dimanche 12 février 2012

L'opposition : les souteneurs de l'industrie du sexe mis à nu


Une personne anonyme m'a récemment laissé un adorable commentaire sur l'article "L'homme invisible", m'appelant (je cite) "une connasse de misandre" et disant "j'espère que tu vas crever". Une autre personne anonyme a commenté pour dire que les prostituées sont des pouffiasses et qu'en tant que telle je devrais me taire au lieu de me plaindre.

Voici donc, mesdames et messieurs, ce contre quoi se battent les survivantes de l'industrie du sexe.

Il est important pour moi de dire la réalité de l'extrême violence faite aux femmes de l'industrie du sexe. Quand j'étais prostituée c'était physique. Maintenant c'est verbal, mais tout de même douloureux.

Il ne te connaît même pas, mais il te hait et veut que tu meures. Trop familier pour moi, un scénario joué quotidiennement et brutalement contre les prostituées. Le fait que tu continues à survivre, que tu continues à avoir de l'esprit, est une insulte personnelle pour ces gens. Ça les fait enrager.

Argumenté ? Non. Jugement éclairé ? Peut-être pas. Abus verbal et agressivité à l'extrême.

Et moi ? Devrais-je être rendue muette par une telle violence, me ratatiner de honte face à ce que je suis et ce que j'ai vécu, leur donner ce qu'ils veulent et la fermer et mourir ? Ce que ces gens écrivent confirme tout ce que je sais être vrai sur les souteneurs de l'industrie du sexe. Ils ont un intérêt à ce que vous ne racontiez pas la vérité : cela les montrerait sous leur vrai jour. J'ai survécu à la torture physique, j'ai été muette pendant assez longtemps. C'est difficile d'avoir une voix quand tu as une bite fourrée dans la gorge. Je suis encore là et je vais donc continuer à faire ce que je fais : montrer la vérité et espérer que cela fasse une petite différence.

Si vous avez déjà pensé que les survivantes de l'industrie du sexe exagèrent en évoquant les degrés de violence et de haine vécus, peut-être que le fait que je rende publics ces commentaires va lutter un peu contre cette croyance. Si jamais j'avais eu besoin d'une preuve que les clients veulent faire souffrir les femmes qu'ils utilisent, alors je suppose que c'est ça. Directement depuis leur bouche.

Merci pour ça, anonyme.

mercredi 8 février 2012

Bon client, mauvais client ?

Les clients veulent qu'on leur masse l'ego, pas juste la bite. S'ils fantasment sur le pouvoir et la force et l'humiliation, ils veulent voir la peur et la honte dans tes yeux. S'ils fantasment d'être bons avec les femmes, ils veulent que tu dises que tu les aime, que tu parles avec eux. S'ils fantasment d'être bons amants, et bien... oh oui bébé, j'adore quand tu fais ça... hmmm, c'est tellement booon...tu es incroyable... oh, tu me fais mouiller...

Ou pas. Ca me faisait halluciner que les clients que j'ai rencontré puissent avoir été assez stupides pour croire que ce qu'ils me faisaient pouvait réellement donner un orgasme à qui que ce soit. Allô ! Il est peut-être temps de couper le porno et de se débarrasser de l'idée que me défoncer n'importe quel orifice avec n'importe quoi va me rendre extatique. Et puis, ça ne t'est jamais venu à l'idée de te laver les parties avant de me les fourrer dans la tronche ? Juste comme ça.

Parfois ils veulent être le bon gars, en dépit de toute évidence. Ils veulent se différencier du client moyen, ils ne veulent pas être mis dans le panier des inadaptés sexuels, des misogynes et des pervers. Je ne suis pas comme ça ! Les filles m'aiment parce que je les comprends, je leur parle. Les filles m'aiment parce que je suis un bon amant.

Conneries !

Qu'est-ce que tu veux, une putain de médaille parce que tu as choisi de ne pas être un sadique décomplexé aujourd'hui ? Donc tu ne m'as pas crié ni tapé dessus. Pas exactement de quoi devenir un saint. Peut-être que tu m'as demandé comment je vais, pourquoi je suis ici, en prétendant de t'intéresser (tu ne veux pas réellement le savoir), pour te sentir mieux. Cela démontre soit de la stupidité soit une ignorance volontaire de l'évidence, que tout ce que je vais dire dans ce contexte sera un mensonge pour ta commodité, pour apaiser ta conscience. La désobéissance et la répartie sont potentiellement mortelles pour une prostituée donc je dois dire ce que tu veux entendre. Alors je vais te dire que je suis là parce que j'adore le sexe, et j'aime te parler et j'aime être là, j'aime ta compagnie et ta bite, et je vais prétendre que je ne suis pas ici pour l'argent ou pour la drogue et à cause d'un enfer mental causé par les abus que j'ai subis par le passé. Et tu ignoreras les cicatrices d'auto-mutilations et l'odeur d'alcool, et tu repartiras en pensant que tu as peut-être même amélioré ma journée ! Wow, tu ne m'as pas tabassée - merci pour ça.

Si tu tu te sentais réellement concerné par mon bien-être, tu ne serais pas là, tu ne serais pas un client. Un peu de pseudo-gentillesse ne peut pas cacher ça.

Tu es quand même en train de payer pour mon corps, tu demandes quand même une performance, tu violes quand même mon espace, tu finances quand même le système qui me détruit, un mensonge à la fois. Qu'ils désirent consciemment ta souffrance ou qu'ils cherchent l'affirmation de leur technique sexuelle, les clients sont les gars avec l'argent, les gars qui prennent les décisions, ceux avec le pouvoir. Ils sont quand même là pour te baiser, pour t'utiliser, pour te dégrader. Ils demandent quand même que tu répondes de la façon qui les fait jouir, que ce soit par l'abjecte terreur quand ils te font mal, ou comme la gentille petite fille qui joue, oh, c'est si amusant ! Ils ne veulent pas que tu sois toi-même - c'est pour ça qu'ils payent plutôt que d'être avec une copine. Même la "girlfriend experience" consiste à acquiescer à tous leurs caprices. Ils te payent pour être moins qu'humaine, pour n'avoir aucun besoin ou désir par toi-même, pour être utilisée comme ils le veulent, pour réagir comme ils le veulent, pour dire ce qu'ils veulent, ton corps la toile blanche pour leurs fantasmes, même les plus extrêmes, les mots dans ta bouche, leurs mots pas les tiens. Si quelqu'un te parle avant de te baiser, ça ne réduit pas la violence.

L'omniprésence du porno légitime évidemment la façon de penser des clients. Cela leur enseigne que les femmes veulent se faire baiser de toutes les façons possibles, qu'importe à quel point ça peut avoir l'air extrême ou douloureux. Elle aimera ça au fond, usée et abusée et couverte de foutre, souriant pour la caméra.

Tu les hais, et ils t'utilisent, que ce soit plus ou moins brusquement, avec plus ou moins de mouvements et de paroles hardcore. Une situation perdant-perdant, une toile de mensonges faite pour masser leur ego, les faire éjaculer. Je peux dire honnêtement que ça n'a rien fait pour moi. Moins que ça, en fait. Ca a juste laissé un putain de tas de cicatrices émotionnelles qui guérissent bien plus lentement que les cicatrices physiques. Et un désir brûlant de mettre les choses à plat avec les clients. Ils doivent devenir honnêtes avec eux-mêmes. Il n'existe pas de bon client.

mardi 7 février 2012

L'homme invisible

L'élément manquant de tous les discours centrés sur l'industrie du sexe, c'est celui des hommes qui la font vivre : les clients. Le marché du sexe, c'est de l'offre et de la demande. Centrés uniquement sur les "droits" des femmes à se prostituer (ou faire du "travail du sexe", le mot "prostituée" n'est généralement pas utilisé par les soi-disant féministes "pro-sexe" qui se battent si courageusement pour le droit d'une femme à être abusée ; c'est un terme trop minable, trop négatif, trop réel), les hommes qui alimentent la demande sont hors de vue.

Sans clients il n'y aurait pas de prostituées. Évident peut-être, mais largement ignoré. Elle n'est pas là pour son propre plaisir égoïste à elle, elle est là pour lui, et pour son plaisir à lui. Les corps des femmes sont vendus et maltraités et vendus uniquement parce qu'il y a quelqu'un qui est prêt à payer pour les maltraiter. Enlevez la demande et vous enlevez le problème.

Alors pourquoi ne parle-t-on pas des hommes qui achètent des femmes ? Comment se fait-il qu'ils parviennent à rester dans l'ombre, le jugement moral étant à la place jeté sur les femmes qui sont prostituées, qui sont maltraitées ?

On donne aux clients ce privilège, cette intimité, parce qu'ils ont l'argent. Le client a toujours raison ! Ce qu'il veut, il obtient. Les clients sont des consommateurs, et ce qu'ils veulent c'est avoir accès aux corps des femmes, de les utiliser comme ils le souhaitent, sans répercussions. Ils veulent une baise sans conséquences, sans cas de conscience. Ou une branlette, dans le cas de la pornographie. Et mon gars, qu'est-ce qu'on leur en donne ! La société leur donne sa bénédiction.

L'industrie du sexe, les preneurs de l'argent des clients, les fabricants de leurs fantasmes, ré-étiquettent et ré-emballent ce qu'ils font pour que ce soit plus alléchant au client, plus "feel good". Au lieu de parler de corps de femmes à vendre, l'impératif financier, ils parlent de libération sexuelle, d'une expérience insouciante, sans conséquences, sans dégâts pour les femmes qui sont vendues. C'est elles qui sont sous les feux de la rampe. C'est une situation gagnant-gagnant, ces femmes veulent juste une bonne partie de baise et les hommes leur font une faveur en s'y pliant. Ces femmes adorent ça, et l'échange d'argent, loin d'être une chose négative avec des connotations de pouvoir, est vu comme la cerise sur le gâteau : non seulement elle baise à longueur de journée, autant de bites qu'elle pourrait en rêver dans tous les trous, mais en plus elle est payée pour ça !

La société a bu cette histoire comme du petit lait. Nous nous sommes courbés en avant pour eux. Le problème c'est que, si tu te courbes trop loin en avant tu as des risques de te faire enculer, ce qui est exactement ce qui s'est passé ici. On s'est fait baiser par l'industrie du sexe. Ou au moins, nous sommes complices. En tant que société, nous choisissons de ne pas remarquer ou questionner parce que ça nous arrange, nous vivons avec ce que nous sommes devenus en dissociant les choses, en rejetant volontairement la réflexion logique et cohérente. Tu te demandais pourquoi les gens sont si irritables quand tu questionnes l'utilité de la pornographie ? Ce n'a que peu, voire rien à voir avec l'utilité ou non de la pornographie. Cela a tout à voir avec eux-mêmes. On ne voudrait pas qu'un cas de conscience vienne atténuer le plaisir ! Et peut-être qu'à un certain niveau ils réalisent qu'il y a un problème avec les minces excuses qu'ils utilisent. On dirait que la responsabilité leur retomberait dessus, comme si ils pouvaient avoir quelque chose de plus à voir avec ça que le fait de simplement s'asseoir et regarder la télé ou le magazine, en se faisant plaisir. Vite ! Reportons l'attention sur les femmes dans la pornographie ! Elle aime ça, elle est payée pour ça, elle a choisi ça, et je la respecte pour ça. Pfiou ! L'attention est retournée sur elle, pas besoin de me regarder de plus près ou de changer mon comportement. Les "utilisateurs" de pornographie défendent leur droit à acheter des femmes sous prétexte d'aimer les femmes, respecter les femmes. L'ironie ! Ce qui explique le recours immédiat aux injures pour celles et ceux qui se demandent si la pornographie est vraiment si inoffensive : frigide, anti-sexe, jaloux/se, prude ! Je vais faire de toi le méchant pour éloigner l'attention de ce que je fais.

Les femmes sont achetées pour être utilisées pour une gratification sexuelle, quoi qu'il en coûte. Non pas que vous puissiez entendre ça formulé de cette façon, rien de si dégoûtant. Nous manquons de cohérence, en tant que société, dans notre logique. Quelques exemples de notre manque de réflexion engagée ? La pédo-pornographie est (à juste titre) illégale. Mais dès qu'elle atteint ses 18 ans ? Alors on la photographiera pour la catégorie "à peine légal" ou autre merde du même genre, toute pensée pour son bien-être s'étant magiquement évaporée à l'instant où le chiffre à changé.
Le viol est illégal, la maltraitance physique est illégale. Mais la pornographie mainstream est de plus en plus agressive, avec des crachats, des injures, des cheveux tirés, des femmes qui s'étouffent sur des bites et qui vomissent, des corps de femmes distendus, et leurs dégâts glorifiés et on en rit ("Déesse du trou béant !" etc.). Comment pouvons-nous punir un abus mais défendre l'autre ? Comment avons-nous pu être assez stupides pour croire qu'il n'y aurait pas de mélange des genres, pas de changement de mentalité envers les femmes en général, affectant les interactions avec les femmes dans la vie de tous les jours, causés par la consommation de porno hardcore ? Quelle naïveté ! Ou ignorance volontaire. Nous voulons pouvoir utiliser les femmes pour se branler dessus, donc nous ignorerons toutes les conséquences que cela aura au-delà du fait de devoir attraper les mouchoirs.

Et voilà l'exploit, la disparition des clients, l'absolution des hommes qui maltraitent les femmes de toute forme de culpabilité ou de responsabilité. Abracadraba ! Je vais faire disparaître le client et vous donner à la place la prostituée. Sa faute, son choix, son droit (!) à être là. Regardons-la plutôt que lui, ajoutons l'insulte à la blessure. Elle est baisée de toute façon, littéralement ; la blâmer un peu plus et lui mettre des mots dans la bouche ne lui fera pas de mal. Après tout, sa bouche a tellement d'usages.

Oublions-le, marmonnons quelque chose à propos des hommes ayant besoin d'un exutoire sexuel constant et d'une stimulation visuelle, à propos des mecs étant des mecs, à propos de fantasmes inoffensifs et de s'amuser un peu. Ces femmes merveilleuses qui se nomment "féministes pro-sexe" commencent, à la place, à déclamer des conneries sur le droit des femmes à "prendre le pouvoir" en tant que "travailleuses du sexe" et à "utiliser leur sexualité". Comme si elles savaient quoi que ce soit à propos de ce pour quoi elles se battent ! Ne te bats pas pour mon "droit" à être abusée, ma soeur. Elles ont gobé le langage aseptisé, peut-être sur la même longueur d'onde que le "visage" hautement publicisé de l'industrie du sexe : quelques très rares femmes disant qu'elles aiment ça et qu'il n'y a rien de mal à ça et à quel point c'est libérateur de se faire baiser autant. "J'aime juste le sexe, je suis vraiment cochonne, et je suis fière de mon corps". C'est encore d'elles qu'on parle à nouveau, la femme à nouveau ; pas de mention de l'audience pour laquelle elles performent, les hommes derrière la caméra, les dynamiques de pouvoir, juste une réaffirmation qu'elles veulent se faire baiser.

Ils oublient, ces gens, ces féministes "pro-sexe", que les femmes qui sont encore dans l'industrie ne sont pas libres de dire la vérité. Et qu'en fait, les femmes qui agissent comme le visage des relations publiques du lobby du sexe sont grassement payées pour le faire. Tu ne peux en aucun cas être pro-sexe et et pro-prostitution et pornographie. En faire une transaction commerciale éradique la possibilité d'une sexualité agréable puisque cela amène les relations de pouvoir dans l'équation et élimine ainsi la liberté et la vérité.

Ces soi-disant féministes détournent les yeux des rangs des détruites, des vendues, des désespérées, des femmes qui constituent 98% des prostituées. En fait, ils ne font pas que nous ignorer : ils nous calomnient, disant que nous exagérons, que la majorité des femmes aiment ça, ils désignent les sourires sur les visages des femmes dans la pornographie comme si cela voulait dire quelque chose. Ils ne se connectent pas avec la réalité de ce que c'est d'être prostituée. Ils ne peuvent pas nous regarder dans les yeux, mais ils jugent tout de même que nous sommes dans l'erreur et malhonnêtes à propos de nos expériences. Ils nous invalident sans réfléchir. Tu te trompes ! Tu aimais ça !

Vraiment amusant, ils disent la même chose que les clients. En fait, plutôt que l'étiquette "féministe pro-sexe" nous devrions peut-être utiliser "misogyne ami des proxénètes et des clients". Ou "artiste de la connerie", comme je l'avais écrit dans un post précédent.

Ce qu'ils ont totalement ignoré, et ce que la société en général ignore dans ses bêlements quotidiens des phrases de l'industrie pro-sexe, c'est que là-dehors, faisant leurs petites affaires tranquillement sans se questionner, achetant et utilisant des femmes, tout autour de nous, il y a les clients. Nous regardons les choses depuis une mauvaise perspective. Demandez à une femme qui est contrainte par les finances, par la toxicomanie, par la santé mentale ou par la violence, pourquoi elle se prostitue, et elle vous dira un mensonge, non pas parce que c'est une personne mauvaise mais parce qu'elle le doit, pour survivre. C'est sa protection. Elle vous dira ce que vous voulez entendre. Alors si vous voulez entendre que les prostituées, et les pornstars (ce qui est en fait la même chose) adorent ce qu'elles font, c'est ce qu'on vous dira. En vous rassurant avec un sourire : tout ça fait partie du job.

Si vous voulez vraiment savoir pourquoi elle est là, demandez aux clients. C'est eux, la raison. Les choses qu'elle fait, les actes sexuels qu'elle performe, sont pour eux, pas pour elle. Le truc, c'est que les clients ont un petit problème avec l'honnêteté. Et la franchise. Ils souhaitent rester sans visage. La femme dans la pornographie n'a pas un tel luxe, ouverte pour votre délectation et votre ravissement, un sourire figé en place pour encourager votre orgasme. Mais il se cache dans l'ombre d'un millier d'excuses offertes en son nom pour son comportement. Restez concentrés sur elle, et vous protégez ses abuseurs, les clients. Et ils sont des abuseurs - il n'existe pas une chose telle qu'un bon client. Il est temps que nous arrêtions de défendre les mauvaises personnes, d'excuser l'inexcusable, et que nous déplacions le projecteur sur les clients. Je ne peux pas imaginer un meilleur moyen de tuer la demande. Ses fantasmes dégoûtants, pervers, montrés comme étant les siens à lui, et pas mis dans sa bouche comme quelque chose qu'elle veut, et sur lequel on se branle. D'ici là, nous avons une situation de l'ordre de l'homme invisible.

jeudi 2 février 2012

Avoir un proxénète ? L'enfer

L'enfer peut devenir une habitude. La bataille quotidienne pour la survie. Des petites victoires prises ici et là. La perspective se déforme. L'inacceptable arrive tout le temps - il faut t'en remettre. Ça va être horrible, mais la question est, à quel point ? La peur est une constante. Tu sais que tu peux à tout moment mourir ici, être tuée ici, mais il n'y a pas d'échappatoire. L'esprit s'adapte. Le corps s'adapte. Les deux travaillent à s'éloigner de toi le plus possible. Il y a l'alcool aussi, et les drogues, quand tu peux en avoir.

Tu es reconnaissante quand ils ne te font pas trop souffrir. Dieu merci ! Une gratitude pathétique parce qu'ils ne se sont pas montrés plus sadiques qu'ils ne le sont. La bonté et la gentillesse et la compassion sont si complètement absentes que le fait d'être maltraitée, mais moins sévèrement, ressemble à un cadeau. Tu te hais dans ton impuissance.

La normalité ? Concentrée sur la survie, tu oublies. Tu vis comme un animal, juste pour t'en tirer. À fouiller les poubelles pour trouver de la nourriture. Rampant quand tu ne peux pas marcher, à genoux quand ils t'y forcent. Tu es prise, encagée, piégée. Tu cesses de parler. Impossible de faire confiance à ces gens ! Sa main va-t-elle te caresser ou te frapper ? Ses mots vont-ils te bercer ou te blesser ? S'il offre quelque chose de gentil, tu attends qu'il t'attrape. Il va le reprendre, en riant peut-être, se moquant de toi parce que tu as montré ton désespoir, ou peut-être qu'il te laissera le prendre. Et se mettra en colère après. Ou peut-être pas.

Tu ne peux t'accrocher à rien de solide, tu ne peux croire en rien excepté la certitude qu'aujourd'hui tu vas souffrir. Tu es en vie uniquement parce que ton corps leur est utile. Il a une valeur, non pas parce qu'il est bon ou qu'il a une valeur intrinsèque. Il a une valeur financière, et cette valeur vient de son utilisation comme poupée à baiser.

On te possède. Ce corps n'est plus le tien : tu n'as pas droit de parole sur ce qui lui arrive. Tu veux te détacher entièrement, tu en viens à détester ce corps pour ce qu'ils lui ont fait, couvert de leurs fluides, de leurs odeurs, faible et douloureux, gelé et incapable, mais tu ne peux pas, parce que te laisser aller entièrement signifierait mourir, et tu ne veux pas ça non plus. Enfin, parfois peut-être mais tu as peur, parce que tu sais que tu es mauvaise, ils te disent que tu es mauvaise, et tu as peur du démon.

Terrifiée par tout : être seule avec ta tête ; être avec des gens, à cause de ce qu'ils te font. Peur de mourir ici comme ça ; peur de continuer comme ça. Peur du noir et de ce qui s'y cache, mais peur de la lumière, de voir ce que tu es devenue.

Seule, seule, seule. Avec nulle part où aller.

Ici en guérison, cet enfer passé ne s'est pas simplement envolé. Tu peux être sortie de l'enfer que c'était mais être toujours en enfer, mentalement. L'expérience d'être torturée, physiquement et mentalement, n'est pas quelque chose que tu peux dissiper en secouant la tête ou en claquant des doigts. J'étais jeune quand ça a commencé, alors je n'ai aucun autre cadre de référence. Je lutte avec le syndrome de stress post-traumatique, les cauchemars, les dissociations... une montagne à escalader. Un progrès lent, lent, intégrer, comprendre, ressentir, accepter, faire face. Tellement frustrant !

J'ai appris à survivre, mais maintenant j'essaie d'apprendre à vivre. Et c'est quelque chose d'entièrement différent.

mardi 10 janvier 2012

Comment baiser comme une pute (oups, je veux dire "star de porno")

Juste quelques astuces que j'ai apprises sur le tas, de mon expérience d'avoir été utilisée dans la pornographie quand on me prostituait, et d'un peu de recherche sur l'expérience d'autres survivantes de la pornographie et de la prostitution.
Oh oui et, P.S., la pornographie c'est de la prostitution, en dépit de la ligne arbitraire que la société choisit de tracer entre les deux : quelqu'un, que ce soit la femme, son proxénète ou son agent, est payé en échange de l'utilisation de son corps à elle.
Donc les acheteurs de pornographie sont des clients de prostitution, ils gardent juste un pas de recul, même s'ils n'aimeraient pas être appelés ainsi. Vraiment étrange, une telle sensibilité aux mots, étant donné ceux qu'ils utilisent à propos des femmes dans la pornographie qu'ils achètent.

Bref.


Alors, vous êtes curieux de savoir comment baiser (définitivement pas faire l'amour) comme une "star de porno" (pute) ? Quelques indices utiles :

- Néglige ton corps et sa souffrance. Souviens-toi : il ne s'agit pas de toi, il s'agit des clients et de ce qu'ils veulent voir, des hommes qui te baisent et ce qu'ils veulent faire, et des hommes derrière la caméra et combien d'argent ils veulent se faire. Ton corps est seulement un véhicule pour les frissons sexuels des autres, qu'importe à quel point c'est douloureux ou pervers. Comme le disait "Buttman" John Stagliano, "le plaisir et la souffrance c'est la même chose, non ?" (1). Je suppose que c'est ce qu'on appelle jeter l'empathie par la fenêtre.

- Attends-toi à être humiliée. La plupart du plaisir que les acheteurs prennent vient du fait de te voir dégradée, que ce soit par une éjaculation faciale, ce qu'ils te disent (salope ! putain ! chienne ! dis que t'es une chienne), ou quand ils te giflent ou te crachent dessus ou te font des trucs merveilleux comme du ass-to-mouth ou pire. Ces trucs que les reluqueurs pro-porno disent parfois, à propos de respecter les femmes qui sont dans la pornographie parce qu'elles choisissent de le faire ? Des conneries. Ils ne te respectent pas le moins du monde et les mecs qui te besognent dessus non plus.

- Vois-toi depuis une perspective extérieure : une perspective de pornographe, une perspective de client. C'est pour ça que tu es là. Leur attention est largement focalisée entre tes jambes, d'où les zooms. Oh oui, et tes seins et ta bouche ont leur utilité aussi. C'est là que se situe ta valeur : dans ta disponibilité pour être utilisée. Tu penses qu'ils s'inquiètent de ce que ça te fait, si tu souffres ? Il n'y a pas de place pour la considération quand la caméra tourne et que les clients attendent, en trinquant sur des agressions comme une façon "d'être quittes" avec les femmes qu'ils ne peuvent pas avoir dans leur vie.

- Pénétration, pénétration, pénétration. C'est tout. Si ça peut être fait, quelqu'un voudra le voir, qu'importe à quel point c'est extrême. Vaginale, anale, orale... Maintenant la pénétration anale est devenue courante, la pression est de mise pour la prochaine innovation, et ton corps est sur le point d'être testé jusqu'à ses limites, pas très excitant mais risqué et douloureux, vie et mort. Comme l'avait dit un réalisateur de porno, Mitchell Spinelli, "Les gens en veulent plus. Ils veulent savoir combien de bites tu peux fourrer dans un cul... C'est comme "Fear Factor rencontre Jackass". Rendre ça plus hard, plus obscène, plus impitoyable." (2)
L'endurance est la qualité numéro 1 dont tu auras besoin ici : il ne s'agit pas d'aimer le sexe et d'être fière de ton corps comme ils te le disent dans les magazines. Tu penses que ce sera une expérience sexuelle excitante ? Réfléchis bien. On parle de baise brutale et prolongée, de toutes les façons possibles en risquant les déchirures, d'être tellement contusionnée que s'asseoir te fait mal, et chier du sang après. Et ils utiliseront n'importe quoi, pas juste leur bite : des objets ou des poings, tout ce qu'ils pourront forcer à te rentrer dedans. Tu es un ensemble de trous pour eux, de l'argent pour eux, plus l'acte sera extrême plus d'argent se feront. Difficile de voir l'humain quand on a des symboles de dollars devant les yeux.

- Sois préparée à remercier les hommes qui abusent de toi, à leur demander de te faire encore plus mal, de te baiser plus fort. L'agression physique n'est pas suffisante : ils exigent de savoir, pour le bénéfice du mec en train de se branler chez lui, pour qu'il jouisse, que ça te plaît. On la traite épouvantablement, et cette petite salope n'en a jamais assez ! Ou certaines audiences veulent savoir que tu souffres, alors sois prête à pleurer. Tu ne seras peut-être pas capable de t'en empêcher, de toute façon, ne t'en veux pas pour ça, tu ne sais pas à quoi tu vas te mesurer, ce face à quoi la résolution la plus forte n'est d'aucune aide. Ils ont un moyen de te briser, de t'humilier, de te faire souffrir jusqu'à ce que tes larmes coulent. Et n'oublie pas de dire merci comme une bonne fille quand ils ont fini, et de bien présenter à la caméra : ils veulent voir ces dégâts !

- Laisse de côté toute notion de choix, d'empowerment ou de contrôle. Tu feras ce qu'ils disent, pour éviter encore plus de violence hors caméra. L'obéissance est exigée : ils ont le pouvoir, ton corps est leur terrain de jeu, pour y faire ce qu'ils veulent. Qu'importe à quel point ils te traitent agressivement quand la caméra tourne, sache que ça peut être, et que ça sera, bien pire quand la elle sera éteinte.

- Et finalement, prends et utilise tout ce sur quoi tu pourras mettre la main pour t'engourdir, pour réduire la douleur, mentale et physique. Ce qui va arriver arrivera avec ou sans ton consentement, que tu luttes ou non, qu'ils aient à te frapper ou à te menacer d'abord ou non. Ton corps est là, et il va être gravement maltraité. Le mieux que tu puisses faire est de t'éloigner le plus possible, quoi qu'il en coûte. Alcool, drogues, dissociation. C'est ça, je crains que ce soit ta seule arme : tu es toute seule là-bas.

Ne confondez pas avec la réalité les mensonges disant des femmes dans la pornographie qu'elles ont du pouvoir et qu'elles sont respectées, qu'elles sont des "stars", que c'est un job glamour et excitant, ou tout ce qui parle de profiter du sexe, de libérer le sexe. La pornographie n'est qu'une question d'argent et de pouvoir. Les corps des femmes sont les moyens pour une fin, c'est à dire quelqu'un qui a du pouvoir sur une femme qui devient riche en la vendant, en vendant des images de sa maltraitance, et quelqu'un qui jouit là-dessus. Peut-être que s'ils en savaient un peu plus sur la réalité, les gens seraient moins enthousiastes à l'idée de "baiser comme des stars du porno", ou d'émuler la dynamique de l'abuseur et de l'abusée que nous appelons pornographie.

(1) Getting Off: Pornography and the End of Masculinity, R Jensen, Southend Press, 2007, p117
(2) Ibid, p70

dimanche 8 janvier 2012

Ce qu'il y a en dessous

Quelqu'un m'a écrit récemment, et cette discussion m'a fait penser aux apparences et à la réalité. J'ai toujours eu un don incroyable pour bien présenter même dans les circonstances les plus terribles. En fait, en convalescence j'ai découvert que ma capacité à avoir l'air confiante et bien en ordre a joué contre moi quand j'appelais à l'aide. Les gens me regardent et ne voient pas de problème : pas besoin d'aide ici ! Circulez ! La réalité, les dégâts, sont bien plus profonds, et peuvent être cachés pour la majeure partie, même si c'est parfois in extremis, comme récemment mon mutisme et ma froideur ont été un peu plus difficiles à gérer sur scène. Vêtue de longues manches et parées de beaux atours, voici la femme éduquée, bien articulée. Habillée en veste et l'air nonchalant, voilà quelqu'un qui est un peu rude sur les bords, une femme plus dure avec des tatouages et de sérieuses cicatrices d'automutilation. Le langage et les manières changent pour s'adapter.

Les deux sont réelles, mais laquelle est moi ?

Ce sont les personnalités publiques, avec toutes les teintes qui existent entre les deux. Je crois jusqu'à un certain point que tout le monde s'adapte un peu pour coller à sa situation. Le problème que j'ai est un problème de degré. Il y a en fait de nombreux personnages entre lesquels ma tête balance, chacun existant de son propre droit. Je trouve ça difficile de me souvenir vraiment comment je suis dans un état d'esprit quand je suis dans un autre. Froide, Détachée, Sauvage, Angel, Emma, Destructrice, Compatissante... Les problèmes de mémoire que je rencontre comme je papillonne entre ces personnalités ajoutent à la fragmentation, la déconnexion, mon expérience de la vie comme d'une collection de clichés instantanés, une série d'événements sans vraiment de connexion apparente, ma difficulté avec le temps. Je vois que je perds le compte des jours, qu'une heure peut durer toute une vie ou alors filer le temps d'un clin d'oeil. Parfois je regarde la pendule et une heure a passé, ou plus. Je suis ailleurs, partie, perdue dans une transe.

J'ai une relation d'amour-haine avec mon apparence extérieure de compétence. Il y a du pouvoir dans le fait de porter un masque. Et je peux être compétente, donc ce n'est pas un mensonge. Pas toujours, en tout cas. Parfois quand je lutte, quand le syndrome de stress post traumatique est trop violent, je mets mon apparence extérieure, Angel : cheveux coiffés, maquillage parfait, vêtements frais. La portant comme une cape, j'interagis avec le monde extérieur avec un pas de recul. Je vais très bien, merci d'avoir demandé, ne te rapproche pas trop. Mais ce masque, cette cape peut aussi agir comme un instrument de torture, m'enfermant, me suffocant ; le métal se plante en moi et me fait souffrir et me piège là, toute seule.

J'ai trouvé ce texte, quelque chose que j'ai écrit à l'époque où je buvais et me droguais encore, quand j'ai commencé à sentir que je me séparais, me retrouvais découpée en deux, et moi perdue quelque part au milieu, dans l'éther. Je me fragmentais de plus en plus comme les choses empiraient, comme j'étais battue et vendue. Je suis devenue "nous", et nous faisions ce que nous devions pour tenir le coup. Parfois tout ce qu'on peut faire c'est tenir le coup. La survie est tout, heure par heure, minute par minute, à travers une volée de coups, puis une autre. Moi mais pas moi, ici mais ailleurs, une mais plusieurs, ensemble mais séparée.

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Je serais internée si je leur disais ce qui se passe vraiment dans ma tête, dans mon esprit. Alors à la place je feins la normalité, l'humanité, je souris quand quelqu'un sort une blague, en fait je souris beaucoup, je suis connue comme la Souriante, mais il ne s'agit que de tirer des muscles faciaux, une contorsion débile de muscles faciaux qui ne veut rien dire, c'est juste de la comédie, c'est juste tirer une tête, c'est juste jouer un rôle. Je ne souris pas à l'intérieur, et si ils pouvaient voir ce qu'il y a à l'intérieur ils ne souriraient pas beaucoup non plus.

À l'intérieur il y a les ténèbres, les débris et les dégâts, et un sentiment sirupeux, putréfié, de désastre, de mal qui semble primitif, et qui est injecté à l'intérieur de mon noyau. Ne vous approchez pas de moi ou je suinterai mes DÉGÂTS sur vous. Je suis comme une viande en décomposition, je pourris de l'intérieur vers l'extérieur, le mal creuse son chemin à travers moi et l'extérieur joli et souriant sert juste à rendre tout ça encore plus terrifiant parce que si vous me rencontriez juste pour discuter vous pourriez faire erreur en pensant qu'il n'y a Pas De Problème et que je suis une Fille Adorable. Je vois le démon assis au bout de mon lit. Je veux infliger de la douleur, de la douleur comme celle que je ressens, je veux endommager comme je suis endommagée.

Je ne me regarde plus dans les yeux dans le miroir. J'ai peur de moi et je ne fais confiance à personne. Je méprise les gens autour de moi. Ils ne voient que ce qu'ils veulent voir et ce n'est pas la vraie moi. Je suis l'actrice consommée, la réalisatrice, je tire les ficelles mais ils ne voient rien. Il est mieux, plus sûr, de ne rien laisser voir, la connaissance c'est le pouvoir et je ne suis pas près de donner ça à n'importe quel connard comme ça. Ce n'est pas que je mente, c'est juste que je ne dis pas la vérité.

L'écart entre la moi Souriante, la moi Normale, que je présente, et l'Autre moi, mon côté sombre, devient caverneux. Je me sens prise entre les deux, détachée et perdue. Je vis deux vies, l'une visible et fausse, l'autre cachée mais plus réelle, ces deux aspects de moi-même ne se rencontrant que parce que nous partageons le même corps. Mon corps me semble étranger, séparé de mon esprit et de l'obscurité, juste un cadre à graver avec des balafres, un vaisseau pour se laisser aller aux substances que je choisis, quelque chose que je porte et avec lequel je flirte et je baise. Mon esprit, c'est un autre endroit.

Je suis un voyeur dans ma propre vie.

J'aime et je hais le Sourire, le Masque, il me permet de me sentir distante et de passer inaperçue dans un monde auquel j'ai de plus en plus l'impression de ne pas appartenir. Je viens d'un autre endroit, un endroit plus obscur, et je me retrouve à rechercher le noir et le danger. Je flirte avec, en partie effrayée, en partie excitée, je joue avec le feu et je sais que je vais me brûler mais je ne peux pas le lâcher. Je ne peux jamais lâcher les choses : je suis une Addict, une Obsessionnelle. Une petite partie de moi voudrait que les gens se rendent compte, voient ma souffrance, voient mon bouleversement, m'aident à me relever et à sortir de cette fosse dans laquelle je suis. Mais je suis partie beaucoup trop loin pour laisser les gens voir la Vraie moi. Mon état est Inacceptable, et je le sais.

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C'est un progrès lent, rassembler les morceaux d'Angel. Je ne suis plus là où j'étais quand je buvais et me droguais, je ne suis plus le sujet d'hallucinations chimiques et des complications associées : je sais maintenant que c'est avec moi que je dois me débrouiller, pas avec les effets secondaires de l'auto-médication. Mais sous de nombreux aspects il serait moins douloureux, plus facile, de rester fragmentée. Me réintégrer implique de me rendre compte et de revivre le trauma extrême que j'ai enduré en tant que femme battue, femme qui a été vendue. Au fond, je veux être capable de m'engager dans des relations authentiques avec les autres, ne pas être seule, et cela requiert que je commence avec moi-même. Tant que je ne serai pas entière je resterai à une distance, susceptible de causer des dégâts et de la confusion, aux autres qui s'occupent de moi, et à moi-même. La confiance est une chose importante ; pour commencer à guérir et à rassembler ces fragments, j'ai besoin d'aide. C'est difficile. Mais je m'en approche, même si certains jours j'ai l'impression de faire un pas en avant et trois pas en arrière. Je veux être capable de dire : ce que vous voyez, c'est la vérité. À prendre ou à laisser, mais c'est moi. Voilà Angel.

mercredi 4 janvier 2012

Sur les mots en faveur de la prostitution, et autres folies

Je suis tombée sur un argument mis en avant par un membre du Parlement français dans le débat à propos de l'adoption ou non d'un modèle suédois pour la prostitution, visant les clients plutôt que les prostituées. Il ne voyait pas le problème avec la prostitution. Il a dit : la prostitution est le plus vieux métier du monde. S'il n'y avait pas l'exutoire sûr et légal qu'est la prostitution, il y aurait plus d'agressions sexuelles. La prostitution devrait être régulée, pas rendue illégale.

Un examen approfondi montre que cet argument est fallacieux sous tous ses aspects. Prenez le commentaire sur le "plus vieux métier du monde" par exemple. Cela implique que la prostitution est un système bien-fondé simplement en vertu de son historicité. Il y a toujours eu des femmes qui se sont fait baiser pour de l'argent donc tout va bien. Le bear baiting (voir ici) et les combats de gladiateurs sont aussi historiques mais je suis sûre que personne n'irait proposer de les légaliser en utilisant cet argument. La pensée moderne a généralement reconnu beaucoup de pratiques d'antan comme barbares et cruelles, et à raison. Alors nous devrions éliminer ce mode de pensée du "vieux = bon". De toute façon, je ne suis pas sûre qu'être abusée verbalement, physiquement et sexuellement puisse être classé comme une profession.

Cette idée de "plus vieux métier" a aussi l'odeur de l'inévitable : la prostitution a toujours existé, existe et existera toujours. Ceci est tout simplement faux. Il n'y a rien d'inévitable dans la prostitution. La façon dont fonctionne notre société, les "normes" qu'elle accepte et perpétue, sont des constructions sociales. L'industrie du sexe cherche à naturaliser les inégalités entre les sexes pour raffermir sa prise, pour dire c'est ainsi que sont les hommes (ils ont constamment besoin d'un exutoire sexuel), c'est ainsi que sont les femmes (capables de se faire de l'argent en fournissant ce "service"). Une fois que nous voyons quelque chose comme normal ou inévitable, nous cessons de questionner son existence ou sa moralité - c'est ce que l'industrie du sexe attend de nous. Même si on voulait argumenter que la prostitution est inévitable, est-ce que cela nous enlèverait la responsabilité d'essayer de changer cela, d'essayer de l'arrêter, une fois que nous avons reconnu que c'était profondément néfaste ? On peut arguer que les violences conjugales ne seront jamais complètement éradiquées, mais cela signifie-t-il que nous devrions arrêter d'essayer, les décriminaliser, et fermer les refuges ?

Ensuite l'argument de la prostitution qui protégerait des agressions sexuelles, une sorte de valve de sécurité si vous voulez, pour l'homme qui est désespéré. Dire que la prostitution est acceptable parce qu'elle empêche des abus plus sérieux, c'est offrir un groupe de gens - ici les prostituées - et dire, laissons-les être les victimes ici, offrons leur sang à la bête pour que le reste d'entre nous, le groupe social majoritaire, soyons sauvés. C'est créer une sous-classe et justifier leur maltraitance pour protéger ceux qui ont des droits. On leur déniera leur sécurité, leurs droits humains, pour assurer les nôtres. Mieux vaut que ce soient elles que nous !

Cet argument implique que les violeurs et les coupables d'agressions sexuelles ne sont en quelque sorte pas responsables de leurs actions. Ils vont faire du mal à des gens, c'est un fait, alors autant qu'ils fassent souffrir cette femme-là plutôt que cette femme ici qui est socialement acceptable. Souhaitons-nous réellement dire que les actions des gens sont prédestinées, inévitables ? N'est-ce pas les approuver ? Qu'est-il arrivé au libre arbitre ? Et à la responsabilité personnelle ? Si je te frappe, c'est parce que je l'ai décidé. Mon bras n'a pas une force vitale de lui-même. De même si une personne en viole une autre, c'est une décision aussi. À la fin, l'homme qui viole prend une décision. Il n'est pas à la merci de son pénis ! L'homme qui agresse sexuellement prend une décision. Tout comme l'homme qui tabasse. Le système pénal tout entier est basé sur cette compréhension du fait que l'individu est responsable de ses actions.

Si un homme agresse sexuellement quelqu'un, il doit être puni. La loi existe pour nous protéger. Nous ne pouvons pas lui offrir des excuses, dire qu'il n'a pas pu s'en empêcher, et classifier la maltraitance comme acceptable à cause de l'échange d'argent. La pornographie ajoute encore à la naturalisation de ce mode de pensée : "les hommes sont des hommes" et sont fondamentalement différents des femmes, ont besoin de plein de partenaires sexuelles, de stimulation visuelle et d'un exutoire sexuel constamment disponible, que ce soit en utilisant des femmes dans la pornographie ou des femmes en personne, qu'elles soient des prostituées ou des partenaires.

Cet argument implique également que les clients sont des violeurs et des agresseurs sexuels. Si c'est le cas, si on reconnaît que le portrait du client moyen fait dans Pretty Woman était juste un brin optimiste, pourquoi devrions nous attendre de la prostituée qu'elle ait à faire à lui, et ensuite dire, c'est son choix, son problème ? Cet argument fait des prostituées un "mal nécessaire" comme exutoire pour les désirs sexuels frustrés de pervers violents.

Puis nous avons l'idée de la régulation de la prostitution. Dire que nous devrions légaliser la prostitution et la réguler, c'est sous-entendre qu'il existe une chose telle que la sécurité pour une prostituée. C'est dire, si on te met dans une jolie chambre avec un adorable couvre-lit, tu peux te faire baiser sans problème : rien de mal ne pourra t'arriver. En réalité, tu peux changer le décor mais tu ne peux pas changer la nature de l'acte. La prostitution est une histoire de pouvoir : le client a le pouvoir parce qu'il a l'argent et il a la force physique de son côté. La prostituée est l'objet de ses fantaisies, sa poupée gonflable à utiliser et maltraiter comme il veut. La nature même de l'acte est agressive.

Il n'existe pas de prostitution sûre, où qu'elle puisse prendre place. Au final il y aura toujours une inégalité, une femme nue et vulnérable et un homme (ou peut-être plus d'un, ça dépend), sa présence même étant au service de son plaisir sexuel, quoi qu'il en coûte. Et la sécurité implique des limites, des frontières, et un soutien. Où sont les limites quand un client baise une prostituée ? Quand il retire le préservatif quand il est derrière elle, même sur un joli couvre-lit, où est son soutien ? Est-ce qu'avoir une jolie réceptionniste ou quelqu'un à la porte l'aide quand elle est seule avec lui et qu'il fait ce qu'il veut ? Ou quand il la baise plus fort parce que ça lui fait mal, s'enfonce plus loin dans sa gorge pour la voir avoir des haut-le-coeur ? Il peut tout aussi facilement la violer, tout aussi facilement lui faire mal, dans une jolie chambre avec un joli couvre-lit, tout aussi facilement que dans un coin de rue. Cela offre simplement un vernis de respectabilité à l'acheteur, et au proxénète. La prostituée n'en est pas mieux lotie. Elle aura toujours le fardeau d'avaler ce qu'il lui a fait, de ne rien dire, sa honte à elle et pas à lui, sa faute à elle d'avoir été là. Les mots qu'il chuchote dans son oreille, lui disant toutes les choses perverses qu'il veut lui faire, ne seront pas différentes pour la femme. Elle est là pour son plaisir, sa gratification sexuelle, quoi que cela signifie. Point final.

Dans le contexte de la prostitution légalisée, le proxénète devient un businessman, l'acheteur un client. Tout le monde respire tranquillement, sans aucun scrupule, parce que les préjudices sont devenus invisibles. Les dommages faits aux prostituées deviennent invisibles parce que le langage avec lequel en parler a disparu. Nous utilisons déjà bien assez peu de vocabulaire réaliste pour débattre de la prostitution. La discussion tend vers le néant, étant limitée à des concepts abstraits de libération, empowerment et choix. Revenez à la réalité !

Les demandes de légalisation de la prostitution et de sa régulation sont purement dans l'intérêt des proxénètes et des clients. 68% des femmes dans la prostitution souffrent de Syndrome de Stress Post Traumatique, au même taux que les victimes de torture et les vétérans de guerre (voir www.object.org.uk). Réguler la prostitution n'est pas la réponse. Lever les mains en l'air et dire que c'est inévitable n'est pas la réponse. Eduquer les gens sur les réalités de la prostitution, en abandonnant les bêlements insensés et aseptisés sur le choix, la libération, l'empowerment pour les femmes, et en offrant de vrais choix aux femmes qui se retrouvent dans des situations désespérées, c'est cela dont on a besoin. Tant que les femmes ne connaîtront pas les réalités de la prostitution, elles continueront à y être vulnérables. Tant que les femmes ne voient pas d'autres options quand elles font face à des problèmes de santé mentale, de pauvreté et d'addictions, elles continueront à être vulnérables. Et tant que les femmes ne reconnaîtront pas la nature personnelle de la prostitution dans toute sa gloire - sperme et peur et agression et douleur et humiliation, cicatrices physiques et mentales, clients qui ne ressemblent en rien à Richard Gere - beaucoup continueront de se battre pour le droit des femmes à continuer à être maltraitées et à subir du tort dans la prostitution.

Ne vous battez pas pour cela en mon nom. Sachez la vérité : vous vous battez pour les droits des proxénètes et des clients. C'est de la pure folie.

mardi 3 janvier 2012

Pretty woman ?

J'ai récemment redécouvert ce texte, que j'avais écrit il y a un moment. Une lettre de rappel de la gratitude d'être sortie de l'industrie du sexe et en guérison de ma toxicomanie...

Avance rapide d'un an et je suis sortie, debout éveillée et loin de mon partenaire. Enfin, loin, au moins ; je ne peux pas dire que je me sois relevée. En réalité je continue à jouer le jeu, bien que ce soit dans un autre environnement, entourée d'autres personnes, à un autre moment. Je ne suis plus l'objet de sa violence, des punitions qu'il distribuait, je ne suis plus forcée à performer pour ses amis, à payer pour l'alcool et les drogues qu'il utilise, mais je suis toujours piégée. Ma jambe a été prise dans le piège et elle n'en ressort pas. J'ai toujours ma propre petite habitude à laquelle je dois subvenir, les drogues et l'alcool, les drogues ont un prix et ce prix c'est moi. Je suis trop foutue avec les hommes, trop foutue avec les drogues et l'alcool et les répétitions de la violence passée pour pouvoir trouver un job normal. Je me sens merdique et sans valeur, et donc je me retrouve à me tourner vers la seule industrie où tout ça est plus ou moins un pré-requis pour travailler. Je suis devenue une prostituée, une pute, une travailleuse du sexe ; le nom varie mais le travail est le même. Je me dis que je peux fermer mon esprit, que ça ne m'arrive pas vraiment, j'ai un faux nom pour le travail, ce n'est que jouer la comédie à nouveau, rien qu'un autre rôle, ça ne m'affectera pas, ces connards ne m'atteindront pas. Je passe mon temps à me dire que si je me le répète assez, ça deviendra peut-être vrai.

Je travaille dans un salon de massage, je vois jusqu'à 8 hommes par jour. Parfois il y a tout juste le temps de descendre à la salle de bain exiguë et s'éponger, mettre un peu de gloss, boire un peu de vodka et ensuite il faut remonter pour le prochain acheteur. C'est vraiment incroyable pour moi d'en être arrivée là, que ma vie en soit arrivée là, moi qui avais le monde à mes pieds, qui étais major de promo, qui pouvais être n'importe qui, n'importe quoi, aller n'importe où. Comment en suis-je arrivée ici, à vendre mon corps à 45£ la passe, avec des hommes à qui je n'accepterais normalement même pas de dire l'heure, pour qu'ils éjaculent sur mes seins ou sur mon visage (ils disent qu'ils ont mal visé) ?

Ca ne devrait pas me surprendre, pas après tout ce qui s'est passé avec mon partenaire, pas avec l'addiction et les problèmes de santé mentale auxquels j'ai du faire face, mais ça me surprend quand même. J'avais une longue chute à faire. Oh comme les puissants sont tombés ! C'est plutôt ironique aussi que je sois en train de me vendre comme ça à ce moment là, quand je suis en train de perdre mon apparence à cause de l'alcool et des drogues. J'ai cet aspect bouffi, pâle avec les joues rouges qu'ont tous les alcooliques d'une certaine ferveur. Je suis plus grosse que je ne l'ai jamais été et pourtant des hommes me paient pour du sexe. Ca me rend presque joyeuse, d'une manière amère et perverse, mon ex me disait toujours que personne ne serait attiré par moi si je me laissais aller, on ne voudrait pas que tu deviennes encore plus une grosse vache que tu ne l'es déjà, n'est-ce pas ? Je lui ai prouvé le contraire.

Ou peut-être pas. Les hommes qui viennent ici ne sont pas exactement Richard Gere. Ce n'est pas comme si ils avaient le choix entre les femmes. La plupart sont vieux, la plupart sont des enfoirés de bâtards immondes, la plupart haïssent les femmes parce qu'elles les rejettent et ils ont des objectifs à atteindre. Ceux-là sont les pires. Ils agissent comme des sadiques, ils me font mal volontairement, pour s'exciter. Je ne réponds pas, j'ai mal mais je ne réagis pas, et ils détestent ça et ils me font encore plus mal. J'avais résolu après mon ex de ne jamais montrer à un homme qu'il me faisait souffrir, lui et ses potes faisaient des trucs exprès pour me faire pleurer. La honte que je ressens en pleurant devant eux, en leur donnant ce plaisir (mes larmes les faisaient rire) reste avec moi. La honte et les cicatrices sont restées avec moi.

J'ai des cicatrices sur tout le corps, le dos de mes jambes, mes cuisses, mon ventre, mes fesses. Il m'a plusieurs fois blessée avec des tessons de verre, il me battait fréquemment et sévèrement, parfois avec une ceinture. Chaque fois que je prends une douche, chaque fois que je me regarde, elles sont là, c'est comme s'il était toujours là alors que je suis partie loin de lui, il a laissé ses traces sur moi, le sang et le sperme ont peut être été lavés mais le sentiment de saleté reste, parfois j'ai l'impression que les cicatrices me brûlent, un signe que sa présence malveillante ne sortira jamais de ma vie. Les acheteurs s'en foutent, leur regard est fixé : seins, trous, c'est tout ce qui les intéresse.

J'ai des flashbacks, j'ai des nausées et je tremble quand ça m'arrive, j'ai l'impression d'être de retour là-bas avec mon ex, ma poitrine et ma gorge se compriment et j'ai l'impression de ne plus pouvoir respirer, je suis étouffée, étranglée, on me vide de ma vie. Parfois, je m'évanouissais quand ça arrivait pour de vrai. J'ai encore les ressentis. J'ai l'impression de devenir folle. Je dors avec la lumière allumée. L'alcool m'assomme, j'en suis à un litre et demi de vodka par jour plus des extras, mais je me réveille la nuit, les draps du lit trempés de sueur, le coeur battant violemment à toute vitesse. J'entends des voix, la voix de mon ex et les voix des autres hommes qui m'ont utilisée, elles sont si réelles que j'ai du mal à croire qu'il n'y a personne ici. Je m'asseois par terre à côté des toilettes, tremblant et vomissant mes tripes.

Parfois je demande à Dieu de me sortir de là, je l'implore, je tombe à genoux et dis, hey Dieu, si tu es vraiment là haut, s'il te plaît aide-moi à me sortir de cette merde. Je marchande et je fais des promesses, aide-moi à arrêter de boire, à me remettre à l'endroit et je ferai tout ce que tu veux Dieu, n'importe quoi, mais s'il te plaît aide-moi. Face à un silence assourdissant, je suppose que Dieu me déteste, ce qui me paraît cohérent : j'ai l'impression d'être l'antéchrist.

dimanche 1 janvier 2012

À propos de choix : cages invisibles et pièges langagiers

Ca semble si simple quand ils le disent, si raisonnable. S'il la frappe, elle devrait le quitter, et si elle ne le quitte pas, c'est son choix et son problème. Si elle n'aimait pas ce qu'ils lui font dans la pornographie, elle ne sourirait pas et ne dirait pas baise moi plus fort, et elle ne choisirait pas d'en faire partie. Si elle ne se faisait pas plein d'argent dans la prostitution (escort et lapdance inclus, c'est la même chose), elle ne choisirait pas d'en faire partie.

Choix.

Le voilà, ce petit mot, si petit et apparemment innofensif. Un mot librement crié sur les toits, sans tenir compte de la maltraitance des femmes. Quel coup pour les femmes qui sont vendues, piégées dans la violence !
Ce petit mot, "choix", est la clé pour que la société puisse se laver les mains de toute responsabilité, de toute empathie, de toute tentative de s'intéresser ou de comprendre les femmes qui vivent une demi vie.

On aime le mot "choix" ici en Occident. On s'accroche tellement fort à nos choix et nos libertés, nos droits. Nous oublions qu'avec les droits viennent les responsabilités. La liberté est une belle chose, tout comme le choix. Mais nous oublions que certains choix sont moins libres que d'autres, que certains choix faits librement nous limitent ensuite nous ainsi que nos futurs choix, nous piègent et finissent par détruire notre liberté.

Ces choses sont rarement aussi simples qu'elles en ont l'air. Supposer qu'elles le sont et que nous comprenons les femmes dans des situations complexes, généralement sans prendre le temps de les connaître, de leur demander, de les comprendre, c'est leur rendre un très mauvais service. C'est poser un jugement, sous-entendre qu'elles sont stupides, les blâmer et leur attribuer la faute, à ces femmes qui sont coincées dans le système, les jambes prises dans le piège.

Si nous disons qu'une femme qui reste dans une relation violente devrait simplement partir, nous impliquons qu'elle le peut, qu'elle a la liberté de faire ce choix autant qu'un autre choix parmi des choix variés. C'est ignorer, ou écarter consciemment, les autres facteurs qui sont en jeu ici : l'instabilité financière, le problème de l'endroit où elle va aller, si elle a quelqu'un qui lui offre un soutien émotionnel et matériel, sa santé mentale... Les femmes qui subissent une situation traumatisante, telles qu'une femme battue ou une femme dans la prostitution ou la pornographie, seront traumatisées. C'est peut-être évident, mais c'est largement ignoré. C'est rarement quelque chose qu'on voit pris en compte dans les conversations autour de la maltraitance des femmes. Devrions-nous châtier les personnes traumatisées parce qu'elles n'ont pas les pensées assez claires ?

Quand ton estime de toi t'est arrachée jour après jour par ce que ton partenaire te dit, par ce qu'il te fait, tu sens que tu ne peux plus continuer comme ça, que tu ne peux pas t'en sortir toute seule. Il te traite comme de la merde et te dit que tu es une merde et que tu le mérites, et tu entends les voix de complets étrangers en choeur avec lui, disant que tu dois aimer ça sans quoi tu ne retournerais pas près de lui. Ou alors ils ne te croient pas : il est si gentil ! Vu de l'extérieur en tout cas. Tu t'en prends à toi même, résultat de l'humiliation et de la souffrance, tu t'éloignes des gens, et à mesure que tu t'estompes il prend de plus en plus de place. Les gens extérieurs voient ce qu'ils veulent et te jugent toi - tu n'es plus aussi sociable maintenant, maintenant que tu sais ce que les gens peuvent te faire, ce qu'ils pensent de toi. Ton manque de confiance, qui est une conséquence directe de la maltraitance, joue maintenant contre toi, te discrédite encore plus. Tu deviens invisible.

Face à la maltraitance, peut-être que tu as bu un peu plus ou que tu as utilisé des drogues pour éloigner la souffrance, n'importe quoi qui puisse aider. Un choix ? Peut-être au début, mais ensuite tu ne pouvais plus t'arrêter. Jusqu'à 95% des femmes dans la prostitution sont des utilisatrices problématiques de drogues (voir www.object.org.uk pour les statistiques). Les deux choses vont main dans la main, l'auto-maltraitance et la maltraitance, et le besoin d'argent t'y piège. 74% des femmes citent la pauvreté comme la motivation principale pour entrer dans la prostitution. Les femmes qui subissent des violences conjugales peuvent se retrouver piégées par les problèmes financiers, et sans domicile si elles partent.

J'ai entendu dire qu'il y a de l'aide là dehors, et que donc si les femmes ne s'en servent pas, c'est que c'est leur choix. Une femme abattue, qui ne fait que survivre, qui se concentre uniquement sur là-dessus, n'est pas toujours dans le meilleur état d'esprit pour évaluer les options, pour voir les choix, et n'est pas toujours assez forte pour agir. Vivre dans la peur constante est terriblement débilitant.
Les études montrent que le moment le plus dangereux pour une femme qui vit des violences conjugales, c'est quand elle décide de partir. Les femmes battues ne sont pas stupides - nous apprenons vite, nous nous dissocions et nous engourdissons, nous vivons dans le déni parfois, juste pour survivre. C'est difficile d'appeler à l'aide quand tu as été abattue, quand tu as fait confiance aux mauvaises personnes par le passé, quand tu risques de vivre encore plus de violence, quand tu as peur qu'il te tue, peut-être qu'il t'a dit qu'il le ferait ou bien tu sais de quoi il est capable. J'avais essayé de partir avant d'avoir eu la chance de trouver un abri, et la leçon qu'il m'a donnée après ça, quand il l'a découvert, m'est restée. Je n'ai pas pu marcher pendant des jours.

Choix, choix, choix, hein.

Tant que la discussion autour de la prostitution et de la pornographie est formulée dans le langage de l'amusement, de l'empowerment et de la libération, tant que les femmes qui ont été utilisées et abusées par l'industrie continuent d'être rendues muettes et invalidées, le langage du choix n'a aucun sens. Nous vivons dans une culture qui malmène les femmes, où les collégiennes rêvent d'être des mannequins glamour, où la réalité de l'industrie du sexe est recouverte d'un vernis de respectabilité, avec des porn stars dans des émissions télé, des histoires pro-industrie du sexe dans les magazines féminins et l'attente d'argent facile et de divertissement innocent - juste un job comme n'importe quel autre.

Je ne connais aucun métier en dehors de la prostitution et de la pornographie où un corps et un esprit sont autant maltraités, où des étrangers te baisent par tous les trous et de toutes les façons possibles, où 68% des femmes vivent un Syndrome de Stress Post-Traumatique du même genre que ceux des victimes de torture et des vétérans de guerre, où la violence est la routine, où tu es verbalement, physiquement et sexuellement abusée pour faire jouir les autres. Des hommes ont craché dans ma bouche, m'ont traité de pouffiasse, de salope, de pute, m'ont dit que je n'étais bonne qu'à ça, qu'ils aimeraient me tuer après avoir fini de me violer, on m'a dit de performer pour la caméra ou alors on me donnait des cachets pour "m'aider" à me relaxer. Je pourrais continuer pendant des pages. La maltraitance était sans fin.

Il faut que l'on fasse en sorte que le langage autour de la violence envers les femmes reste réel. Changez le langage et vous réduisez le débat au silence. Face aux problèmes de santé mentale, à la pauvreté, à la violence, à la désinformation et à la toxicomanie, le langage du choix n'a aucun sens. Nous devons rendre les réalités visibles. Sur la pornographie et la prostitution nous devons dire la vérité et ne pas l'aseptiser : il s'agit d'argent et de pouvoir, d'inégalités et d'imposition de souffrance, d'agressivité et de sperme, de corps de femmes vendues et maltraitées. Il s'agit de ce qui arrive à la femme ensuite, si elle a la chance de s'en échapper : cauchemars, attaques de panique, reviviscences, problèmes de confiance, dissociations, addictions, sérieuses cicatrices physiques et mentales qui mettront des années à guérir, et ne seront jamais oubliées.

La prochaine fois que nous entendons quelqu'un porter allègrement des jugements sur des femmes, et condamner leurs choix, nous devons changer de langage. C'est inconfortable, et cela doit l'être. Tant que nous continuons d'utiliser de façon simpliste le mot "choix" à propos des femmes dans la prostitution et la pornographie, nous nous lavons les mains de toute responsabilité. Cela signifie que je peux justifier ma consommation de pornographie, profiter de pouvoir en rire et me branler dessus, sans culpabilité.
Si l'industrie du sexe est aussi puissante, aussi omniprésente, aussi généralisée, c'est grâce à notre complicité, notre déni. Nous devons briser ce déni, et la première façon de fissurer l'armure est d'arrêter de s'accrocher à la défense simpliste de la maltraitance des femmes en disant que c'est un choix.