mardi 11 octobre 2011

Pas encore noyée

Quand la colère disparaît il reste un océan de tristesse. En vérité, j'ai fait de grands efforts pour éviter cette tristesse : je ne regarde pas de films tristes et ne lis pas de livres tristes, si je sens venir la fin de l'histoire je vais changer de chaîne, je n'écoute pas de musique classique. Je n'aime même pas les dernières saisons de séries : c'est bientôt la fin ! La rudesse de la tristesse, ma tristesse, sa profondeur et sa largeur sont immenses.

J'ai peur de m'y noyer.

Elle semble impossible à contenir, impossible à gérer, et ça me terrifie. Il est bien mieux, bien plus sûr, d'être en colère à la place. Evidemment, le problème est que pour rester clean et sobre, et pour essayer d'aller de l'avant, cette tristesse va devoir être examinée, vécue, et dite et pleurée. Comment la relâcher doucement, plutôt que de couler dans le déluge, là est la question.

Tout s'entremêle. Une chose en déclenche une autre : la mort de mes parents, l'horreur de l'addiction et de l'alcoolisme, le glissement insidieux dans la violence domestique, être prostituée, la violence du proxénétisme, le traumatisme et la fuite et la chute dans ma propre prostitution et la violence que j'y ai rencontrée.

Pour survivre, juste pour avancer, je me suis dit : je n'ai pas d'importance, ce qui se passe là n'a pas d'importance, rien ne me touche, ces gens et cette situation n'ont pas d'importance et moi je n'ai pas d'importance non plus. Maintenant que j'en suis sortie je dois résister à cette pensée. En réalité, quand je suis redevenue sobre, c'était parce qu'il y avait une partie de moi, une minuscule flamme qui a été assez forte pour dire alors que j'étais au plus mal : assez ! Je vaux le coup d'être sauvée. Je dois arrêter ou mourir ici, seule et terrifiée, juste une autre prostituée toxicomane de moins, juste une autre statistique.

Mais suivre cette nouvelle perspective magique sur moi jusqu'à sa conclusion logique continue d'être douloureux. Si j'ai de l'importance, alors ce qui m'a été fait a de l'importance, je ne peux plus grogner et dire que ces enfoirés ne peuvent pas m'atteindre, qu'ils ne me feront jamais souffrir. Le fait est qu'ils m'ont atteinte. Et qu'ils m'ont fait souffrir, incommensurablement. J'ai survécu à ça au mieux que j'ai pu en déniant mes ressentis mes ces émotions se mettent en rang pour être entendues, pour être ressenties et prises en compte et acceptées.

Je suppose que quand tu as poussé tellement de choses sous le tapis que c'en est devenu une montagne avec un tapis perché au sommet, il est temps de le soulever et de nettoyer un peu tout ça !

Effrayant mais nécessaire. La colère, canalisée positivement, est un grand conducteur dans ma vie, et je ne suis pas prête à lâcher ça. Mais je suis à ce point de départ avec la tristesse, avec l'honnêteté d'admettre que je souffre, et d'en laisser paraître un peu. D'être vulnérable. Aucun humain peut passer à travers toute cette merde et en sortir indemne. Je suis juste humaine. C'est une foutue souffrance. Mais je ne veux pas recommencer à boire ou à me droguer, et je veux trouver un peu de paix. Quoi qu'il en coûte, je dois avancer parce que retourner en arrière n'est tout simplement pas une option.

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