dimanche 25 septembre 2011

Lui ou moi ?

Je fais dois souvent faire face à la colère ces jours-ci. Très souvent. La colère est vicieuse. Une grande partie de moi me tient pour responsable quand les gens me traitent mal. Je sais, quelque part, à un niveau logique, que ce n'est pas vrai, que quand les gens agissent mal envers moi ou abusent de moi, c'est leur faute, leur responsabilité. Mais je ne le ressens pas. Je le sais mais je ne le ressens pas.

Le problème, c'est que ce qui se passe maintenant est rendu confus par toutes ces merdes venues du passé que cela fait resurgir en moi. Mon Syndrome de Stress Post-Traumatique est en surchauffe en ce moment. Ayant vécu avec un homme qui me cassait la gueule, et qui m'a vendue à d'autres hommes, et ayant rencontré encore plus de violence quand je me suis prostituée, je trouve que la colère - les cris, les silences lapidaires, le langage corporel agressif, et même le sarcasme - refait surgir tout ça. Je me détache rapidement, ou je m'évanouis. Je ne sais plus si la voix que j'entends appartient à la personne en face de moi, à mon ex ou à moi-même.

Je suis allée à l'IDAS (Independant Domestic Abuse Services) pendant un moment depuis que je suis sobre, et ils m'ont vraiment martelé et fait rentrer dans la tête que quoi qu'il arrive, tu ne peux pas pousser quelqu'un à te frapper. Chacun a le contrôle de ses poings. Je sais de ma propre expérience que quand je suis vraiment très en colère, je pourrais être violente si je le voulais ; je choisis simplement de ne pas l'être. Je me bats passionnément contre ceux qui disent aux victimes de violence, de viol, que c'était leur faute. Quand j'imagine n'importe qui recevant une telle violence, je peux voir que cette idée est complètement bidon.

Et pourtant quand il s'agit de moi, je n'en suis plus si sûre. Je suppose que cela tient au fait que j'ai tellement internalisé ce que mes abuseurs m'ont dit : que je l'ai mérité, que je suis la cause de tout ça, que je devrais me considérer chanceuse qu'ils aient été si généreux envers moi (quelle générosité, hein). Et avec toute la haine de soi et l'auto-destruction, c'est resté. C'est resté dans ma tête : c'est moi le problème. Je suis un putain de gros problème. J'attire les ennuis, je cause les ennuis, je prends de mauvaises décisions, nom d'un chien ce que je prends de putain de mauvaises décisions. J'envoie les mauvais signaux et je pousse les gens à me frapper. Je me fais tout ça à moi-même.

Les jugements que j'ai reçus de la part de professionnels au cours de la violence sont restés aussi. Ma faute ! Je devrais tout simplement le quitter. Je ne compte pas de toute façon, je ne suis qu'une alcoolo. Après une autres discussion avec la policière, je me souviens avoir dit "vous pensez vraiment que je veux aller au tribunal et être déchirée en lambeaux par le conseil, parce qu'avec mes problèmes de drogues, mon historique de santé mentale et avec la façon dont notre système traite les victimes de viol et de violence conjugales, je n'ai pas le moindre espoir là-dedans". Même s'il était condamné, à quel prix ? Ma honte et ma faiblesses affichées pour que tout le monde puisse les voir et les juger. Cela m'aurait détruite.

Et je me souviens que la policière a dit, et s'il fait la même chose à quelqu'un d'autre ? Et que j'ai pensé que ça ne servait à rien d'essayer de répondre à ça. S'il le fait à quelqu'un d'autre, ce sera sa faute, pas la mienne. Je ne suis pas une sorte de complice, responsable de lui d'une manière ou d'une autre. Merde, je ne peux même pas arrêter ce qu'il me fait à moi toute seule, alors m'interposer pour sauver quelqu'un d'autre...

Alors j'ai pensé, comme je le pense maintenant, quel système pourri. Et quels dégâts faits par cette perception erronée. Et voilà où j'en suis, quatre ans et demi de sobriété, et essayant de travailler à prendre soin de moi, à ne pas me haïr, à rassembler les lambeaux de ma personne, et j'entends une voix dans ma tête qui me dit que si cette personne m'abuse, ici et maintenant en 2011, c'est ma faute ! Une grande partie de moi me méprise toujours, me blâme toujours. Progression lente. Mes différents fragments, les effets de bords de la dissociation, du détachement à cause du trauma, me disent des choses différentes. La voix qui est là à un moment donné, la personne que je suis au moment où le déclenchement a lieu, dictent ma réponse. Ma faute - pas ma faute. C'est lui la merde - c'est moi la merde. Son problème - mon problème. Je mérite d'être aimée - je mérite d'être frappée.

Je ne dors pas, ce qui n'aide pas. Je me sens coincée dans le passé. Et confuse, tellement confuse avec l'enchevêtrement de pensées, avec les fragments. Pourtant, je reste clean et sobre, donc je suppose que c'est un progrès. Toute cette histoire d'esprit/corps met un peu plus de temps à avancer.

samedi 10 septembre 2011

Faire ou ne pas faire confiance


En ce moment je bataille vraiment avec la confiance. C'est le genre de chose qu'on ne remarque pas dans ses interactions avec les autres jusqu'à ce qu'elle disparaisse et qu'on se retrouve à avoir l'impression que toute cette histoire de communication avec les autres, d'interaction avec les autres, est un labyrinthe et un cauchemar. Sur le chemin de la guérison, par un énorme effort conscient de ma part, ma capacité à faire confiance a augmenté un petit peu. Jusqu'à ce que je commence une thérapie, ma confiance était détruite. Je ne faisais confiance à personne, homme ou femme. Je me sentais vendue, trahie, pas seulement par les hommes qui abusaient de moi mais par le système tout entier, la façon dont notre société tout entière s'est blindée pour rester aveugle à toute cette maltraitance et pour la classifier comme un divertissement. J'étais en colère contre cette vision de classe moyenne dans laquelle j'ai été élevée, qui m'avait laissée tellement complètement sans défense face à ce qui m'est arrivé, au point de n'avoir même pas le vocabulaire pour le décrire. Prostituer. C'est un mot qui ne m'est venu que deux ans après être redevenue clean et sobre. Mon ex m'a prostituée. Sur le moment, avec la peur et à travers la brume des drogues et de mes blessures à la tête, je n'aurais pas pu dire ce qu'il était en train de se passer. En fait, j'ai largement perdu ma capacité à parler tout court. Viol. En voilà un autre. Je crois que comme beaucoup de gens j'ai grandi en croyant que le viol était quelque chose que seuls des étrangers pouvaient commettre. L'idée qu'un partenaire puisse me violer, et ce fréquemment, ainsi qu'un cercle d'autres dont certains m'étaient familiers, était tellement hors de ma sphère de compréhension que je ne pouvais pas l'intégrer. C'est un mot que je ne peux toujours pas dire à voix haute. Je pourrais peut-être à la limite dire "m'a forcé à avoir une relation sexuelle".

Les professionnels que j'ai rencontrés au milieu de tout cela ont renforcé cette confusion, et multiplié mon sentiment de honte. Pendant les rares visites que j'ai faites à l'hôpital avec des blessures, on m'a clairement fait comprendre que c'était ma faute. J'étais traitée avec suspicion et une hostilité palpable - "elle retourne le voir". Les gens parlaient de moi comme si je n'étais pas là, et je n'essayais même pas de comprendre. Il était dans ma maison, et mon argent était engagé dans ma maison, et j'avais peur et j'étais perdue et je me battais contre une addiction au-delà de mon contrôle. Je ne comprenais pas pourquoi tout ça se passait, je ne savais pas quoi faire. Ayant été élevée dans l'idée de confiance envers la profession médicale, je ne savais plus où me tourner.

Quand je suis devenue sobre, j'ai réalisé que pour le rester j'allais devoir faire les choses un peu différemment. J'entendais les autres gens partager leurs sentiments, et avec l'aide de quelques bonnes personnes autour de moi j'ai commencé à donner un sens à ce que je ressentais. Au début de la guérison, j'avais l'impression que je ne pouvais pas aller plus loin que de penser "bleurk". Des années à enterrer les émotions, à me diviser, m'assommer et me détacher ont rendu difficile le fait d'accepter la moindre émotion et de faire avec. Elles menaçaient de me noyer. Identifier et nommer les émotions - colère, peur, tristesse - a pris du temps.

Mais il restait, même après que j'ai commencé à devenir plus ouverte et plus honnête sur ce que je ressentais, de larges morceaux de ma vie dont je ne pouvais tout simplement pas parler. La violence, la prostitution, le fait d'avoir été filmée lors de ces abus, restaient pour moi indicibles. C'est une des raisons qui m'a fait commencer ce blog en 2009 : comme je commençais à pouvoir mettre en narration ce qui m'était arrivé, comme de plus en plus de choses me revenaient, j'ai réalisé que tout ça devait aller quelque part, ou alors je deviendrais folle. Incapable de le dire à voix haute, et ne faisant pas confiance aux autres en matière de ce poids pour moi, j'ai choisi d'écrire et de mettre tout ça ici. J'avais une voix, mais sans visage je pouvais être honnête sans devoir faire avec les réactions d'autres gens envers moi, envers ça.

J'ai parfois réussi à parler un peu de tout ça. J'ai vu un thérapeute pendant un an et j'ai commencé à essayer d'en parler un peu. C'était incroyablement rude, incroyablement douloureux. Il y avait de longs silences et j'avais peur de m'évanouir ou de vomir. Et j'avais peur de sa réaction. Comme c'était ma première année de guérison, je me battais encore pour trouver le vocabulaire qui convenait. Les tentatives de m'ouvrir un peu aux autres gens ont été beaucoup moins réussies. J'ai découvert que même avec des gens décents, des gens que je compte dans mes amis, leur vision du monde n'a tout simplement aucune place pour ce qui m'est arrivé. Dans une société saturée par la pornographie, qui prend à la légère la violence contre les femmes, et qui quand une femme est violée ou battue, tend à dire "oui mais bon, elle est retournée le voir / elle lui a envoyé les mauvais signaux / elle l'a trompé / elle avait bu / elle l'a allumé", il est difficile de savoir où aller quand tu luttes avec les effets secondaires de la maltraitance. Les femmes sont, dans mon expérience, tout aussi dures dans leur jugement, et tout aussi capables d'être du côté de l'agresseur.

Cette année, j'ai perdu mon dernier parent. Cela a fait une grosse différence dans ma capacité à faire confiance. J'ai vraiment fait un pas en arrière. Parce que nous ne sommes pas très bon en matière de mort dans ce pays, j'ai eu des réactions négatives à ma perte, certains de mes amis se sont mis à m'éviter (c'est leur problème, je sais, mais c'est quand même douloureux), certains ont fait des commentaires du genre "et bien tu n'as qu'à faire avec, c'est la vie" (je sais ! qu'est-ce que tu crois que je suis en train de faire ?), ce qui peut se traduire par "n'en parle pas, s'il te plaît" et cela a enflammé ma méfiance totale. Je ne fais confiance à personne. Mon allié le plus proche à cet instant est mon chien.

Ce qui me laisse dans le pétrin, puisque de toute évidence ça ne va pas fonctionner ; je dois faire confiance aux autres pour rester sobre, mais c'est vraiment difficile. J'ai peur et je suis seule et tellement perdue, je ne me fais même pas confiance pour choisir les bonnes personnes à qui parler. Je viens tout juste de recommencer une thérapie, ce qui est positif, et je dois me battre contre tous mes instincts défensifs pour réellement le laisser m'aider. Je veux être proche des gens, je veux aimer et être aimée, mais je ne suis pas sûre de savoir encore comment faire ça, ce qui me rend tellement triste que je pleurerais si je m'y autorisais. Je suppose que je vais devoir "faire comme si" et juste essayer d'être honnête, à l'encontre de tous mes instincts. En vérité, j'ai dû me débrouiller toute seule pendant beaucoup trop longtemps par le passé, à me battre, et je suis fatiguée, et je ne crois pas que je peux continuer comme ça.

Je dois faire un grand saut maintenant. J'espère juste atterrir sur la terre ferme, pas dans la merde.