féminisme pour justifier ses pratiques oppressives (voir Jeux de langage parmi d'autres posts sur ce sujet). Bien que j'aie déjà pas mal écrit à propos de l'utilisation du langage dans la légitimation des abus de l'industrie du sexe dans la société, je n'avais pas réellement beaucoup réfléchi aux soi-disant "féministes" qui défendent l'industrie. Donc pour rectifier...

En bref, pour moi l'idée que quelqu'un qui défend l'achat et la vente de femmes puisse prétendre être une féministe est au-delà de l'ironie : c'est un non-sens. C'est comme si quelqu'un se prétendait activiste des droits de l'homme tout en défendant la pratique de l'esclavage, n'autorisant pas les esclaves à parler librement de leur expérience de cette situation, mais parlant agressivement en leur nom dans un langage de droits pour soutenir leur maltraitance, et insistant pour que l'on change ces termes au nom de l'égalité. Après tout, le vocabulaire de l'achat et de la vente d'êtres humains est terriblement révoltant et dégoûtant, tu ne trouves pas ? Ça donnerait presque l'impression que c'est, et bien, mal.

Si quelqu'un est traité comme moins qu'un humain, aucune quantité de jeux sur les mots ne rendra cela bien. C'est se moquer du langage de l'utiliser de cette façon. La pornographie et la prostitution, c'est la consommation d'une inégalité. Le fait que cela été ré-étiqueté par l'industrie du sexe et quelques soi-disant "féministes" comme étant une source d'empowerment pour les femmes qu'elle utilise ne change pas sa nature réelle. L'industrie du sexe vend les femmes et détruit les vies de celles qu'elle utilise. Point.

Je suis d'accord avec la suggestion d'une autre femme avec qui j'ai parlé à Londres, disant que peut-être que les femmes qui voudraient s'auto-proclamer féministes mais qui sont pro-pornographie devraient à la place se faire appeler militantes positives de de l'abus sexuel. Après tout, pour quoi se battent-elles si ce n'est pour défendre l'abus sexuel d'autres femmes ? Appelons un chat un chat et appliquons un peu de sens commun ici plutôt que de croire aux mensonges.

mercredi 26 mai 2010

Sur l'égalité

L'autre jour je parlais avec une amie de la haine des hommes, et ça m'a fait réfléchir... Je ne hais pas les hommes. Je suis passée par une phase de haine des hommes, quand je "travaillais" comme prostituée, et en y regardant, c'est facile de voir pourquoi. Mon ex partenaire abusait de moi, les hommes qu'il me présentait abusaient de moi et les clients payaient pour abuser de moi. C'était beaucoup plus sécurisant pour moi de dire, les hommes sont des merdes, ils te font souffrir, et de me déconnecter. Je pense que ça a rendu les choses moins personnelles, moins douloureuses pour moi en tant qu'être humain, de dire que tous les hommes sont comme ça.

Maintenant cependant, en guérison, et à mesure du temps, j'en viens à croire quelque chose de différent. À mesure que la colère diminue, et que je peux voir les choses un peu plus clairement, voir la douleur un peu plus clairement, je peux voir mon ancienne vision pour ce qu'elle était : un mécanisme de défense qui était utile dans une situation de traumatisme extrême. Je me suis attaquée à une thérapie pour guérir (j'ai passé 12 mois à voir un thérapeute homme, qui m'a immensément aidée sur mes difficultés à faire confiance aux hommes), et j'ai rencontré quelques hommes bien avec qui je suis devenue amie. J'en suis venue à voir la vérité : de même qu'il y a des femmes gentilles et des femmes méchantes, il y a des hommes gentils et des hommes méchants. Il se trouve juste que j'ai passé plus de temps avec les seconds !

L'industrie porno perpétue un mensonge, elle nous vend un mensonge qui dit que les hommes et les femmes sont fondamentalement complètement différents. Les femmes sont là pour être utilisées, pour être baisées et photographiées et filmées comme des animaux sexuels, qui veulent ça, qui aiment ça, et qui jouissent là-dessus (regarde moi ce sourire !). Les hommes, par contre, sont là pour dominer, pour pénétrer, pour violer, en toute impunité. Tout cela sous le déguisement de la "liberté d'expression", de "plaisirs inoffensifs", de "les hommes sont comme ça". C'est excusé, non, plus que ça, c'est attendu que les hommes se comportent d'une certaine façon, traitent les femmes d'une certaine façon, pour qu'ils soient vraiment des hommes. Les sous-titres sont clairs : si tu refuses d'utiliser de la pornographie, de traiter les femmes comme des objets sexuels, de les voir comme une collection de parties du corps et de "trous" qui existent pour ton plaisir, tu n'es pas vraiment un homme. Similairement, une femme qui se demande si une industrie qui vend les corps des femmes, qui fait des tonnes d'argent pas pour les femmes qu'elle utilise mais pour les hommes qui les vendent, est vraiment "libératrice" et créatrice d' "empowerment" pour les femmes, cette femme est étiquetée comme prude.

L'industrie du sexe a réussi quelque chose de tout à fait remarquable : elle a piraté le langage du féminisme et du choix pour défendre ses pratiques destructrices et oppressives. Et la société a gobé ça tout cru. Je ne crois pas que ce soit facile pour qui que ce soit, homme ou femme, de se dresser contre ce qui est devenu "normal" et qui fait partie de la culture dominante. La société a naturalisé quelque chose qui n'a rien de naturel, qui oppresse les hommes et les femmes. Il n'y a rien de nouveau à propos de l'oppression des femmes, mais la façon dont l'industrie du sexe cherche à éliminer ses opposants en se posant en protectrice de la liberté d'expression, de la justice et de la liberté, a ajouté un obstacle très intelligent et a rendu encore plus difficile pour les gens de se positionner à son encontre.

Les mensonges que l'industrie du sexe nous raconte et nous vend font du tort aux hommes comme aux femmes. Mais nous ne sommes pas obligés de croire à ces mensonges. Je crois que les hommes et les femmes sont égaux, et qu'une relation saine entre les hommes et les bases doit être fondée sur le respect de leur humanité et de leur dignité communes. On saigne tous quand on se coupe. On a tous mal quand on nous frappe. Dire aux hommes qu'ils sont "moins virils" s'ils ne traitent pas les femmes comme des objets sexuels est leur rendre un mauvais service. Dire aux femmes qu'elles sont "prudes" parce qu'elles veulent être traitées comme autre chose que des objets sexuels est leur rendre un mauvais service.

Il n'est pas surprenant qu'une industrie si énormément profitable se défende à tout prix contre les attaques. Ce qui est peut-être plus surprenant, c'est la façon dont notre société a gobé ce mensonge si facilement. Selon mon expérience, une grande partie de l'inaction autour des inégalités que l'industrie du sexe alimente est purement basée sur l'ignorance. Les gens qui n'ont pas une expérience personnelle de l'industrie du sexe regardent les arguments tels qu'ils sont servis (par l'industrie du sexe), et sont attirés par ce qui apparaît superficiellement être le côté du "choix" et de l' "empowerment" des femmes, c'est à dire l'argument de l'industrie du sexe. En tant que survivante de la pornographie, de la prostitution et de la violence domestique, il n'y a rien de plus douloureux pour moi que de regarder d'autres femmes se battre pour défendre les "droits' d'autres femmes à être traitées comme je l'ai été. Les arguments que les défenseurs de l'industrie du sexe utilisent sont abstraits, impersonnels, à grande distance de la réalité, et aseptisé au-delà de toute signification. Je défie qui que ce soit, homme ou femme, qui a vu ce que j'ai vu, qui a fait l'expérience de ce dont j'ai fait l'expérience - être violée, être frappée, être menacée, être vendue - de continuer à défendre les pratiques de l'industrie du sexe. L'utilisation des femmes par l'industrie du sexe est avant tout personnelle ! Être nue et pénétrée et voir les autres se branler sur toi et être utilisée encore et encore, difficile de faire plus personnel.

Alors bien que je reste prudente dans mes interactions avec les hommes (de même qu'avec les femmes : la confiance met du temps à se reconstruire après avoir été si profondément anéantie), je ne crois pas au mensonge de l'industrie du sexe qui dit que les hommes sont à la merci de leurs hormones, contrôlés par leur pénis. Je crois que les hommes méritent qu'on leur donne plus de crédit que ça. Les hommes et les femmes qui s'opposent à ce que fait l'industrie du sexe à notre société, et à la façon dont elle traite les gens qu'elle utilise, doivent joindre leurs forces et se battre ensemble. Tout cela est nécessaire, parce que le triomphe de l'horreur, c'est quand les gens bien s'asseoient et ne font rien. Il est temps de parler, côte à côte, hommes et femmes.

mercredi 19 mai 2010

Submergée de rage et bouillant de désespoir


Il me semble me sentir très en colère en ce moment. Pour moi, la colère et la tristesse vont main dans la main, et parfois ce qui se manifeste comme une rage extrême est en fait de la souffrance ou une perte. Je pense que cela se rapporte aux choses qui me sont arrivées par le passé. Souvent, il était dangereux de pleurer, ou d'exprimer la moindre émotion. Énervé par le moindre indice de tristesse de ma part, mon ex me disait de "fermer ta gueule ou je te donnerai une bonne raison de pleurer". Ou alors parfois il exigeait que je pleure - il jouirait dessus. Dans tous les cas, tout est devenu emmêlé dans les jeux de pouvoir et de contrôle dans lesquels je me retrouvais, et je suppose qu'il n'est pas surprenant que cela demande de prendre un peu de recul.

La patience n'est pas mon point fort et je me retrouve très souvent à me réprimander moi-même de ne pas être "bien rangée", d'être encore en train de lutter avec mon passé. Ma voix logique me dit que je devrais me laisser faire une pause, me montrer un peu de compassion, que j'en ai vu assez et que je n'ai pas besoin d'ajouter à la souffrance, à la honte. Mais tout de même, c'est en chantier. Je trouve ça tellement dur de prendre soin de moi ! Ce serait tellement plus facile de faire mon vieux truc, l'autodestruction. Me tailler les veines. Picoler et vomir. M'affamer. Prendre des risques... En processus de guérison, je travaille vraiment dur à changer mes vieilles habitudes, et c'est épuisant. Accepter mon corps comme étant moi et le mien signifie accepter que ce qui est arrivé m'est arrivé à moi, et pas à quelque chose d' "autre" ou de séparé. Cela signifie se rendre compte qu'à chaque fois que mon corps a été battu et vendu, j'ai été battue et vendue. Dur à avaler.

Si cela peut sembler incontestablement évident que moi et mon corps sommes une seule et même unité, cela vaut la peine de signaler que ce n'est pas évident pour moi. Des années de déchirure, de dissociation, consciemment ou d'une autre manière, à agir comme un observateur, un extérieur, regardant ce corps, ces pensées, détachées et séparées, me laissent morcelée. Le regardant me crier dessus, je pouvais me sentir étrangement calme, presque hypnotisée. Je peux voir ses lèvres bouger, mais je ne peux pas vraiment l'entendre, je vois des mots se former, mais ils ne veulent rien dire. Dans mon esprit, je dissèque chaque mot et épelle chaque lettre avec précision. Il y a de la bave qui se forme sur sa lèvre. Je vois que cet homme va frapper cette femme, mais ça n'a pas vraiment d'importance, parce que ça n'est pas vraiment moi. J'observe à distance.

On me dit (et j'ai lu - je lis beaucoup de choses là-dessus maintenant, pour mieux me comprendre, pour guérir) qu'une telle séparation est le produit d'un traumatisme extrême - un mécanisme de défense. Incapable de m'éloigner physiquement de la maltraitance, j'ai cherché à me distancier mentalement, faisant la seule chose que je pouvais faire. L'esprit est un outil remarquable. Les bouddhistes parlent souvent de simplement observer les pensées et les sentiments allant et venant, ils parlent d'impermanence et de non-attachement, et ça a beaucoup de sens pour moi.
Mais là, clean et sobre depuis trois ans, je suis dans ce processus épineux qui consiste à remettre ces pièces ensemble à nouveau, de transformer cet amas de morceaux en quelque chose de complet. C'est une progression lente et douloureuse. J'ai suivi une thérapie, et je travaille le programme au quotidien. Je travaille beaucoup sur le reproche et la honte en ce moment, alors ce n'est pas étonnant que mes émotions ne tiennent pas en place. Quand l'homme qui te maltraite te dit que tu le mérites, pire, que c'est toi qui les pousse à te faire ça, et que tu es isolée et terrifiée et pleine de peur et tu te hais pour l'alcool et les drogues, tu y crois. Et je me rends compte que même si rationnellement je peux voir que ce qui est arrivé n'était pas ma faute, que le reproche et la honte appartiennent aux auteurs de ces violences, mes émotions mettent un moment à le comprendre. Si c'était quelqu'un d'autre, je n'aurais aucun problème avec ça. Mais, c'est toujours la même histoire, alors que je peux être compatissante et objective avec les autres, je trouve ça extrêmement douloureux et difficile d'appliquer ce même soin et cette même réflexion à moi-même.

Je suis tellement en colère ! Envers mon ex pour l'extrême maltraitance physique, verbale et sexuelle qu'il m'a fait traverser. Envers les hommes qui m'ont utilisée, qui m'ont forcée, qui savaient que je ne voulais pas de rapports sexuels, qui me giflaient et se moquaient de moi et me baisaient quand même. Envers les hommes qui se sont fait de l'argent, qui ont pris des photos et filmé ce qui se passait. Envers mon ex pour m'avoir frappé et me forcer à performer pour ces hommes comme un animal, juste pour avoir de la drogue. Envers les médecins et les infirmières des urgences pour m'avoir jugée et m'avoir traitée comme de la merde en ces occasions où j'étais capable de chercher une aide médicale. Et je suis en colère envers moi parce que je me sens encore et toujours responsable de choses qui étaient complètement en dehors de mon contrôle.
Je suis en colère contre moi pour être en colère contre moi (ce qui ne veut absolument rien dire, je sais).

Mais sous la colère, et j'ai pu y jeter quelques coups d'oeil ces dernières semaines, il n'y a qu'une profonde, profonde tristesse pour ce qui m'est arrivé, à ce qui arrive à des femmes dans ce pays tous les jours. On m'a dit que j'ai eu de la chance de survivre, et je suis effectivement chanceuse. J'étais absolument convaincue qu'il me tuerait s'il en avait envie - il me l'avait dit. Quand tu vis à travers ça, tu perds tellement de choses, et j'ai l'impression que je pleure certaines de ces choses aujourd'hui. Tu perds foi en les gens, en leur humanité. Mais plus que tout, tu te perds toi-même. Quand tu es en permanence en train de te forcer, dans une tentative désespérée d'éviter une séance de coups, tu ne sais plus qui tu es. Quand tu agis comme un animal pour survire, tu te hais. Quand ton corps n'est pas le tien et quand les hommes te touchent et te baisent et te frappent et t'utilisent et quand tu ne peux pas les arrêter, tu perds ta dignité. Tout t'est enlevé : tu ne t'appartiens pas.

Mon corps, mon esprit, ont fait ce qu'ils ont pu pour me protéger à ce moment là. Mais ici et maintenant, ce qui m'avait alors protégée peut m'isoler et me nuire. Je suppose que je dois être un peu plus bienveillante avec moi-même. Après tout, il n'y a pas de chemin rapide vers la guérison. Je fais ce que je peux, et on m'aide. Quand je mesure mes progrès par rapport aux autres gens, je dois me rappeler qu'étant donné ce qui s'est passé, je m'en sors pas trop mal. Je ne vais pas trop mal. Je n'y croyais pas avant, mais tu sais, la plupart du temps, maintenant j'y crois. En colère ou triste, fatiguée ou découragée, je vais bien.

vendredi 14 mai 2010

Le visage public d'Angel

Juste pour dire...

Je vais parler à la conférence Compass de cette année. Cela ne sera que la deuxième fois que j'aurai parlé en public de mes expériences, et j'ai des papillons dans l'estomac depuis que j'ai accepté d'y parler ! J'ai tendance à ressentir beaucoup d'émotions contradictoires dès que je parle de tout ça, que ce soit à travers mon blog, à travers des témoignages en ligne ou en public, face à face. Je crois à 100% qu'il est extrêmement important que le message soit diffusé à propos de ce que l'industrie du sexe signifie réellement pour les femmes, derrière son langage féministe. Mais je trouve aussi que c'est incroyablement douloureux de regarder mon passé, et parfois j'ai besoin de me retirer pendant un moment pour m'occuper de moi.

Cependant, je mets en place quelques mesures de sécurité pour mon bien-être (rejoindre des amis après, etc.) et je parlerai aux côtés de quelques femmes que je suis chanceuse de pouvoir compter parmi mes amies. J'ai vraiment rencontré les gens plus incroyables, les plus forts et au plus grand coeur depuis que je suis devenue active en parlant de la prostitution et de la violence domestique. Alors je suis heureuse de pouvoir les revoir, et également d'avoir reçu une nouvelle opportunité d'essayer d'étaler la vérité au grand jour. J'espère que des gens vont venir ! 

La conférence Compass de cette année se passera le samedi 12 juin 2010 à l'Institut de l'Education, à Londres, avec ce séminaire en particulier tenu à 11 heures. Vous pouvez trouver des détails sur www.compassonline.org.uk .
Il y a beaucoup de séminaires qui ont l'air intéressants, alors nous avons de la compétition sérieuse !

Si vous ou quelqu'un que vous connaissez êtes intéressés, venez ! Ce serait génial de rencontrer des gens dans le même état d'esprit, et le feedback que j'ai eu sur ce blog a été vraiment apprécié - ce serait bien de rencontrer certains d'entre vous.

Mes excuses à celles et ceux d'entre vous qui n'habitent pas près de Londres - je suis moi-même parfois frustrée en tant que nordiste de ne pas pouvoir m'impliquer encore plus. UK Feminista est une des associations dont je fais partie qui essaie de faire quelque chose pour ça, alors peut-être que nous aurons bientôt quelque chose de similaire au nord du pays.

mercredi 5 mai 2010

Désensibilisée et anesthésiée

On était plusieurs chez un ami l'autre jour, posés tranquillement, et on a commencé à regarder un film dont quelqu'un avait entendu dire qu'il était bien... 10 minutes plus tard nous l'arrêtions déjà, submergés par la violence. Ne vous imaginez rien, mes amis et moi ne sommes pas fragiles ou particulièrement sensibles. Mais quand un homme était représenté graphiquement en train d'être torturé, nous sommes tombés d'accord : ce n'était pas du "divertissement", c'était malsain.

Je me suis mise à réfléchir après coup, sur le point auquel notre culture est devenue désensibilisée. Qu'elle vende cela comme un divertissement est un peu dérangeant. Mais combien plus dérangeant est le fait que la pornographie soit si largement acceptée comme "inoffensive" et "amusante" et "divertissante" ! Le sang dans ce film, la violence dans ce film, les coups et les bleus dans ce film étaient des effets spéciaux : ils n'étaient pas réels. Sans quoi l'acteur aurait probablement quelque chose à y redire !

Mais dans la pornographie, de vraies femmes sont pénétrées et utilisées et baisées et c'est sur elles ou en elles qu'on éjacule, pour de vrai. Pas d'effets spéciaux : les vagins et les anus et les bouches dans les gros plans font tous partie des "mannequins", les femmes qu'on vend. Quand cette femme a l'air de souffrir, c'est parce que ça fait mal, ça lui fait mal, pour de vrai, pas besoin de jouer un rôle. Qu'on lui donne parfois des lignes à répéter dans le film, disant que c'est bon, ne diminue pas ce fait, bien qu'il augmente sa peine.

Quand j'étais violée et maltraitée et que c'était filmé ou photographié pour le divertissement d'autres, pour faire gagner de l'argent à d'autres, c'était l'insulte finale, qu'on me fasse "sourire" ou dire que j'adorais ça. Je ne voulais pas dire ces choses, je ne voulais pas être là, je ne voulais pas sourire, ou au moins, essayer de sourire, ne sachant même pas si j'y arrivais où si j'étais en train de grimacer. Je me souviens avoir pensé, "je ne me souviens pas comment faire pour sourire".

Assise là devant mon ordinateur, sachant que ces images sont toujours là dehors, je vois que le mieux que je puisse espérer est que cette douleur, cette douleur réelle et cette souffrance réelle, soient reconnues. Mais assise là, je sais aussi que la pornographie devient de plus en plus acceptable, de plus en plus disponible, et de plus en plus extrême, car à mesure que les gens s'y accoutument, cela ne semble plus choquant, et quelque chose de nouveau, quelque chose de plus "hardcore", plus "choquant" est nécessaire pour obtenir le même "effet". Tout cela, combiné avec le fait que la pornographie soit bizarrement vue comme un fantasme, en dépit du fait que les femmes qu'elle utilise soient réelles, et qu'elle soit déguisée sous un langage de "droits" et de termes féministes, est profondément dérangeant.

Ça fait mal.

Cela nuit aux femmes directement impliquées. Mais cela nuit aussi aux femmes qui n'y sont pas impliquées. Ce que nous voyons a un effet direct sur la façon dont nous agissons dans nos vies. Donc si dans des magazines et des films pornographiques les femmes sont traitées comme des objets sexuels et traitées violemment, et si on fait croire qu'elles l'apprécient, et si la pornographie est maintenant largement vue comme acceptable, comme quelque chose dont les hommes ont besoin pour être des hommes, quelque chose d'inoffensif, alors nous normalisons un traitement des femmes qui ne devrait pas être normalisé. Nous rendons l'inacceptable acceptable. Si nous autorisons que certaines femmes soient traitées comme des poupées gonflables, rien de plus qu'un tas d'orifices à utiliser et maltraiter pour le plaisir des hommes, nous autorisons que toutes les femmes soit traitées ainsi.

Il faut que les femmes sachent cela. Il faut que les femmes voient que bien qu'elles ne soient pas dans ces photos ou dans ces films, cela touche leur vie aussi. Personne n'est immunisé. La prévalence de la violence envers les femmes le montre clairement. Si j'autorise que d'autres femmes soient vendues comme des objets sexuels, pénétrées, utilisées comme support de masturbation et puis jetées sur le côté, cela me mène à deux conclusions possibles, logiquement. Soit je dis qu'il y a une sous-classe de femmes qui sont d'une certaine façon différentes de moi, et donc c'est normal qu'elles soient traitées ainsi, mais pas normal pour moi. De cette manière je peux m'enlever du tableau, et dire : pas mon problème. Ou alors, je dois dire que la femme dans les photos est exactement comme moi, et que si c'est normal que cela lui soit fait, alors c'est normal que ça me soit fait à moi. Je me tiens à côté d'elle et dis : non, je ne voudrais pas que cela m'arrive, donc ça ne devrait pas être en train de lui arriver.

Je suis une de ces femmes dans ces photos, une de ces femmes dans ces films. Je ne suis pas différente de vous, lectrice. Je ris et je pleure, j'ai des espoirs et des rêves, j'ai une famille et des amis. Je suis une jeune femme de classe moyenne qui a découvert que la violence domestique, la toxicomanie, les viols et le proxénétisme peuvent arriver à tout le monde. Qu'être utilisée dans la pornographie peut arriver à tout le monde. Je ne suis pas spéciale ou différente, ou inhabituelle, en dehors du fait d'avoir traversé ça, d'y avoir survécu, et d'être en guérison et de trouver une voix pour en parler maintenant. Je parle pour toutes ces femmes qui ne le peuvent pas, pour toutes ses femmes sans voix, pour toutes ces femmes qui ne s'en sortiront pas.

Nous ne sommes pas obligées de laisser les futures générations de femmes souffrir ainsi.

dimanche 18 avril 2010

Vivre avec les conséquences

Ça fait un moment que je n'ai pas écrit... Récemment, j'ai dû me battre rien que pour survivre. Les sensations et souvenirs de mon passé m'ont submergée et ont menacé de m'enterrer.

J'ai l'impression d'être complètement passée à l'essoreuse.

Me battre pour avoir de l'aide, voir mon généraliste, sonner à toutes les portes pour essayer de trouver un thérapeute, et batailler, batailler tellement rien que pour sortir de la maison, pour laisser rentrer les gens, laisser les gens s'approcher assez pour me voir dans ma souffrance, telle que je suis, tremblant, pleurant, à terre.

Il est difficile de faire confiance aux gens quand on a été tellement blessée par eux, tellement abandonnée, par le passé.

C'est terrifiant de me laisser être aimée, parce que cela montre clairement que ce qui m'est arrivé était inacceptable. Si je suis importante, si Angel est importante, si elle mérite l'amour, alors je ne peux pas continuer à essayer de tenir la maltraitance à bout de bras, je ne peux plus me dire que ça n'a aucune importance parce que je n'ai aucune importance.

Cela signifie se rendre compte et ressentir à quel point j'ai été, je suis, blessée, par les coups, par la violence, par les viols et viols collectifs, par le fait d'être vendue et photographiée et filmée comme un divertissement, traitée comme moins qu'un humain, pour le plaisir d'autres.

Ça fait mal.

Tellement d'images ! Tellement de flashbacks ! Horrifiants, en images tout en couleurs, dans ma tête, dans mon sommeil et à mon réveil, mon corps douloureux et tremblant et pris de hauts-le-coeur et revivant tout, alors qu'il essaie de faire avec, de se soigner.

Si les défenseurs de l'industrie du sexe, les défenseurs de la pornographie et de la prostitution, pouvaient seulement voir à l'intérieur de ma tête, et voir la souffrance et les dégâts qu'elle m'a fait, et continue de me faire chaque jour, trois ans plus tard...

J'ai même peur de regarder la télé parce qu'il y a des chances qu'il y ait des références humoristiques ou désinvoltes à la violence envers les femmes où à l'objectivation des femmes.

J'ai tellement peur. Je fais la seule chose que je puisse faire, m'accrocher, là maintenant.

dimanche 4 avril 2010

Zone de guerre

Et je me retrouve dans cet endroit à nouveau. En guerre avec moi-même, en guerre avec mon corps, corps et esprit à l'apogée de leur conflit. Même mon esprit est en conflit, une série de disputes, des voix fragmentées qui rivalisent pour obtenir de l'attention, vociférant pour que je les écoute, pour que j'agisse sur elles. Logique contre sentiments, addiction contre valeurs, autocritique contre mon côté plus indulgent, compatissant.

Il est difficile de voir quoi que ce soit au-delà de moi, au-delà de ça, des images et scénarios qui rejouent devant mes yeux, difficile d'entendre les voix de mes amis quand les voix qui se battent dans ma tête les noient. Le monde fait du bruit autour de moi mais je suis perdue et désorientée, habitant le passé, et terrifiée par le futur.

La seule constante, c'est la peur.

Je tremble et mon coeur bat à toute vitesse et mes pensées vont à toute vitesse, se pourchassant les unes les autres en cercles, encore et encore, prenant de l'élan, devenant encore plus confuses. Les mots commencent à courir en même temps, je perds mes mots, je me sens comme je me sentais alors, et c'est terrifiant et c'est tout et c'est rien et c'est sombre et c'est emmêlé et c'est tordu.

Un noeud dans mon estomac.

Un resserrement dans ma gorge.

Un manque d'air étouffant.

Je ne peux pas penser. Pas parler. Pas bouger.

Terrifiant. Désespérance, noirceur, désespoir, souffrance, perte, impuissance.

Je ne peux pas me connecter. Seule toute seule, encore plus seule en compagnie.

Même quand c'est immobile, quand ça se calme, c'est toujours présent, rôdant au fond, une présence sinistre, menaçant de balayer une prise fragile sur la réalité.

Alors, existant à travers la souffrance, à travers la violence, prise dans le cycle, j'ai nommé cet endroit La Fosse. Je me disais, une fois que tu es là-dedans, tu n'en ressors pas, ma petite, jamais.

Puis j'avais revu mon opinion.

Mais maintenant... Je m'y reconnecte comme si je n'en étais jamais partie.

vendredi 26 mars 2010

Angel, Emma et moi : trouver une voix

Hier, j'ai partagé mon histoire avec une audience à Londres. Je n'avais jamais parlé de mon expérience devant un groupe comme ça avant, et j'étais terrifiée, bien qu'on me dise que ça ne s'est pas vu. J'oublie parfois que ce que je ressens, et ce dont je crois que j'ai l'air, et ce dont j'ai réellement l'air aux yeux des autres sont souvent des choses très différentes ! J'ai utilisé un pseudonyme, Emma, mais tout de même, parler de ce que j'ai souvent appelé l'indicible, était intimidant. Quand on m'a demandé pour la première fois si je pouvais considérer l'idée de parler, j'ai dit non : la peur s'est mise en travers du chemin. Mais après y avoir repensé, j'ai réalisé quelle grande chance c'était de pouvoir être entendue, de faire quelque chose, si petit que ce soit, pour avoir une voix. Alors j'ai accepté.

Je suis tellement heureuse de l'avoir fait !

Quand j'étais en plein milieu de tout ça, prise dans la violence, l'addiction, la boisson, la prostitution, j'étais muette. Tout simplement, je n'avais même pas le vocabulaire pour former une narration de quelque sorte que ce soit. Les mots ont cessé de faire justice à la souffrance, la honte, la confusion et la terreur que je ressentais. Ne faisant confiance à personne, je suis devenue une boule de sentiments, une masse d'émotions embrouillées, de pensées en désordre, d'instantanés disloqués. Quand tu es isolée de tout sauf des hommes qui t'utilisent et abusent de toi, mais qui te disent que tu aimes ça, que ta place est ici, tu perds pied avec la réalité. Doutant de toi, te haïssant pour ton insuffisance (honteuse de ta toxicomanie, et il te rappelle tous les jours que tu le pousses à te faire ça, que tu ne pourrais rien faire sans lui, que tu es chanceuse que quelqu'un t'aime malgré toutes tes tares), tu n'as plus aucun recul. Ce qu'ils te disent à propos de ta réalité et ton expérience de la réalité sont deux choses différentes. Tu deviens confuse. Il te manque une validation.

Même quand tu en sors, si tu en sors, tu continues d'être invalidée. Tu allumes la télé et on te dit que le "travail" du sexe est drôle, que c'est de l'argent facile, juste un job. Les magazines te disent la même chose, même les magazines féminins. Quand où que tu te tournes on te dit que vendre ton corps est amusant, que ça te donne du pouvoir, de la liberté, que c'est inoffensif, et même féministe, tu apprends rapidement que toi et ton histoire n'êtes pas acceptables. Avant même que tu ouvres la bouche, on te met sur la défensive. Tu risques l'étiquette "prude", "conservatrice", "moraliste", "qui juge", en osant simplement dire, attendez une minute, ce n'était pas comme ça pour moi.

Tu apprends rapidement que les gens qui t'ont fait du mal, qui ont fait de l'argent sur ton dos, ne sont qu'une petite partie d'un plus grand tableau, une histoire ingénieuse que l'industrie du sexe nous a raconté, nous a vendue, dans laquelle ils sont les gentils, défenseurs des droits des femmes, et ceux qui les critiquent les méchants. Incrédule, tu les écoute détourner le langage du féminisme, une cause qui est censée protéger et promouvoir des pratiques pour s'attaquer aux inégalités, pour arrêter les maltraitances, pour améliorer les droits des femmes, à leurs propres fins. Et en faisant cela ils ont amassé le support dénué de critique du courant dominant. Tu vois des gens, d'autres femmes, des femmes modérées dans d'autres domaines, défendre les mêmes gens qui t'ont fait souffrir, se battre pour le "droit" des femmes à expérimenter ce dont tu as fait l'expérience ! Ou au moins, ce dont elles croient que tu as fait l'expérience, ce qui est quelque chose de complètement différent. Tu te sens seule.
Tu es frappée par l'absence de discours personnels dans le débat autour ce qui est certainement la plus personnelle des expériences, être utilisée dans la prostitution et la pornographie. Tu découvres que ces défenseurs de la "liberté d'expression", du "libéralisme" et des "droits" ne semblent pas capables d'écouter quand tu parles de ton expérience, de souffrance, d'absence de choix, de fluides corporels et de peur et de dégradation et d'exploitation. Le langage aseptisé que l'industrie adopte autour de ses pratiques - "filles, clients, escortes, business, travailleuses, mannequins, actrices", met une distance confortable entre la majorité des femmes, qui n'en ont aucune expérience directe, et la réalité. Les gens qui défendent des images de femmes, jambes ouvertes, pénétrées, comme des "droits" (en parlant au nom de nous les femmes ! merci pour ça...), réagissent avec colère ou embarras quand vous dites la vérité : "j'étais violée" ou "je détestais ça".

Tu vois que tu dois batailler rien que pour être entendue, pour être remarquée. Utilisée, jugée, et finalement écartée ("elle a des problèmes de santé mentale tu sais"), laissée à te taire et à faire avec les cicatrices mentales qui menacent de te submerger, tu te demandes, parfois, si tu vas pouvoir continuer encore longtemps.

Quand tu es dedans, tu te retrouves à collaborer avec le mensonge, à dire aux types qui te font mal, qui te touchent, qui te baisent, que c'est bon, que tu aimes ça. Ce n'est pas assez pour eux de te maltraiter, ils exigent d'entendre que tu en veux. Souris, bébé ! Et piégée comme tu l'es, désespérée comme tu l'es, en besoin d'argent comme tu l'es, tu le dis. Il te donne de l'argent, et tu apaises sa conscience, tu masses son ego. L'ultime trahison, tu as l'impression de t'être vendue, corps et âme.

Alors avoir la chance aujourd'hui de faire passer la vérité, de lui donner une voix, c'est génial. Ce n'est pas une évidence. Cela me fait me sentir... chanceuse. Incroyablement chanceuse. Il y a eu tellement de moments où j'ai pensé que je n'y arriverais pas, que je n'allais pas en sortir vivante, avec la violence et la toxicomanie...

Rien que d'être vivante après la prostitution, après la violence, c'est stupéfiant. Toutes les femmes n'y parviennent pas. Mais d'avoir les mots maintenant, si maladroits qu'ils puissent être parfois, et si inadéquats qu'ils puissent sembler pour communiquer cette souffrance, est un miracle. Cela fait trois ans et cela m'a pris tout ce temps pour commencer à articuler ce chapitre de ma vie. Quand j'ai commencé à être sobre, je ne pouvais même pas mettre de mots sur mes sentiments, j'avais tellement pris l'habitude de cacher ce que je ressentais. Mes émotions étaient juste un énorme fatras, et incroyablement, terriblement crues. Cela demande un peu de démêlage ! Et puis ensuite rassembler une espèce de narration de ce qui m'est arrivé, avec tous les blackouts et les trous... Ç'a été un lent et douloureux processus, et qui continue comme des souvenirs continuent de refaire surface et les émotions réprimées émergent et demandent de l'attention.

Qu'on me donne une chance de parler, plutôt que de me dire de fermer ma gueule, c'est... vraiment libérateur. Avec tout son discours sur la liberté d'expression, l'industrie du sexe met une sourdine sur les femmes qu'elle utilise, elle vend leurs corps et ensuite met ses propres mots dans leurs bouches pour la justifier.

La seule façon de faire changer cette situation, et je crois qu'elle peut changer, c'est que les gens soient préparés à se lever, à prendre un risque, à parler, à joindre leurs forces. Nous devons soulever les bases du débat de l'abstraction à la réalité, où il a sa place. C'est en montrant la réalité de l'industrie du sexe, en parlant le langage concret de notre humanité commune, en parlant de la souffrance physique et émotionnelle qu'elle crée, que nous changerons les choses.

Ce fut un réal cadeau d'être appelée à parler hier. Retrouver des femmes d'Object et de UK Feminista qui agissent, se battent pour le changement, j'ai reçu un espoir nouveau. Ça ne doit pas forcément être ainsi.

Esprit, Corps... et Moi

Plus présent que le présent, plus réel que le réel, je revis ce qui m'est arrivé, au fur et à mesure que certains des blackouts, certains des blancs, se remplissent à nouveaux... Je me retrouve "déclenchée" et soudainement transportée là bas, dans tous ses détails en technicolor. J'attends qu'on vienne me faire descendre en bas des escaliers pour performer pour eux, pour les amuser, et je tremble et je me balance d'avant en arrière, déconnectée de mon corps et à la fois étrangement consciente de chacune de ses sensations. C'est comme si j'étais à deux endroits en même temps - dans la peur maladive que je sens vibrer dans chaque cellule de mon corps, mais aussi à distance, observant, dans un esprit vide de tout sauf de la peur. La peur consume tout.

Mon esprit et mon corps cessent de travailler pour moi. Je me sens à la fois engourdie et en dehors de mon corps mais aussi plus substantielle que d'habitude. Mon corps semble être devenu un poids mort, ne répondant pas à mes commandes. Il semble étrangement lourd, alors que mon esprit semble léger et flottant. Mon esprit ne peut pas réfléchir, ne peut pas penser droit.

Cela va au-delà des larmes, au-delà du mouvement. Je suis assise et je regarde sans voir : je ne peux rien faire d'autre. Quand il m'ordonne de descendre les escaliers, je ne peux pas bouger. Je regarde cette scène de façon détachée, je vois que ça va empirer pour moi parce qu'il va voir cela comme une désobéissance. Avant que mon esprit se rattache à mon corps avec cette façon saccadée qu'il a de le faire, je suis un observateur impuissant. Dans ce cahot, je me retrouve soudainement à voir à travers mes yeux, à entendre clairement, non plus un voyeur, de retour dans mon corps, une cascade de sensations physiques à la fois désorientantes et écoeurantes.

Parfois l'alcool et les drogues en sont responsables. Mais la peur, à l'intensité à laquelle j'en fais l'expérience, a le même effet. J'ai une certaine idée de ce qui va arriver.

Et maintenant, des années plus tard, je me retrouve à ressentir certaines des choses, à voir certaines des choses, face auxquelles mon esprit s'était battu tellement fort pour tenter de m'en distancier à ce moment là. Des images déconnectées, comme des projections sur un grand écran, apparaissent devant mes yeux, masquant la réalité présente. Je suis transportée, je me retrouve là-bas à nouveau, sans aucun avertissement. À regarder l'intérieur d'une cuvette de toilettes et la nausée quand je vomis avant qu'ils m'utilisent. Un homme approchant un bandeau en direction de mes yeux. Une pièce dans la semi-obscurité et des lumières fortes et des silhouettes autour. Une image particulièrement dérangeante qu'il me montre dans un magazine porno pour me montrer comment faire. À regarder sans comprendre ce reflet dans le miroir, une femme que je ne peux même pas reconnaître comme étant moi, contusionnée et saignant, alors qu'il me tient debout en me tenant par les cheveux et crie et me secoue comme une poupée de chiffon.

Souffrance avant, souffrance maintenant, moi mais pas moi, présent mais passé. Mon esprit et mon corps bataillant entre leur séparation en partie choisie et en partie inconsciente, et la connaissance que nous ne sommes qu'un et que nous devons nous réintégrer pour guérir. En guerre avec moi-même, je lutte pour manger, lutte pour accepter mon corps tel qu'il est, avec ses cicatrices, son passé, ses associations. Le sens commun me dit de laisser le reproche, la colère, là où elle a sa place - avec les hommes qui m'ont maltraitée. Mais assise en dehors de moi, comme je me retrouve si souvent, dissociée, je lutte et j'ai mal, ressentant la trahison duelle d'un esprit et d'un corps qui n'ont pas pu me secourir, pas pu me garder à l'abri, n'ont pas pu arrêter ce qui s'est passé.

La souffrance ne peut même pas commencer à décrire cela.

samedi 6 mars 2010

Du pain et des jeux

Les Romains avaient un dicton : "donnez leur du pain et des jeux". Ce qu'ils voulaient dire par là, c'est que tant que le peuple que l'on gouverne est nourri et diverti, tout va bien. Le statu quo, la survie de Rome en tant que pouvoir régisseur, reposait sur cette croyance (parmi d'autres).

Récemment, j'ai réfléchi aux jeux, aux cirques... une discussion par e-mail avec une ex "féministe libérale", maintenant sortie de cette école de pensée où la porno et le lapdance et l'escort sont juste un peu de divertissement, a déclenché une réflexion chez moi. Il semble aussi qu'il y ait finalement eu ces derniers temps une série d'articles dans la presse nationale parlant sérieusement de la pornification de la société et de ce que cela signifie vraiment pour nous et la prochaine génération.

J'en suis venue à penser, que les animaux au Royaume Uni et aux Etats-Unis sont mieux protégés par la loi que les femmes. Réfléchissez-y pendant un instant si vous le voulez bien... supposez qu'une personne filme un animal, retenu contre le sol sous les rires et les moqueries pendant que quelqu'un fouille son anus et ses organes génitaux, et y insère des trucs, des objets larges en particulier, et le baise brutalement et longuement avec, et rit de plus en plus quand ils font des gros plans dessus à la fin, pour lui pisser dessus en tant que bouquet final.

Une telle personne serait, logiquement, mise en prison.

Voilà une autre image pour vous. Une femme est filmée pendant qu'on lui insère de larges objets dans l'anus et le vagin. Elle est baisée brutalement avec, et le caméraman et l'homme ou les hommes dans la vidéo rient pendant qu'ils font ça, ils la forcent à rester ouvertes pour des photos "béantes", ils la baisent analement, oralement, vaginalement, et puis pour le bouquet final il pissent sur elle ou en elle et éjaculent sur son visage.

Que devient le caméraman dans ce cas ? La personne qui filme ça n'est pas poursuivie par la loi. Aucun policier ne va se présenter au pas de sa porte ! À la place, il va la marketer, l'ajouter à une collection grandissante de vidéos d'autres femmes sans nom, et la vendre. Et il en tire profit ad infinitum. Non seulement est il assuré qu'il ne sera pas arrêté pour ça, mais en plus il sait qu'il est supporté dans ses efforts par une énorme clameur de voix appelant à la "liberté d'expression" - quoi que cela puisse vouloir dire dans ce contexte - et en faveur de la pornographie.

Ok, le mot "choix" entre ici dans le débat. Peut-être que cette femme, ces femmes, ont choisi de se mettre dans ces situations. Certainement, l'élément de coercition est moins intrusif dans ce cas. Dans notre exemple de l'animal, on pouvait voir qu'il était retenu, ou encagé. Je voudrais cependant dire que certaines cages ne sont pas aussi visibles, mais pour autant, elles sont tout aussi réelles. Si une femme apparaît dans la pornographie, apparemment libre (pas attachée, ni enchaînée etc.), et particulièrement si cette femme sourit à un certain moment, ou dit des répliques exprimant qu'elle aime ce qui lui arrive, on dit, voit, clairement, qu'elle l'a choisi. Elle aime ça ! Je peux acheter et regarder ça avec la conscience tranquille.

Regardons encore. Est-ce que la coercition, l'absence de choix, l'absence de liberté, sont vraiment si faciles que ça à repérer ? Est-ce qu'un sourire ou une absence de contrainte physique évidente dans la pornographie ou la prostitution nous donnent vraiment les bases pour dire, tout va bien ici, on continue ?

Une telle approche serait beaucoup trop simpliste. Cela ignorerait la situation d'ensemble.

Alors quelle est cette situation d'ensemble ? La réalité c'est que, ici en 2010, les femmes ne sont toujours pas à égalité financière avec les hommes. L'industrie du sexe veut constamment de nouvelles femmes, de la nouvelle "viande", parce que votre "utilisateur" moyen veut voir de "nouvelles têtes" (ou de "nouvelles chattes"). Les femmes qui travaillent dans l'industrie du sexe semblent souvent épuisées au-delà de leur âge et ce n'est pas ce que les "utilisateurs" veulent, l'industrie mâche les femmes et les recrache, endommagées physiquement comme émotionnellement. Il y a un fort taux de turnover puisque les femmes sont utilisées et jetées. Alors en réalité il est extrêmement facile de trouver un emploi dans l'industrie du sexe. L'âge, le poids et l'apparence, les capacités intellectuelles, l'accent... rien de tout cela n'importe, si tu veux bien te mettre à poil, il y aura un marché pour ça, et quelqu'un qui te vendra. Si les femmes ont besoin d'argent pour vivre, et que les autres jobs ne sont pas aussi facilement accessibles et disponibles pour nous que le "travail du sexe", dans quelle mesure avons-nous le choix ?


L'industrie du sexe gère également son image publique avec soin... les magazines féminins parlent d'escortes de "haute classe" qu'on emmène dîner, etc. L'aspect minable de la réalité est coupé, ou rendu fantastique (littéralement : fantasmé). Des stars du porno très bien payées disent à quel point il est génial d'être payé pour quelque chose de tellement "amusant" - dire quoi que ce soit d'autre pourrait leur coûter leur job. Pour ce qui est du "mannequinat glamour" - même le langage l'assainit et le fait sonner comme respectable, glamour. Comme je l'ai argumenté en plus grand détails dans des posts précédents, l'industrie de la pornographie tout entière prospère sur le mensonge disant qu'elle est inoffensive, rien que du divertissement. Aucune mention aux profonds dommages mentaux et physiques que les femmes dans l'industrie endurent généralement (voir le site Object, www.object.org). Si les femmes sont formées à penser que le "travail" du sexe n'est qu'un amusement inoffensif, la réalité étant cachée jusqu'à ce qu'elles soient en train de la vivre, dans quelle mesure avons-nous le choix ?


Beaucoup de femmes dans l'industrie du sexe ont des problèmes de santé mentale. Parfois ces problèmes incluent des addictions à des substances. La toxicomanie a trois effets majeurs qui mènent à rendre les femmes hautement vulnérables au "travail" du sexe :
  1. Une addiction active nécessite une source constante d'argent, et le désespoir d'obtenir un fix peut te mener à faire n'importe quoi, même des choses que tu hais et qui te font du mal : l'addiction consume tout.
  2. L'addiction change la perception et le niveau de conscience, désinhibe, engourdit, et abaisse la vigilance. Cela rend quasiment impossible la conservation d'un emploi habituel, donc tu as besoin d'argent mais tu ne peux pas avoir un job normal. Cela te laisse également vulnérable à l'exploitation sexuelle (à cause des blackouts) et cela signifie que tu n'es pas toujours consciente de jusqu'à quel point tu as été maltraitée. Les femmes piégées dans la toxicomanie peuvent entrer dans la pornographie ou vendre leur corps comme prostituées initialement pour avoir de l'argent, mais finissent par avoir besoin d'utiliser de plus en plus hautes doses de drogues pour bloquer la douleur physique du sexe prolongé et brutal, et l'humiliation. Cela nécessite en retour encore plus d'argent, et le cycle continue. En même temps, la capacité à prendre soin de la sécurité de base, i.e. utiliser des préservatifs, devient compromise, et la violence et l'exploitation augmentent.
  3. La toxicomanie et la haine de soi / la basse estime de soi vont main dans la main. La honte de l'addiction, avec toute son inacceptabilité sociale, peut mener une femme à penser qu'elle mérite d'être traitée comme un objet, utilisée, maltraitée et vendue.
Si des femmes sont piégées dans une addiction active, et stigmatisées pour cela et qu'on ne leur donne aucune aide pour s'en sortir, dans quelle mesure avons-nous le choix ?


La honte de l'addiction et la dissimulation qui l'entoure (ou qui essaie de le faire !) sont une préparation pour la dissimulation et les sentiments de honte qui émergent quand on "travaille" dans l'industrie du sexe. Bizarrement, en tant que société, notre pensée n'est pas du tout cohérente autour des femmes qui sont utilisées dans la pornographie et qui "travaillent" comme prostituées. Malgré des discours sur l'empowerment et la liberté d'expression et la libération et le choix, la réalité c'est que les défenseurs et utilisateurs de la pornographie et de la prostitution voient ultimement les femmes uniquement comme des objets sexuels - achetés pour se branler dessus ou pour un soulagement rapide. Alors bien que ces gens louent publiquement et à très haute voix la pornographie et son supposé "libéralisme", leur usage et achat des femmes comme des objets produit quand même des sentiments négatifs pour les femmes impliquées.

Personnellement, je me suis sentie humiliée, exposée, dégradée, objectivée, utilisée (d'abord par le pornographe, puis à nouveau par les consommateurs), jetée, et vraiment, vraiment blessée. La blessure était physique et émotionnelle en même temps, et quand la douleur physique cessait, la douleur émotionnelle grandissait. J'ai toujours des douleurs physiques, qui font partie du Syndrome de Stress Post-Traumatique dont je (et beaucoup de survivantes de l'industrie du sexe) souffre. J'ai des flashbacks, je lutte avec la nourriture, et avec l'image de mon corps, je n'aime pas être touchée, parfois je souhaite être invisible. Je fais des cauchemars où tout ce que j'ai vécu m'arrive encore. Où je suis humiliée et terrifiée et blessée, et où je cours mais sans jamais pouvoir m'enfuir. Tout comme dans la réalité. J'entends des gens qui argumentent en faveur de la pornographie sur un mode prétendument savant et libéral, riant et blaguant à propos des corps des femmes comme moi, parlant avec un langage mais agissant avec un autre.

Je continue de penser certains jours, quand un type me regarde, a-t-il vu des photos ou des vidéos de moi ? Assise devant mon psychothérapeute, j'y pense à nouveau. Ou cet homme ? Ou celui là ? La pornographie a une longue durée de vie en étalages, et une fois qu'elle y est, une fois qu'elle est entre les mains du pornographe, il n'est pas question de la reprendre ! C'est une chose avec laquelle moi et chaque femme qui ait jamais été photographiée ou filmée doit vivre chaque jour. Le pouvoir de l'inégalité est évident, parce qu'il peut me voir, et je ne peux pas le voir. Il peut m'acheter et me regarder intimement, et je ne pourrais même pas le reconnaître.

Dans les photos qu'ils ont prises de moi, les vidéos, la violence, l'absence de choix, n'étaient pas toujours évidentes. Bien sûr, parfois ça l'était. Mais d'autres fois, la menace de la violence toujours présente, et ses avertissements résonnant dans mes oreilles, je mettait le masque et j'étais selon ses mots une "bonne fille". Tu ne seras pas battue ce soir si tu prends ça comme tu le devrais ! Souris, couvre la douleur, quand ils te baisent dans le cul, ou que tu subis une double pénétration, respire et ne tombe pas dans les pommes, n'aie pas l'air d'avoir mal. Parfois je suppose que j'ai du avoir l'air complètement ailleurs, avec l'alcool et les drogues. D'autres fois, en revanche, vous n'auriez peut-être rien vu. Je n'ai jamais fait d'injections donc il n'y avait pas de marques. Et il me donnait des gants sans doigts qui montaient jusqu'au coude, à porter quand l'automutilation sur mes bras était visible. Parfois il me faisait recouvrir les bleus causés par les coups, et il m'aidait, tamponnant du maquillage dessus, il y en avait beaucoup et souvent hors d'atteinte pour moi. D'autres fois, cependant, ils laissaient les bleus visibles, parce que dans un marché particulier, ça vend.

Les autres problèmes de santé mentale dont souffrent si souvent les femmes dans la pornographie et la prostitution sont aussi cachées. Beaucoup de femmes dans l'industrie du sexe ont été abusées sexuellement quand elles étaient enfants. Beaucoup ont une estime d'elles mêmes très basse, et sont à l'âge adulte dans des relations violentes. Beaucoup ou même la majorité ont un trouble de la personnalité borderline. Si des femmes ont des problèmes de santé mentale, et un accès inadéquat aux services de santé mentale, et qu'elles sont stigmatisées si elles essayent d'y accéder, dans quelle mesure avons nous le choix ?


Et nous en revenons ainsi à notre point de départ, que les animaux sont légalement mieux protégés que les femmes. Cela continuera d'être le cas à moins que nous nous débarrassions de la stigmatisation autour des maladies mentales, de la toxicomanie, et de la violence contre les femmes. Cela sera le cas aussi longtemps que les femmes qui entrent dans l'industrie du sexe, et ceux qui défendent cette industrie et en achètent les produits, croient aux mensonges tissés par ceux qui se font de l'argent, que c'est amusant, juste un job comme un autre, un moyen facile de se faire de l'argent. Et ce sera le cas jusqu'à ce que nous soyons préparés à admettre que les inégalités de genre continuent à exister, bien que cachées par l'usage intelligent du langage de l'industrie du sexe, qui parle de choix avec tant de désinvolture. Jusqu'à ce que nous réalisions l'absence de choix qui force tant de femmes à entrer dans l'industrie du sexe, jusqu'à ce que nous cessions de rejeter les voix des femmes qui ont survécu et qui racontent leur vérité, qui disent que cette industrie blesse les femmes et les traite comme moins que des animaux, les générations futures de femmes continuerons à s'y retrouver piégées. Nous les aurons, littéralement, vendues.

vendredi 5 mars 2010

Juste un job ?

C'est juste un job
comme n'importe quel autre
ont-ils dit

Et - boum !
ce mensonge
l'a abattue
morte

Ils riaient
en la blessant
ils ont joui quand elle
a saigné

Ils n'écoutaient pas
quand elle disaient
Non ! arrêtez s'il vous plait.
J'ai peur.

À la place
Ils lui ont dit
qu'elle aimait ça
ils ont niqué
son esprit

Ils lui ont dit
que c'était là qu'elle
avait sa place -
sur un lit

Ses hématomes
restaient cachés
Sa dignité
déchiquetée

Ils l'ont attrapée
et l'ont fait payer
encore pire
quand elle a fui

Elle vivait l'horreur
et la souffrance
une vie passée
dans la terreur
Elle est morte seule
droguée
C'est là
que "juste un job" l'a menée.

vendredi 26 février 2010

Peins-moi un tableau

Quand tu me regardes, qu'est-ce que tu vois ?
Le pornographe te peint un tableau :
Mes seins, nus pour ton plaisir
Mes jambes, écartées pour montrer que j'en veux
Mon vagin, ouvert pour ta jouissance
Mon anus, lubrifié et prêt
Ma bouche, peinte en rouge, lèvres légèrement écartées.
Allumeuse
Qui attend, attend tout entière,
D'être comblée, de te servir,
De servir ta bite.

Crois-tu que tu me voies tout entière ?
(Et je ne parle pas des gros plans)
Ou est-ce que tu vois seulement les "trous" en moi ?
Il te montre mon intérieur - l'anatomie
Mais il ne veut pas que tu voies mon véritable intérieur :
C'est caché
Recouvert de peinture.

Laisse moi te peindre un autre tableau.

Je suis un être humain
Qui avait des espoirs et des rêves
Avec une famille, une histoire.
Qui ressent et pense et mange et dort
Et chie
Comme n'importe quel autre.

Peut-être que tu ne me connais pas
Mais tu ne peux pas te permettre de resté détaché.
Si j'étais ta soeur
Ou ta mère
Me traiterais-tu de la même façon ?
Pourrais-tu me traiter de la même façon ?
Comment te sentirais-tu, sachant
que d'autres hommes font de l'argent sur moi
Ont fait des appréciations sur moi
Ont mis un prix sur moi ?
Que d'autres hommes achètent mon corps
et se branlent sur moi
Peut-être cet homme dans la rue
Ou celui-là ?

Je vis avec ça chaque jour.

Laisse moi te peindre un tableau
Un instantané de mon monde
Un jour dans ma vie
Sans censure

Sous l'épaisseur de maquillage
Il y a des cercles noirs autour de mes yeux
Je ne dors pas bien la nuit
Sachant ce qui m'attend -
Une autre journée à me déshabiller
et à poser et à faire la moue
et à faire semblant que j'aime ça
veux ça
suis ça
À genoux et sur mes mains
Exposée
Dégradée
Comme ces hommes me donnent des instructions
Me dirigent
Me poussent
À des choses toujours plus explicites, toujours plus douloureuses.

Dignité
Humanité
Respect de soi
Disparus depuis longtemps

L'alcool et les drogues
Le besoin désespéré d'argent
Pour un fix
Qui me piège ici
Ma haine de moi
et l'homme qui l'alimente
Qui m'a frappée
et m'a violée
et m'a vendue
et a vendu cette image de moi
à moi :
Une rien
Un ensemble de trous
Une salope stupide
Qui a sa place ici
et ne mérite rien de plus
que ton rire
ton mépris
tes fluides corporels

Les vérités dégoûtantes
n'ont pas leur place dans le tableau
que tu décides de voir.

Mais c'est mon tableau
Ma raison d'être ici
Toujours présent
Mais caché de toi si facilement
Avec ta complicité
Derrière le maquillage
Derrière le sourire.

Je te vois, riant de moi
ou commentant mon corps
et te branlant sur moi
Là piégée dans mon existence à deux dimensions
Toi et ton discours sur les droits et les choix !
Mais me vois-tu ?
Vas-tu me voir ?
Je veux que tu me voies
Le tableau entier
Et que tu n'achètes plus jamais
Cette fausse image
L'image du pornographe.