samedi 29 octobre 2011

La foire aux monstres

Dans Pretty Woman, il y avait Richard Gere. Malheureusement, notre cher Richard n'est pas représentatif des hommes qui achètent des femmes, que ce soit en termes d'apparence ou de comportement.

Il y a une raison pour laquelle les hommes qui achètent des femmes le font.

Laissez-moi vous peindre une image plus exacte, même si moins belle. Les clients sont là pour une raison, et si vous pensez que cette raison a quoi que ce soit à voir avec l'amour des femmes ou une simple transaction financière, vous avez tort. Regardons les clients de plus près.

Le misogyne. Cet homme a une histoire personnelle qui l'a mené à haïr les femmes. Cela peut ressembler à quelque chose comme ça : sa mère l'a maltraité quand il était enfant. Ou il pense qu'une petite amie / collègue de travail l'a humilié. Ou il a une patronne qu'il ne peut pas supporter. Ou il ne peut pas avoir les femmes qu'il mérite. L'histoire peur varier mais le résultat est le même : il veut donner une leçon aux femmes. Il veut que les femmes, cette femme, n'importe quelle femme, cette femme qu'il achète, ressente de la souffrance comme il croit que les femmes dans sa vie l'ont fait souffrir. Peu importe que ce soit une autre femme. Le fait est que la prostituée est disponible pour lui comme un moyen d'exprimer sa haine et son agressivité d'une façon que la ou les femmes qu'il voudrait avoir ne permettent pas. Il ne peut pas avoir de relation avec une femme à cause de la façon dont il les traite. Le fait est, et il le sait trop bien, qu'avec une prostituée, il n'y a pas de conséquences. S'il la frappe, s'il la viole, s'il l'étrangle à moitié, s'il menace de la tuer, rien ne lui arrivera à lui. Aucune sirène de police ne viendra le chercher. C'est ce pour quoi elle est là, non ? Un exutoire pour la rage. Il lui donne de l'argent, ou peut-être qu'il ne paie même pas et l'utilise et la laisse en sang dans la rue pour lui faire un dernier affront (Elle devrait s'estimer heureuse d'être en vie. Pouffiasse.).

Ensuite il y a l'homme conventionnellement laid. Il ne peut pas avoir de relation avec une femme à cause de son apparence ou de son manque d'hygiène. Pour lui, la prostituée est la femme qui ne peut pas dire non. Une perspective attirante ? Peut-être pas. Est-ce que c'était agréable ? NON ! Mais je vais faire semblant parce que je le dois.

Le suivant est l'accro au porno. Il peut être, ou non, en relation avec une femme. Il peut même être marié. Le fait est qu'il veut essayer quelques uns des actes les plus extrêmes qu'il a vus dans la pornographie, ce que sa partenaire ne veut pas faire ou alors il n'ose pas lui demander peut-être parce que quelque part au fond il sait que ce n'est pas quelque chose que les femmes qui ont le choix choisissent de faire. Ca peut être de la sodomie, prendre des photos pornographiques sur son téléphone, deux filles, doubles pénétrations, fisting... bref vous voyez. Guidé par sa fascination pornographique, il divise les femmes en deux groupes : les madones et les putains. Il sort avec les madones, mais il pense que c'est son droit d'explorer d'autres pratiques sexuelles que la pornographie lui a montrées et il sait que pour les trucs plus désagréables, les prostituées sont la seule option.

Finalement, il y a le client qui peut, tout simplement. Il aime payer des femmes pour qu'elles couchent avec lui juste parce qu'il peut - c'est un shot de pouvoir pour lui. Il peut avoir des femmes, il n'est pas forcément laid, mais il jouit en sachant que s'il donne de l'argent à une prostituée, elle ne peut pas dire non. Il peut faire tout ce qu'il veut avec la prostituée et ensuite aller chercher sa petite amie et l'emmener dîner dans un restaurant cher, tout en souriant en pensant à ce qu'il vient de faire. Pour lui c'est un frisson.

En clair, les clients sont un groupe d'hommes qui n'ont aucune responsabilité. Ils veulent utiliser et maltraiter de la manière qu'ils veulent pour avoir leur orgasme, sans la moindre pensée humaine pour la femme qu'ils ont utilisée. La prostituée est au fond de la décharge, sujet de haine et de peur, objet de fable et de folklore. Elle est baisée, jetée et moquée. Le client a tout le pouvoir et il le sait. Qu'elle ait désespérément besoin d'argent est une évidence : c'est sa raison d'être là. S'il la viole et la bat et la laisse moitié morte, la loi ne viendra pas le chercher parce qu'en tant que prostituée, elle n'a aucun recours légal. Il est en sécurité sachant que même si elle essayait de parler, sa voix serait rejetée comme non crédible, hystérique, extrême. En fait, plus il la fait souffrir, moins elle a de chances d'être crue. Ca ne peut pas avoir été si affreux.

J'écris ceci de mon expérience des clients pendant que j'était une escort et dans un bordel. Les hommes variaient mais pas leurs raisons, pas leurs comportements. Être sous la coupe d'un proxénète était encore pire.

Richard Gere ? Pas le moindre espoir en enfer.

mardi 18 octobre 2011

Contradictions et cons tout court

Un petit texte rapide sur un autre article que j'ai trouvé ce mois-ci sur le site du Guardian. Cet article faisait référence à Anna Arrowsmith en tant que pornographe "féministe". Je suis désolée, mais un-e pornographe féministe, ça n'existe pas. Reformulons cela : une féministe qui maltraite les femmes. Vous voyez ce que je veux dire ? Ca ne marche pas. C'est comme dire un croyant athée, ou un rond carré.

C'est une contradiction.

La pornographie naturalise la soumission des femmes - elle les traite comme moins qu'humaines, et comme réclamant à être traitées comme moins qu'humaines. Les hommes y sont des agresseurs  : ils prennent, baisent, dominent et éjaculent dessus ou dedans pour montrer qu'ils en sont propriétaires, comme un chat pisserait pour marquer son territoire. Les efforts féministes pour avancer vers l'égalité des sexes, pour que les hommes et les femmes soient traités humainement comme des êtres humains, vont à l'encontre de ces maltraitances.

Pornographe féministe ? C'est un truc de cons.

vendredi 14 octobre 2011

Anna Arrowsmith : tellement ouverte d'esprit que mon cerveau vient de tomber

Mon attention a été attirée par un article du Guardian en ligne expliquant que la pornographie est bonne pour la société. Dedans, l'auteure (une femme) argumente en disant qu'il n'y a aucune preuve que la pornographie ait des effets délétères. J'ai laissé mes "deux cents" dans la section des commentaires pour ce que ça vaut, avec un peu d'appréhension (les défenseurs de la pornographie ont beau clamer être en faveur de la liberté d'expression, mais dans mon expérience ils ne reculent jamais pour dire à quelqu'un qui n'est pas d'accord avec eux de fermer sa grande gueule - prude ! conservateur ! bien-pensant ! vache frigide... bref vous m'aurez comprise). Je me prépare à un retour de bâton.

Que l'auteure, Anna Arrowsmith, une directrice de films porno, puisse être légèrement biaisée en faveur de la pornographie est difficile à contester. Qu'elle pose des affirmations radicales, comme des vérités, sur l'innocence de la pornographie, c'est un peu plus dur à avaler. Et en tant que survivante de la prostitution et de la pornographie, j'ai du avaler un bon paquet !

Evidemment, en lisant les commentaires, son point de vue est très populaire. Les hommes et les femmes qui jouissent en utilisant de la porno, sans trop réfléchir aux conséquences au-delà de leur orgasme, ne vont probablement remercier quelqu'un qui attire l'attention sur les dégâts que fait la pornographie. Mince, ça pourrait émousser les choses ou même les faire se sentir un peu mal, et la pornographie c'est fait pour se sentir bien après tout, non ? Rire un peu, jouir un bon coup, pas trop sérieux, tout va bien.

Comme si.

La pornographie fait des dégâts. C'est un fait. Dedans, les femmes sont des objets sexuels, un set d'orifices à acheter pour se branler puis à jeter. Les hommes qui s'y opposent sont vu comme "pas des vrais hommes", les femmes qui s'y opposent comme prudes ou jalouses. Ou anti-sexe. Dieu, ça me fait rire, ouais, évidemment, je suis contre la vente et la maltraitance de femmes pour faire des tonnes de fric pour une industrie qui les jette ensuite avec leurs problèmes de santé mentale et physique, donc je dois être une ennemie de l'empowerment sexuel et du sexe.

!!!

Les arguments mis en avant par l'industrie du sexe sont clairsemés et maigrichons, quand ils sont vus pour ce qu'ils sont. Une fois qu'on écarte la peur d'être insultés pour ne pas avoir supporté une industrie qui détruit les femmes, on peut commencer à parler. Mais plus que ça, on peut désigner quelques faits qui sont difficiles à contredire, contrairement aux doux rêves d'Anna Arrowsmith. L'argument mis en avant par l'industrie n'est que du vent, un énorme ventilateur là pour protéger un maximum de profit pour les business men derrière elle. L'industrie du sexe n'a aucune envie de promouvoir une vision saine et variée de la sexualité, elle a envie d'argent ! Elle est menée par le profit. Les proxénètes ne s'intéressent pas aux corps des femmes, ils s'intéressent aux nouveaux marchés de niche, toujours plus extrêmes. Double pénétration ? Double anale ? Fisting ? Tout ça fait mal. Mais ça fait surtout de l'argent, ça repousse les limites, ça a une longueur d'avance. La pornographie ce n'est pas la liberté d'expression : depuis quand un vagin ou un anus a une voix ? C'est l'exact opposé, un bâillon sur les voix des femmes qu'elle utilise et qu'elle fait souffrir. Elles ne peuvent pas dire : ça fait mal ! Elles doivent dire : j'aime ça, j'ai choisi d'être là, c'est si bon, baise moi plus fort, ou alors elles ne sont pas payées ou elles sont frappées par les proxénètes invisibles cachés dans la pornographie de l'autre côté de la lentille.

Je le sais : j'y étais. Les mots que je disais n'étaient pas mes mots, c'étaient les mots de mon ex, de l'homme qui me frappait et me violait et me vendait pour que d'autres hommes me photographient et me filment et me frappent et me viole. Être forcée à dire que j'adorais être abusée, que j'en voulais plus, a failli me tuer, et je ne parle pas au sens figuré. J'ai voulu mourir même depuis que j'en suis sortie.

Les femmes ne rentrent pas dans l'industrie du sexe parce qu'elles sont heureuses et bien dans leur peau. On arrive là-bas à cause de problèmes de santé mentale, de problèmes de drogue, de violence, d'abus vécus dans le passé... du désespoir. Et une fois que tu es dedans, c'est la descente aux enfers. Le traumatisme d'être vendue, d'être utilisée comme un pur divertissement, d'être maltraitée, d'être moquée et frappée et baisée et d'entendre qu'on l'a mérité, ça reste avec toi. Si tu es assez chanceuse pour t'en sortir, et ce n'est pas le cas de tout le monde, tu es laissée tellement abîmée, tellement scarifiée, que tu as le sentiment de ne pas avoir ta place dans le monde. Tu as l'impression que ta place était là-bas, même si tu détestes ça, que tu en es terrifiée. C'est le seul endroit où ils accueilleront une folle comme toi. Où que tu ailles, ils te disent que la prostitution n'est qu'un job, que la pornographie ne fait de mal à personne, ils refusent de t'entendre, ils te jugent (après tout tu as des problèmes de santé mentale maintenant, on écarte facilement tes discours, et puis  avec ce passé de toxicomanie, d'autodestruction...) et ils vous disent de partir. Même les soi-disant professionnels de santé mentale ne veulent pas entendre ton histoire.

Muette avant, muette maintenant. Jetable avant, jetable maintenant.
Parce que, comme l'article d'Anna Arrowsmith et la majorité des commentaires en dessous le montrent, la plupart des gens ne veulent pas écouter, ne veulent pas entendre l'insupportable vérité. La société demande que les individus puissent utiliser une femme, acheter une femme, se branler sur une femme et ensuite la replier pour la ranger dans le tiroir de la table de nuit, avec une boîte de mouchoirs et une conscience sans tache. Cet état de choses continuera tant qu'il y aura une peur de parler. Personne n'aime être insulté. Pour ma part, quand j'entends les défenseurs de la pornographie dire que les gens qui sont anti-porno sont fermés d'esprit, je dis : on a le droit de dire que certaines choses font des dégâts. La porno fait des dégâts. Nous devons poser une limite quelque part. Ou alors nous allons continuer à vivre dans une situation où nous sommes tellement ouverts d'esprit que nos cerveaux en tombent.

mardi 11 octobre 2011

Pas encore noyée

Quand la colère disparaît il reste un océan de tristesse. En vérité, j'ai fait de grands efforts pour éviter cette tristesse : je ne regarde pas de films tristes et ne lis pas de livres tristes, si je sens venir la fin de l'histoire je vais changer de chaîne, je n'écoute pas de musique classique. Je n'aime même pas les dernières saisons de séries : c'est bientôt la fin ! La rudesse de la tristesse, ma tristesse, sa profondeur et sa largeur sont immenses.

J'ai peur de m'y noyer.

Elle semble impossible à contenir, impossible à gérer, et ça me terrifie. Il est bien mieux, bien plus sûr, d'être en colère à la place. Evidemment, le problème est que pour rester clean et sobre, et pour essayer d'aller de l'avant, cette tristesse va devoir être examinée, vécue, et dite et pleurée. Comment la relâcher doucement, plutôt que de couler dans le déluge, là est la question.

Tout s'entremêle. Une chose en déclenche une autre : la mort de mes parents, l'horreur de l'addiction et de l'alcoolisme, le glissement insidieux dans la violence domestique, être prostituée, la violence du proxénétisme, le traumatisme et la fuite et la chute dans ma propre prostitution et la violence que j'y ai rencontrée.

Pour survivre, juste pour avancer, je me suis dit : je n'ai pas d'importance, ce qui se passe là n'a pas d'importance, rien ne me touche, ces gens et cette situation n'ont pas d'importance et moi je n'ai pas d'importance non plus. Maintenant que j'en suis sortie je dois résister à cette pensée. En réalité, quand je suis redevenue sobre, c'était parce qu'il y avait une partie de moi, une minuscule flamme qui a été assez forte pour dire alors que j'étais au plus mal : assez ! Je vaux le coup d'être sauvée. Je dois arrêter ou mourir ici, seule et terrifiée, juste une autre prostituée toxicomane de moins, juste une autre statistique.

Mais suivre cette nouvelle perspective magique sur moi jusqu'à sa conclusion logique continue d'être douloureux. Si j'ai de l'importance, alors ce qui m'a été fait a de l'importance, je ne peux plus grogner et dire que ces enfoirés ne peuvent pas m'atteindre, qu'ils ne me feront jamais souffrir. Le fait est qu'ils m'ont atteinte. Et qu'ils m'ont fait souffrir, incommensurablement. J'ai survécu à ça au mieux que j'ai pu en déniant mes ressentis mes ces émotions se mettent en rang pour être entendues, pour être ressenties et prises en compte et acceptées.

Je suppose que quand tu as poussé tellement de choses sous le tapis que c'en est devenu une montagne avec un tapis perché au sommet, il est temps de le soulever et de nettoyer un peu tout ça !

Effrayant mais nécessaire. La colère, canalisée positivement, est un grand conducteur dans ma vie, et je ne suis pas prête à lâcher ça. Mais je suis à ce point de départ avec la tristesse, avec l'honnêteté d'admettre que je souffre, et d'en laisser paraître un peu. D'être vulnérable. Aucun humain peut passer à travers toute cette merde et en sortir indemne. Je suis juste humaine. C'est une foutue souffrance. Mais je ne veux pas recommencer à boire ou à me droguer, et je veux trouver un peu de paix. Quoi qu'il en coûte, je dois avancer parce que retourner en arrière n'est tout simplement pas une option.

vendredi 7 octobre 2011

"Unwatchable", ou le voyeurisme hors de contrôle

J'ai entendu parler de la tempête que le film "Unwatchable" a déclenché quand mon thérapeute m'en a parlé. Inutile de dire que je ne souhaite aucunement regarder la reproduction du viol collectif d'une femme et de la violence hideuse exercée envers sa famille, montrés dans le but de faire parler des abus qui ont lieu dans le milieu de l'industrie du téléphone portable au Congo.

Ce n'est pas du tout parce que je pense que tout ça ne devrait pas être rendu public, et dénoncé et combattu. Je crois passionnément que là où il y a de la violence et de l'injustice, la vérité doit être dite et amenée à l'attention des gens, peu importe à quel point elle est insupportable. Ici en Occident, on reste trop souvent assis confortablement sur nos fesses complaisantes, à penser que tant que la vie est belle pour moi, alors je ne suis pas très intéressé par ce qui arrive aux autres. Nous vivons dans une culture du "moi". Même quand les choses qui nous procurent du plaisir apportent de la souffrance aux autres (la pornographie étant le principal exemple dont je parle ici dans mes articles), nous préférons une bonne vieille approche de l'autruche. Il faut qu'on nous mette mal à l'aise ! C'est seulement si je suis mal à l'aise que je vais me bouger de mon fauteuil et agir.

Mais pour attirer l'attention sur le viol et la torture, il n'est pas nécessaire de les reproduire. Tout ça me semble faire partie du même bon vieux schéma : les gens sont désensibilisés à la souffrance et à la violence, alors plutôt que de trouver des moyens plus créatifs d'exprimer la destruction engendrée par viol et la violence, on les montre simplement de façons encore plus graphiques. Et alors la barrière du "facteur choc" est repoussée de plus en plus loin et les images sur nos écrans deviennent de plus en plus sordides.

La vérité c'est que le viol est sordide. C'est destructeur, c'est blessant, c'est la perte fondamentale de quelque chose d'irrécupérable : soi-même. En tant que survivante de viols et de viols collectifs, je me sens perdue même pour moi-même, déconnectée, séparée de mon corps, trahie par lui. Incapable d'empêcher ce qui lui arrivait, je me retirais mentalement, je me dissociais. Mon corps restait, mais moi pas : j'étais là mais pas là, présente mais absente. Les viols et les violences sont restés une partie de moi, encore aujourd'hui : ils étaient ma réalité, c'était ma vie en tant que femme prostituée, accro à la boisson et aux drogues. Et il n'y a pas moyen de s'éloigner rapidement de tout ça. Tout le monde aime les happy end, ah comme on les aime ! Elle s'est enfuie, elle s'est désintoxiquée et elle vit maintenant une vie heureuse. Fin ! On peut passer à quelque chose d'autre avec la conscience tranquille.

Pas vraiment. Pas dans mon expérience, en tout cas. Guérir d'un traumatisme demande du temps et de l'aide, et guérir d'un traumatisme sévère demande beaucoup de temps et beaucoup d'aide.

Ce qui a été produit est une vidéo rapide, sensationnaliste, de violence sexuelle graphique (à même de déclencher des flash-backs pour les survivant-e-s de viol), une de plus dans la pile grandissante de matériaux sexuellement graphiques qui nous ressortent déjà par les oreilles. Cela a déclenché une réponse instantanée du type "horreur-choc-voici-à-quoi-ressemble-un-viol-collectif" qui va probablement très vite retomber comme un soufflé (nous verrons si le battage que ça a créé ira au-delà de la discussion à propos de la vidéo, pour aller vers une réelle action à long terme et des groupes de pression). N'est-ce pas toujours le même schéma avec les images choc ? Choqués, puis un peu moins choqués, puis on oublie comme d'autres images encore plus choquantes arrivent. J'ai vu une vidéo et j'ai été outré et j'en ai parlé, peut-être ai-je même signé une pétition, donc maintenant je peux m'en laver les mains et oublier... N'aurait-il pas été plus efficace d'attirer l'attention sur les dégâts psychologiques du viol ? Une conversation plus élargie que la tactique du choc visuel n'aurait-elle pas eu plus un impact durable, en faisant réfléchir les gens, déclenchant des discussions franches et utiles et de l'action, plutôt qu'une réponse réflexe ?

Pourquoi sommes-nous encore obsédés par le fait de regarder une femme être violée, plutôt que de parler à une victime de viol et entendre sa voix ? Pourquoi l'emphase est-elle toujours mise sur le corps nu et impuissant d'une femme, plutôt que sur la femme tout entière ?

Est-ce que ça ne serait pas un changement rafraîchissant de cesser d'être des voyeurs ?


Dans une société saturée par la pornographie hardcore, dans laquelle les femmes subissent de la violence de façon routinière, dans laquelle les clubs de lapdance où les femmes sont objétisées et achetées tous les jours sont considérés comme des plaisirs inoffensifs, où le strip-tease et la pornographie sont considérés comme des sources de pouvoir pour les femmes, en réalité rien n'est inregardable. Etant donné l'obsession de notre société avec l'objétisation du corps des femmes, une approche plus utile et plus inhabituelle aurait été d'entendre réellement la voix de la femme, sans s'attarder sur son image à la caméra, figée dans le temps, alors qu'elle est violée. Si les gens sont mal à l'aise vis à vis de ce film (et ils le devraient : ici je discute le fait qu'il y avait un meilleur moyen d'alerter sur ce problème, pas que ce problème ne devrait pas être discuté), peut-être devrions nous leur demander non pas pourquoi ils sont affligés par les réalités de ce qui se passe au Congo, mais plutôt pourquoi ils ne sont pas affligés par les réalités de ce qui se passe ici et maintenant, dans notre propre pays.


Une femme sur quatre sera victime de violences conjugales.

Chaque semaine, deux femmes au Royaume-Uni sont tuées par leur partenaire ou leur ex-partenaire.

Les taux de viol en font toujours une menace pour toutes les femmes.

Le taux de condamnation pour viol stagne à 13%.

Les sondages continuent de montrer que la majorité des gens, hommes et femmes, pensent que la victime de viol a un certain degré de responsabilité dans le fait d'avoir subi ce viol.


Notre culture est une culture du viol, c'est à dire, une culture dans laquelle les femmes restent inférieures, dans laquelle la pornographie de plus en plus hardcore devient de plus en plus dominante, et où on estime que c'est une bonne chose, pas du tout en contradiction avec la promotion d'une sexualité égalitaire. Les producteurs d' "Unwatchable" ne sont pas les seuls à comprendre que des tactiques plus choquantes que jamais sont requises pour s'attirer une audience. Les pornographes entrent dans un territoire de plus en plus extrême pour attirer les clients. Nous sommes désensibilisés. Le prix que les pornographes sont prêts à payer, c'est les dégâts faits au corps d'une femme quand elle subit des actes de plus en plus brutaux pour le frisson du payeur. Cela me frappe, si les gens qui ont fait cette vidéo étaient vraiment inquiets à propos des femmes, ils ne devraient pas prendre exemple sur les pornographes et se concentrer sur une représentation graphique de violence sexuelle encore plus extrême. Être un voyeur n'est pas suffisant. À la place, ce serait plus utile que les gens se tiennent aux côtés des personnes qui ont survécu aux viols, et qu'ils entendent nos voix.

Je ne peux pas parler pour chaque victime de viol, mais pour moi ? J'en ai assez des gens qui se tiennent là, à regarder, choqués ou non, quand les femmes se font violer et frapper. Nous avons besoin d'aide, et au-delà de ça, nous avons besoin d'une voix, nous avons besoin de compréhension, nous avons besoin de vivre dans une société où nous ne sommes pas blâmées pour avoir été violées à cause de ce que nous portions / avons dit / de notre comportement, une société où les gens arrêtent de nous voir figés dans le temps comme "la femme qui se fait violer" et où ils nous voient tout entières : notre histoire, comment nous en sommes arrivées là, nos espoirs et nos rêves. En clair, nous avons besoin de changement, ce qui ne peut vouloir dire qu'une seule chose. Action !