dimanche 12 février 2012

L'opposition : les souteneurs de l'industrie du sexe mis à nu


Une personne anonyme m'a récemment laissé un adorable commentaire sur l'article "L'homme invisible", m'appelant (je cite) "une connasse de misandre" et disant "j'espère que tu vas crever". Une autre personne anonyme a commenté pour dire que les prostituées sont des pouffiasses et qu'en tant que telle je devrais me taire au lieu de me plaindre.

Voici donc, mesdames et messieurs, ce contre quoi se battent les survivantes de l'industrie du sexe.

Il est important pour moi de dire la réalité de l'extrême violence faite aux femmes de l'industrie du sexe. Quand j'étais prostituée c'était physique. Maintenant c'est verbal, mais tout de même douloureux.

Il ne te connaît même pas, mais il te hait et veut que tu meures. Trop familier pour moi, un scénario joué quotidiennement et brutalement contre les prostituées. Le fait que tu continues à survivre, que tu continues à avoir de l'esprit, est une insulte personnelle pour ces gens. Ça les fait enrager.

Argumenté ? Non. Jugement éclairé ? Peut-être pas. Abus verbal et agressivité à l'extrême.

Et moi ? Devrais-je être rendue muette par une telle violence, me ratatiner de honte face à ce que je suis et ce que j'ai vécu, leur donner ce qu'ils veulent et la fermer et mourir ? Ce que ces gens écrivent confirme tout ce que je sais être vrai sur les souteneurs de l'industrie du sexe. Ils ont un intérêt à ce que vous ne racontiez pas la vérité : cela les montrerait sous leur vrai jour. J'ai survécu à la torture physique, j'ai été muette pendant assez longtemps. C'est difficile d'avoir une voix quand tu as une bite fourrée dans la gorge. Je suis encore là et je vais donc continuer à faire ce que je fais : montrer la vérité et espérer que cela fasse une petite différence.

Si vous avez déjà pensé que les survivantes de l'industrie du sexe exagèrent en évoquant les degrés de violence et de haine vécus, peut-être que le fait que je rende publics ces commentaires va lutter un peu contre cette croyance. Si jamais j'avais eu besoin d'une preuve que les clients veulent faire souffrir les femmes qu'ils utilisent, alors je suppose que c'est ça. Directement depuis leur bouche.

Merci pour ça, anonyme.

mercredi 8 février 2012

Bon client, mauvais client ?

Les clients veulent qu'on leur masse l'ego, pas juste la bite. S'ils fantasment sur le pouvoir et la force et l'humiliation, ils veulent voir la peur et la honte dans tes yeux. S'ils fantasment d'être bons avec les femmes, ils veulent que tu dises que tu les aime, que tu parles avec eux. S'ils fantasment d'être bons amants, et bien... oh oui bébé, j'adore quand tu fais ça... hmmm, c'est tellement booon...tu es incroyable... oh, tu me fais mouiller...

Ou pas. Ca me faisait halluciner que les clients que j'ai rencontré puissent avoir été assez stupides pour croire que ce qu'ils me faisaient pouvait réellement donner un orgasme à qui que ce soit. Allô ! Il est peut-être temps de couper le porno et de se débarrasser de l'idée que me défoncer n'importe quel orifice avec n'importe quoi va me rendre extatique. Et puis, ça ne t'est jamais venu à l'idée de te laver les parties avant de me les fourrer dans la tronche ? Juste comme ça.

Parfois ils veulent être le bon gars, en dépit de toute évidence. Ils veulent se différencier du client moyen, ils ne veulent pas être mis dans le panier des inadaptés sexuels, des misogynes et des pervers. Je ne suis pas comme ça ! Les filles m'aiment parce que je les comprends, je leur parle. Les filles m'aiment parce que je suis un bon amant.

Conneries !

Qu'est-ce que tu veux, une putain de médaille parce que tu as choisi de ne pas être un sadique décomplexé aujourd'hui ? Donc tu ne m'as pas crié ni tapé dessus. Pas exactement de quoi devenir un saint. Peut-être que tu m'as demandé comment je vais, pourquoi je suis ici, en prétendant de t'intéresser (tu ne veux pas réellement le savoir), pour te sentir mieux. Cela démontre soit de la stupidité soit une ignorance volontaire de l'évidence, que tout ce que je vais dire dans ce contexte sera un mensonge pour ta commodité, pour apaiser ta conscience. La désobéissance et la répartie sont potentiellement mortelles pour une prostituée donc je dois dire ce que tu veux entendre. Alors je vais te dire que je suis là parce que j'adore le sexe, et j'aime te parler et j'aime être là, j'aime ta compagnie et ta bite, et je vais prétendre que je ne suis pas ici pour l'argent ou pour la drogue et à cause d'un enfer mental causé par les abus que j'ai subis par le passé. Et tu ignoreras les cicatrices d'auto-mutilations et l'odeur d'alcool, et tu repartiras en pensant que tu as peut-être même amélioré ma journée ! Wow, tu ne m'as pas tabassée - merci pour ça.

Si tu tu te sentais réellement concerné par mon bien-être, tu ne serais pas là, tu ne serais pas un client. Un peu de pseudo-gentillesse ne peut pas cacher ça.

Tu es quand même en train de payer pour mon corps, tu demandes quand même une performance, tu violes quand même mon espace, tu finances quand même le système qui me détruit, un mensonge à la fois. Qu'ils désirent consciemment ta souffrance ou qu'ils cherchent l'affirmation de leur technique sexuelle, les clients sont les gars avec l'argent, les gars qui prennent les décisions, ceux avec le pouvoir. Ils sont quand même là pour te baiser, pour t'utiliser, pour te dégrader. Ils demandent quand même que tu répondes de la façon qui les fait jouir, que ce soit par l'abjecte terreur quand ils te font mal, ou comme la gentille petite fille qui joue, oh, c'est si amusant ! Ils ne veulent pas que tu sois toi-même - c'est pour ça qu'ils payent plutôt que d'être avec une copine. Même la "girlfriend experience" consiste à acquiescer à tous leurs caprices. Ils te payent pour être moins qu'humaine, pour n'avoir aucun besoin ou désir par toi-même, pour être utilisée comme ils le veulent, pour réagir comme ils le veulent, pour dire ce qu'ils veulent, ton corps la toile blanche pour leurs fantasmes, même les plus extrêmes, les mots dans ta bouche, leurs mots pas les tiens. Si quelqu'un te parle avant de te baiser, ça ne réduit pas la violence.

L'omniprésence du porno légitime évidemment la façon de penser des clients. Cela leur enseigne que les femmes veulent se faire baiser de toutes les façons possibles, qu'importe à quel point ça peut avoir l'air extrême ou douloureux. Elle aimera ça au fond, usée et abusée et couverte de foutre, souriant pour la caméra.

Tu les hais, et ils t'utilisent, que ce soit plus ou moins brusquement, avec plus ou moins de mouvements et de paroles hardcore. Une situation perdant-perdant, une toile de mensonges faite pour masser leur ego, les faire éjaculer. Je peux dire honnêtement que ça n'a rien fait pour moi. Moins que ça, en fait. Ca a juste laissé un putain de tas de cicatrices émotionnelles qui guérissent bien plus lentement que les cicatrices physiques. Et un désir brûlant de mettre les choses à plat avec les clients. Ils doivent devenir honnêtes avec eux-mêmes. Il n'existe pas de bon client.

mardi 7 février 2012

L'homme invisible

L'élément manquant de tous les discours centrés sur l'industrie du sexe, c'est celui des hommes qui la font vivre : les clients. Le marché du sexe, c'est de l'offre et de la demande. Centrés uniquement sur les "droits" des femmes à se prostituer (ou faire du "travail du sexe", le mot "prostituée" n'est généralement pas utilisé par les soi-disant féministes "pro-sexe" qui se battent si courageusement pour le droit d'une femme à être abusée ; c'est un terme trop minable, trop négatif, trop réel), les hommes qui alimentent la demande sont hors de vue.

Sans clients il n'y aurait pas de prostituées. Évident peut-être, mais largement ignoré. Elle n'est pas là pour son propre plaisir égoïste à elle, elle est là pour lui, et pour son plaisir à lui. Les corps des femmes sont vendus et maltraités et vendus uniquement parce qu'il y a quelqu'un qui est prêt à payer pour les maltraiter. Enlevez la demande et vous enlevez le problème.

Alors pourquoi ne parle-t-on pas des hommes qui achètent des femmes ? Comment se fait-il qu'ils parviennent à rester dans l'ombre, le jugement moral étant à la place jeté sur les femmes qui sont prostituées, qui sont maltraitées ?

On donne aux clients ce privilège, cette intimité, parce qu'ils ont l'argent. Le client a toujours raison ! Ce qu'il veut, il obtient. Les clients sont des consommateurs, et ce qu'ils veulent c'est avoir accès aux corps des femmes, de les utiliser comme ils le souhaitent, sans répercussions. Ils veulent une baise sans conséquences, sans cas de conscience. Ou une branlette, dans le cas de la pornographie. Et mon gars, qu'est-ce qu'on leur en donne ! La société leur donne sa bénédiction.

L'industrie du sexe, les preneurs de l'argent des clients, les fabricants de leurs fantasmes, ré-étiquettent et ré-emballent ce qu'ils font pour que ce soit plus alléchant au client, plus "feel good". Au lieu de parler de corps de femmes à vendre, l'impératif financier, ils parlent de libération sexuelle, d'une expérience insouciante, sans conséquences, sans dégâts pour les femmes qui sont vendues. C'est elles qui sont sous les feux de la rampe. C'est une situation gagnant-gagnant, ces femmes veulent juste une bonne partie de baise et les hommes leur font une faveur en s'y pliant. Ces femmes adorent ça, et l'échange d'argent, loin d'être une chose négative avec des connotations de pouvoir, est vu comme la cerise sur le gâteau : non seulement elle baise à longueur de journée, autant de bites qu'elle pourrait en rêver dans tous les trous, mais en plus elle est payée pour ça !

La société a bu cette histoire comme du petit lait. Nous nous sommes courbés en avant pour eux. Le problème c'est que, si tu te courbes trop loin en avant tu as des risques de te faire enculer, ce qui est exactement ce qui s'est passé ici. On s'est fait baiser par l'industrie du sexe. Ou au moins, nous sommes complices. En tant que société, nous choisissons de ne pas remarquer ou questionner parce que ça nous arrange, nous vivons avec ce que nous sommes devenus en dissociant les choses, en rejetant volontairement la réflexion logique et cohérente. Tu te demandais pourquoi les gens sont si irritables quand tu questionnes l'utilité de la pornographie ? Ce n'a que peu, voire rien à voir avec l'utilité ou non de la pornographie. Cela a tout à voir avec eux-mêmes. On ne voudrait pas qu'un cas de conscience vienne atténuer le plaisir ! Et peut-être qu'à un certain niveau ils réalisent qu'il y a un problème avec les minces excuses qu'ils utilisent. On dirait que la responsabilité leur retomberait dessus, comme si ils pouvaient avoir quelque chose de plus à voir avec ça que le fait de simplement s'asseoir et regarder la télé ou le magazine, en se faisant plaisir. Vite ! Reportons l'attention sur les femmes dans la pornographie ! Elle aime ça, elle est payée pour ça, elle a choisi ça, et je la respecte pour ça. Pfiou ! L'attention est retournée sur elle, pas besoin de me regarder de plus près ou de changer mon comportement. Les "utilisateurs" de pornographie défendent leur droit à acheter des femmes sous prétexte d'aimer les femmes, respecter les femmes. L'ironie ! Ce qui explique le recours immédiat aux injures pour celles et ceux qui se demandent si la pornographie est vraiment si inoffensive : frigide, anti-sexe, jaloux/se, prude ! Je vais faire de toi le méchant pour éloigner l'attention de ce que je fais.

Les femmes sont achetées pour être utilisées pour une gratification sexuelle, quoi qu'il en coûte. Non pas que vous puissiez entendre ça formulé de cette façon, rien de si dégoûtant. Nous manquons de cohérence, en tant que société, dans notre logique. Quelques exemples de notre manque de réflexion engagée ? La pédo-pornographie est (à juste titre) illégale. Mais dès qu'elle atteint ses 18 ans ? Alors on la photographiera pour la catégorie "à peine légal" ou autre merde du même genre, toute pensée pour son bien-être s'étant magiquement évaporée à l'instant où le chiffre à changé.
Le viol est illégal, la maltraitance physique est illégale. Mais la pornographie mainstream est de plus en plus agressive, avec des crachats, des injures, des cheveux tirés, des femmes qui s'étouffent sur des bites et qui vomissent, des corps de femmes distendus, et leurs dégâts glorifiés et on en rit ("Déesse du trou béant !" etc.). Comment pouvons-nous punir un abus mais défendre l'autre ? Comment avons-nous pu être assez stupides pour croire qu'il n'y aurait pas de mélange des genres, pas de changement de mentalité envers les femmes en général, affectant les interactions avec les femmes dans la vie de tous les jours, causés par la consommation de porno hardcore ? Quelle naïveté ! Ou ignorance volontaire. Nous voulons pouvoir utiliser les femmes pour se branler dessus, donc nous ignorerons toutes les conséquences que cela aura au-delà du fait de devoir attraper les mouchoirs.

Et voilà l'exploit, la disparition des clients, l'absolution des hommes qui maltraitent les femmes de toute forme de culpabilité ou de responsabilité. Abracadraba ! Je vais faire disparaître le client et vous donner à la place la prostituée. Sa faute, son choix, son droit (!) à être là. Regardons-la plutôt que lui, ajoutons l'insulte à la blessure. Elle est baisée de toute façon, littéralement ; la blâmer un peu plus et lui mettre des mots dans la bouche ne lui fera pas de mal. Après tout, sa bouche a tellement d'usages.

Oublions-le, marmonnons quelque chose à propos des hommes ayant besoin d'un exutoire sexuel constant et d'une stimulation visuelle, à propos des mecs étant des mecs, à propos de fantasmes inoffensifs et de s'amuser un peu. Ces femmes merveilleuses qui se nomment "féministes pro-sexe" commencent, à la place, à déclamer des conneries sur le droit des femmes à "prendre le pouvoir" en tant que "travailleuses du sexe" et à "utiliser leur sexualité". Comme si elles savaient quoi que ce soit à propos de ce pour quoi elles se battent ! Ne te bats pas pour mon "droit" à être abusée, ma soeur. Elles ont gobé le langage aseptisé, peut-être sur la même longueur d'onde que le "visage" hautement publicisé de l'industrie du sexe : quelques très rares femmes disant qu'elles aiment ça et qu'il n'y a rien de mal à ça et à quel point c'est libérateur de se faire baiser autant. "J'aime juste le sexe, je suis vraiment cochonne, et je suis fière de mon corps". C'est encore d'elles qu'on parle à nouveau, la femme à nouveau ; pas de mention de l'audience pour laquelle elles performent, les hommes derrière la caméra, les dynamiques de pouvoir, juste une réaffirmation qu'elles veulent se faire baiser.

Ils oublient, ces gens, ces féministes "pro-sexe", que les femmes qui sont encore dans l'industrie ne sont pas libres de dire la vérité. Et qu'en fait, les femmes qui agissent comme le visage des relations publiques du lobby du sexe sont grassement payées pour le faire. Tu ne peux en aucun cas être pro-sexe et et pro-prostitution et pornographie. En faire une transaction commerciale éradique la possibilité d'une sexualité agréable puisque cela amène les relations de pouvoir dans l'équation et élimine ainsi la liberté et la vérité.

Ces soi-disant féministes détournent les yeux des rangs des détruites, des vendues, des désespérées, des femmes qui constituent 98% des prostituées. En fait, ils ne font pas que nous ignorer : ils nous calomnient, disant que nous exagérons, que la majorité des femmes aiment ça, ils désignent les sourires sur les visages des femmes dans la pornographie comme si cela voulait dire quelque chose. Ils ne se connectent pas avec la réalité de ce que c'est d'être prostituée. Ils ne peuvent pas nous regarder dans les yeux, mais ils jugent tout de même que nous sommes dans l'erreur et malhonnêtes à propos de nos expériences. Ils nous invalident sans réfléchir. Tu te trompes ! Tu aimais ça !

Vraiment amusant, ils disent la même chose que les clients. En fait, plutôt que l'étiquette "féministe pro-sexe" nous devrions peut-être utiliser "misogyne ami des proxénètes et des clients". Ou "artiste de la connerie", comme je l'avais écrit dans un post précédent.

Ce qu'ils ont totalement ignoré, et ce que la société en général ignore dans ses bêlements quotidiens des phrases de l'industrie pro-sexe, c'est que là-dehors, faisant leurs petites affaires tranquillement sans se questionner, achetant et utilisant des femmes, tout autour de nous, il y a les clients. Nous regardons les choses depuis une mauvaise perspective. Demandez à une femme qui est contrainte par les finances, par la toxicomanie, par la santé mentale ou par la violence, pourquoi elle se prostitue, et elle vous dira un mensonge, non pas parce que c'est une personne mauvaise mais parce qu'elle le doit, pour survivre. C'est sa protection. Elle vous dira ce que vous voulez entendre. Alors si vous voulez entendre que les prostituées, et les pornstars (ce qui est en fait la même chose) adorent ce qu'elles font, c'est ce qu'on vous dira. En vous rassurant avec un sourire : tout ça fait partie du job.

Si vous voulez vraiment savoir pourquoi elle est là, demandez aux clients. C'est eux, la raison. Les choses qu'elle fait, les actes sexuels qu'elle performe, sont pour eux, pas pour elle. Le truc, c'est que les clients ont un petit problème avec l'honnêteté. Et la franchise. Ils souhaitent rester sans visage. La femme dans la pornographie n'a pas un tel luxe, ouverte pour votre délectation et votre ravissement, un sourire figé en place pour encourager votre orgasme. Mais il se cache dans l'ombre d'un millier d'excuses offertes en son nom pour son comportement. Restez concentrés sur elle, et vous protégez ses abuseurs, les clients. Et ils sont des abuseurs - il n'existe pas une chose telle qu'un bon client. Il est temps que nous arrêtions de défendre les mauvaises personnes, d'excuser l'inexcusable, et que nous déplacions le projecteur sur les clients. Je ne peux pas imaginer un meilleur moyen de tuer la demande. Ses fantasmes dégoûtants, pervers, montrés comme étant les siens à lui, et pas mis dans sa bouche comme quelque chose qu'elle veut, et sur lequel on se branle. D'ici là, nous avons une situation de l'ordre de l'homme invisible.

jeudi 2 février 2012

Avoir un proxénète ? L'enfer

L'enfer peut devenir une habitude. La bataille quotidienne pour la survie. Des petites victoires prises ici et là. La perspective se déforme. L'inacceptable arrive tout le temps - il faut t'en remettre. Ça va être horrible, mais la question est, à quel point ? La peur est une constante. Tu sais que tu peux à tout moment mourir ici, être tuée ici, mais il n'y a pas d'échappatoire. L'esprit s'adapte. Le corps s'adapte. Les deux travaillent à s'éloigner de toi le plus possible. Il y a l'alcool aussi, et les drogues, quand tu peux en avoir.

Tu es reconnaissante quand ils ne te font pas trop souffrir. Dieu merci ! Une gratitude pathétique parce qu'ils ne se sont pas montrés plus sadiques qu'ils ne le sont. La bonté et la gentillesse et la compassion sont si complètement absentes que le fait d'être maltraitée, mais moins sévèrement, ressemble à un cadeau. Tu te hais dans ton impuissance.

La normalité ? Concentrée sur la survie, tu oublies. Tu vis comme un animal, juste pour t'en tirer. À fouiller les poubelles pour trouver de la nourriture. Rampant quand tu ne peux pas marcher, à genoux quand ils t'y forcent. Tu es prise, encagée, piégée. Tu cesses de parler. Impossible de faire confiance à ces gens ! Sa main va-t-elle te caresser ou te frapper ? Ses mots vont-ils te bercer ou te blesser ? S'il offre quelque chose de gentil, tu attends qu'il t'attrape. Il va le reprendre, en riant peut-être, se moquant de toi parce que tu as montré ton désespoir, ou peut-être qu'il te laissera le prendre. Et se mettra en colère après. Ou peut-être pas.

Tu ne peux t'accrocher à rien de solide, tu ne peux croire en rien excepté la certitude qu'aujourd'hui tu vas souffrir. Tu es en vie uniquement parce que ton corps leur est utile. Il a une valeur, non pas parce qu'il est bon ou qu'il a une valeur intrinsèque. Il a une valeur financière, et cette valeur vient de son utilisation comme poupée à baiser.

On te possède. Ce corps n'est plus le tien : tu n'as pas droit de parole sur ce qui lui arrive. Tu veux te détacher entièrement, tu en viens à détester ce corps pour ce qu'ils lui ont fait, couvert de leurs fluides, de leurs odeurs, faible et douloureux, gelé et incapable, mais tu ne peux pas, parce que te laisser aller entièrement signifierait mourir, et tu ne veux pas ça non plus. Enfin, parfois peut-être mais tu as peur, parce que tu sais que tu es mauvaise, ils te disent que tu es mauvaise, et tu as peur du démon.

Terrifiée par tout : être seule avec ta tête ; être avec des gens, à cause de ce qu'ils te font. Peur de mourir ici comme ça ; peur de continuer comme ça. Peur du noir et de ce qui s'y cache, mais peur de la lumière, de voir ce que tu es devenue.

Seule, seule, seule. Avec nulle part où aller.

Ici en guérison, cet enfer passé ne s'est pas simplement envolé. Tu peux être sortie de l'enfer que c'était mais être toujours en enfer, mentalement. L'expérience d'être torturée, physiquement et mentalement, n'est pas quelque chose que tu peux dissiper en secouant la tête ou en claquant des doigts. J'étais jeune quand ça a commencé, alors je n'ai aucun autre cadre de référence. Je lutte avec le syndrome de stress post-traumatique, les cauchemars, les dissociations... une montagne à escalader. Un progrès lent, lent, intégrer, comprendre, ressentir, accepter, faire face. Tellement frustrant !

J'ai appris à survivre, mais maintenant j'essaie d'apprendre à vivre. Et c'est quelque chose d'entièrement différent.