vendredi 26 mars 2010

Angel, Emma et moi : trouver une voix

Hier, j'ai partagé mon histoire avec une audience à Londres. Je n'avais jamais parlé de mon expérience devant un groupe comme ça avant, et j'étais terrifiée, bien qu'on me dise que ça ne s'est pas vu. J'oublie parfois que ce que je ressens, et ce dont je crois que j'ai l'air, et ce dont j'ai réellement l'air aux yeux des autres sont souvent des choses très différentes ! J'ai utilisé un pseudonyme, Emma, mais tout de même, parler de ce que j'ai souvent appelé l'indicible, était intimidant. Quand on m'a demandé pour la première fois si je pouvais considérer l'idée de parler, j'ai dit non : la peur s'est mise en travers du chemin. Mais après y avoir repensé, j'ai réalisé quelle grande chance c'était de pouvoir être entendue, de faire quelque chose, si petit que ce soit, pour avoir une voix. Alors j'ai accepté.

Je suis tellement heureuse de l'avoir fait !

Quand j'étais en plein milieu de tout ça, prise dans la violence, l'addiction, la boisson, la prostitution, j'étais muette. Tout simplement, je n'avais même pas le vocabulaire pour former une narration de quelque sorte que ce soit. Les mots ont cessé de faire justice à la souffrance, la honte, la confusion et la terreur que je ressentais. Ne faisant confiance à personne, je suis devenue une boule de sentiments, une masse d'émotions embrouillées, de pensées en désordre, d'instantanés disloqués. Quand tu es isolée de tout sauf des hommes qui t'utilisent et abusent de toi, mais qui te disent que tu aimes ça, que ta place est ici, tu perds pied avec la réalité. Doutant de toi, te haïssant pour ton insuffisance (honteuse de ta toxicomanie, et il te rappelle tous les jours que tu le pousses à te faire ça, que tu ne pourrais rien faire sans lui, que tu es chanceuse que quelqu'un t'aime malgré toutes tes tares), tu n'as plus aucun recul. Ce qu'ils te disent à propos de ta réalité et ton expérience de la réalité sont deux choses différentes. Tu deviens confuse. Il te manque une validation.

Même quand tu en sors, si tu en sors, tu continues d'être invalidée. Tu allumes la télé et on te dit que le "travail" du sexe est drôle, que c'est de l'argent facile, juste un job. Les magazines te disent la même chose, même les magazines féminins. Quand où que tu te tournes on te dit que vendre ton corps est amusant, que ça te donne du pouvoir, de la liberté, que c'est inoffensif, et même féministe, tu apprends rapidement que toi et ton histoire n'êtes pas acceptables. Avant même que tu ouvres la bouche, on te met sur la défensive. Tu risques l'étiquette "prude", "conservatrice", "moraliste", "qui juge", en osant simplement dire, attendez une minute, ce n'était pas comme ça pour moi.

Tu apprends rapidement que les gens qui t'ont fait du mal, qui ont fait de l'argent sur ton dos, ne sont qu'une petite partie d'un plus grand tableau, une histoire ingénieuse que l'industrie du sexe nous a raconté, nous a vendue, dans laquelle ils sont les gentils, défenseurs des droits des femmes, et ceux qui les critiquent les méchants. Incrédule, tu les écoute détourner le langage du féminisme, une cause qui est censée protéger et promouvoir des pratiques pour s'attaquer aux inégalités, pour arrêter les maltraitances, pour améliorer les droits des femmes, à leurs propres fins. Et en faisant cela ils ont amassé le support dénué de critique du courant dominant. Tu vois des gens, d'autres femmes, des femmes modérées dans d'autres domaines, défendre les mêmes gens qui t'ont fait souffrir, se battre pour le "droit" des femmes à expérimenter ce dont tu as fait l'expérience ! Ou au moins, ce dont elles croient que tu as fait l'expérience, ce qui est quelque chose de complètement différent. Tu te sens seule.
Tu es frappée par l'absence de discours personnels dans le débat autour ce qui est certainement la plus personnelle des expériences, être utilisée dans la prostitution et la pornographie. Tu découvres que ces défenseurs de la "liberté d'expression", du "libéralisme" et des "droits" ne semblent pas capables d'écouter quand tu parles de ton expérience, de souffrance, d'absence de choix, de fluides corporels et de peur et de dégradation et d'exploitation. Le langage aseptisé que l'industrie adopte autour de ses pratiques - "filles, clients, escortes, business, travailleuses, mannequins, actrices", met une distance confortable entre la majorité des femmes, qui n'en ont aucune expérience directe, et la réalité. Les gens qui défendent des images de femmes, jambes ouvertes, pénétrées, comme des "droits" (en parlant au nom de nous les femmes ! merci pour ça...), réagissent avec colère ou embarras quand vous dites la vérité : "j'étais violée" ou "je détestais ça".

Tu vois que tu dois batailler rien que pour être entendue, pour être remarquée. Utilisée, jugée, et finalement écartée ("elle a des problèmes de santé mentale tu sais"), laissée à te taire et à faire avec les cicatrices mentales qui menacent de te submerger, tu te demandes, parfois, si tu vas pouvoir continuer encore longtemps.

Quand tu es dedans, tu te retrouves à collaborer avec le mensonge, à dire aux types qui te font mal, qui te touchent, qui te baisent, que c'est bon, que tu aimes ça. Ce n'est pas assez pour eux de te maltraiter, ils exigent d'entendre que tu en veux. Souris, bébé ! Et piégée comme tu l'es, désespérée comme tu l'es, en besoin d'argent comme tu l'es, tu le dis. Il te donne de l'argent, et tu apaises sa conscience, tu masses son ego. L'ultime trahison, tu as l'impression de t'être vendue, corps et âme.

Alors avoir la chance aujourd'hui de faire passer la vérité, de lui donner une voix, c'est génial. Ce n'est pas une évidence. Cela me fait me sentir... chanceuse. Incroyablement chanceuse. Il y a eu tellement de moments où j'ai pensé que je n'y arriverais pas, que je n'allais pas en sortir vivante, avec la violence et la toxicomanie...

Rien que d'être vivante après la prostitution, après la violence, c'est stupéfiant. Toutes les femmes n'y parviennent pas. Mais d'avoir les mots maintenant, si maladroits qu'ils puissent être parfois, et si inadéquats qu'ils puissent sembler pour communiquer cette souffrance, est un miracle. Cela fait trois ans et cela m'a pris tout ce temps pour commencer à articuler ce chapitre de ma vie. Quand j'ai commencé à être sobre, je ne pouvais même pas mettre de mots sur mes sentiments, j'avais tellement pris l'habitude de cacher ce que je ressentais. Mes émotions étaient juste un énorme fatras, et incroyablement, terriblement crues. Cela demande un peu de démêlage ! Et puis ensuite rassembler une espèce de narration de ce qui m'est arrivé, avec tous les blackouts et les trous... Ç'a été un lent et douloureux processus, et qui continue comme des souvenirs continuent de refaire surface et les émotions réprimées émergent et demandent de l'attention.

Qu'on me donne une chance de parler, plutôt que de me dire de fermer ma gueule, c'est... vraiment libérateur. Avec tout son discours sur la liberté d'expression, l'industrie du sexe met une sourdine sur les femmes qu'elle utilise, elle vend leurs corps et ensuite met ses propres mots dans leurs bouches pour la justifier.

La seule façon de faire changer cette situation, et je crois qu'elle peut changer, c'est que les gens soient préparés à se lever, à prendre un risque, à parler, à joindre leurs forces. Nous devons soulever les bases du débat de l'abstraction à la réalité, où il a sa place. C'est en montrant la réalité de l'industrie du sexe, en parlant le langage concret de notre humanité commune, en parlant de la souffrance physique et émotionnelle qu'elle crée, que nous changerons les choses.

Ce fut un réal cadeau d'être appelée à parler hier. Retrouver des femmes d'Object et de UK Feminista qui agissent, se battent pour le changement, j'ai reçu un espoir nouveau. Ça ne doit pas forcément être ainsi.

Esprit, Corps... et Moi

Plus présent que le présent, plus réel que le réel, je revis ce qui m'est arrivé, au fur et à mesure que certains des blackouts, certains des blancs, se remplissent à nouveaux... Je me retrouve "déclenchée" et soudainement transportée là bas, dans tous ses détails en technicolor. J'attends qu'on vienne me faire descendre en bas des escaliers pour performer pour eux, pour les amuser, et je tremble et je me balance d'avant en arrière, déconnectée de mon corps et à la fois étrangement consciente de chacune de ses sensations. C'est comme si j'étais à deux endroits en même temps - dans la peur maladive que je sens vibrer dans chaque cellule de mon corps, mais aussi à distance, observant, dans un esprit vide de tout sauf de la peur. La peur consume tout.

Mon esprit et mon corps cessent de travailler pour moi. Je me sens à la fois engourdie et en dehors de mon corps mais aussi plus substantielle que d'habitude. Mon corps semble être devenu un poids mort, ne répondant pas à mes commandes. Il semble étrangement lourd, alors que mon esprit semble léger et flottant. Mon esprit ne peut pas réfléchir, ne peut pas penser droit.

Cela va au-delà des larmes, au-delà du mouvement. Je suis assise et je regarde sans voir : je ne peux rien faire d'autre. Quand il m'ordonne de descendre les escaliers, je ne peux pas bouger. Je regarde cette scène de façon détachée, je vois que ça va empirer pour moi parce qu'il va voir cela comme une désobéissance. Avant que mon esprit se rattache à mon corps avec cette façon saccadée qu'il a de le faire, je suis un observateur impuissant. Dans ce cahot, je me retrouve soudainement à voir à travers mes yeux, à entendre clairement, non plus un voyeur, de retour dans mon corps, une cascade de sensations physiques à la fois désorientantes et écoeurantes.

Parfois l'alcool et les drogues en sont responsables. Mais la peur, à l'intensité à laquelle j'en fais l'expérience, a le même effet. J'ai une certaine idée de ce qui va arriver.

Et maintenant, des années plus tard, je me retrouve à ressentir certaines des choses, à voir certaines des choses, face auxquelles mon esprit s'était battu tellement fort pour tenter de m'en distancier à ce moment là. Des images déconnectées, comme des projections sur un grand écran, apparaissent devant mes yeux, masquant la réalité présente. Je suis transportée, je me retrouve là-bas à nouveau, sans aucun avertissement. À regarder l'intérieur d'une cuvette de toilettes et la nausée quand je vomis avant qu'ils m'utilisent. Un homme approchant un bandeau en direction de mes yeux. Une pièce dans la semi-obscurité et des lumières fortes et des silhouettes autour. Une image particulièrement dérangeante qu'il me montre dans un magazine porno pour me montrer comment faire. À regarder sans comprendre ce reflet dans le miroir, une femme que je ne peux même pas reconnaître comme étant moi, contusionnée et saignant, alors qu'il me tient debout en me tenant par les cheveux et crie et me secoue comme une poupée de chiffon.

Souffrance avant, souffrance maintenant, moi mais pas moi, présent mais passé. Mon esprit et mon corps bataillant entre leur séparation en partie choisie et en partie inconsciente, et la connaissance que nous ne sommes qu'un et que nous devons nous réintégrer pour guérir. En guerre avec moi-même, je lutte pour manger, lutte pour accepter mon corps tel qu'il est, avec ses cicatrices, son passé, ses associations. Le sens commun me dit de laisser le reproche, la colère, là où elle a sa place - avec les hommes qui m'ont maltraitée. Mais assise en dehors de moi, comme je me retrouve si souvent, dissociée, je lutte et j'ai mal, ressentant la trahison duelle d'un esprit et d'un corps qui n'ont pas pu me secourir, pas pu me garder à l'abri, n'ont pas pu arrêter ce qui s'est passé.

La souffrance ne peut même pas commencer à décrire cela.

samedi 6 mars 2010

Du pain et des jeux

Les Romains avaient un dicton : "donnez leur du pain et des jeux". Ce qu'ils voulaient dire par là, c'est que tant que le peuple que l'on gouverne est nourri et diverti, tout va bien. Le statu quo, la survie de Rome en tant que pouvoir régisseur, reposait sur cette croyance (parmi d'autres).

Récemment, j'ai réfléchi aux jeux, aux cirques... une discussion par e-mail avec une ex "féministe libérale", maintenant sortie de cette école de pensée où la porno et le lapdance et l'escort sont juste un peu de divertissement, a déclenché une réflexion chez moi. Il semble aussi qu'il y ait finalement eu ces derniers temps une série d'articles dans la presse nationale parlant sérieusement de la pornification de la société et de ce que cela signifie vraiment pour nous et la prochaine génération.

J'en suis venue à penser, que les animaux au Royaume Uni et aux Etats-Unis sont mieux protégés par la loi que les femmes. Réfléchissez-y pendant un instant si vous le voulez bien... supposez qu'une personne filme un animal, retenu contre le sol sous les rires et les moqueries pendant que quelqu'un fouille son anus et ses organes génitaux, et y insère des trucs, des objets larges en particulier, et le baise brutalement et longuement avec, et rit de plus en plus quand ils font des gros plans dessus à la fin, pour lui pisser dessus en tant que bouquet final.

Une telle personne serait, logiquement, mise en prison.

Voilà une autre image pour vous. Une femme est filmée pendant qu'on lui insère de larges objets dans l'anus et le vagin. Elle est baisée brutalement avec, et le caméraman et l'homme ou les hommes dans la vidéo rient pendant qu'ils font ça, ils la forcent à rester ouvertes pour des photos "béantes", ils la baisent analement, oralement, vaginalement, et puis pour le bouquet final il pissent sur elle ou en elle et éjaculent sur son visage.

Que devient le caméraman dans ce cas ? La personne qui filme ça n'est pas poursuivie par la loi. Aucun policier ne va se présenter au pas de sa porte ! À la place, il va la marketer, l'ajouter à une collection grandissante de vidéos d'autres femmes sans nom, et la vendre. Et il en tire profit ad infinitum. Non seulement est il assuré qu'il ne sera pas arrêté pour ça, mais en plus il sait qu'il est supporté dans ses efforts par une énorme clameur de voix appelant à la "liberté d'expression" - quoi que cela puisse vouloir dire dans ce contexte - et en faveur de la pornographie.

Ok, le mot "choix" entre ici dans le débat. Peut-être que cette femme, ces femmes, ont choisi de se mettre dans ces situations. Certainement, l'élément de coercition est moins intrusif dans ce cas. Dans notre exemple de l'animal, on pouvait voir qu'il était retenu, ou encagé. Je voudrais cependant dire que certaines cages ne sont pas aussi visibles, mais pour autant, elles sont tout aussi réelles. Si une femme apparaît dans la pornographie, apparemment libre (pas attachée, ni enchaînée etc.), et particulièrement si cette femme sourit à un certain moment, ou dit des répliques exprimant qu'elle aime ce qui lui arrive, on dit, voit, clairement, qu'elle l'a choisi. Elle aime ça ! Je peux acheter et regarder ça avec la conscience tranquille.

Regardons encore. Est-ce que la coercition, l'absence de choix, l'absence de liberté, sont vraiment si faciles que ça à repérer ? Est-ce qu'un sourire ou une absence de contrainte physique évidente dans la pornographie ou la prostitution nous donnent vraiment les bases pour dire, tout va bien ici, on continue ?

Une telle approche serait beaucoup trop simpliste. Cela ignorerait la situation d'ensemble.

Alors quelle est cette situation d'ensemble ? La réalité c'est que, ici en 2010, les femmes ne sont toujours pas à égalité financière avec les hommes. L'industrie du sexe veut constamment de nouvelles femmes, de la nouvelle "viande", parce que votre "utilisateur" moyen veut voir de "nouvelles têtes" (ou de "nouvelles chattes"). Les femmes qui travaillent dans l'industrie du sexe semblent souvent épuisées au-delà de leur âge et ce n'est pas ce que les "utilisateurs" veulent, l'industrie mâche les femmes et les recrache, endommagées physiquement comme émotionnellement. Il y a un fort taux de turnover puisque les femmes sont utilisées et jetées. Alors en réalité il est extrêmement facile de trouver un emploi dans l'industrie du sexe. L'âge, le poids et l'apparence, les capacités intellectuelles, l'accent... rien de tout cela n'importe, si tu veux bien te mettre à poil, il y aura un marché pour ça, et quelqu'un qui te vendra. Si les femmes ont besoin d'argent pour vivre, et que les autres jobs ne sont pas aussi facilement accessibles et disponibles pour nous que le "travail du sexe", dans quelle mesure avons-nous le choix ?


L'industrie du sexe gère également son image publique avec soin... les magazines féminins parlent d'escortes de "haute classe" qu'on emmène dîner, etc. L'aspect minable de la réalité est coupé, ou rendu fantastique (littéralement : fantasmé). Des stars du porno très bien payées disent à quel point il est génial d'être payé pour quelque chose de tellement "amusant" - dire quoi que ce soit d'autre pourrait leur coûter leur job. Pour ce qui est du "mannequinat glamour" - même le langage l'assainit et le fait sonner comme respectable, glamour. Comme je l'ai argumenté en plus grand détails dans des posts précédents, l'industrie de la pornographie tout entière prospère sur le mensonge disant qu'elle est inoffensive, rien que du divertissement. Aucune mention aux profonds dommages mentaux et physiques que les femmes dans l'industrie endurent généralement (voir le site Object, www.object.org). Si les femmes sont formées à penser que le "travail" du sexe n'est qu'un amusement inoffensif, la réalité étant cachée jusqu'à ce qu'elles soient en train de la vivre, dans quelle mesure avons-nous le choix ?


Beaucoup de femmes dans l'industrie du sexe ont des problèmes de santé mentale. Parfois ces problèmes incluent des addictions à des substances. La toxicomanie a trois effets majeurs qui mènent à rendre les femmes hautement vulnérables au "travail" du sexe :
  1. Une addiction active nécessite une source constante d'argent, et le désespoir d'obtenir un fix peut te mener à faire n'importe quoi, même des choses que tu hais et qui te font du mal : l'addiction consume tout.
  2. L'addiction change la perception et le niveau de conscience, désinhibe, engourdit, et abaisse la vigilance. Cela rend quasiment impossible la conservation d'un emploi habituel, donc tu as besoin d'argent mais tu ne peux pas avoir un job normal. Cela te laisse également vulnérable à l'exploitation sexuelle (à cause des blackouts) et cela signifie que tu n'es pas toujours consciente de jusqu'à quel point tu as été maltraitée. Les femmes piégées dans la toxicomanie peuvent entrer dans la pornographie ou vendre leur corps comme prostituées initialement pour avoir de l'argent, mais finissent par avoir besoin d'utiliser de plus en plus hautes doses de drogues pour bloquer la douleur physique du sexe prolongé et brutal, et l'humiliation. Cela nécessite en retour encore plus d'argent, et le cycle continue. En même temps, la capacité à prendre soin de la sécurité de base, i.e. utiliser des préservatifs, devient compromise, et la violence et l'exploitation augmentent.
  3. La toxicomanie et la haine de soi / la basse estime de soi vont main dans la main. La honte de l'addiction, avec toute son inacceptabilité sociale, peut mener une femme à penser qu'elle mérite d'être traitée comme un objet, utilisée, maltraitée et vendue.
Si des femmes sont piégées dans une addiction active, et stigmatisées pour cela et qu'on ne leur donne aucune aide pour s'en sortir, dans quelle mesure avons-nous le choix ?


La honte de l'addiction et la dissimulation qui l'entoure (ou qui essaie de le faire !) sont une préparation pour la dissimulation et les sentiments de honte qui émergent quand on "travaille" dans l'industrie du sexe. Bizarrement, en tant que société, notre pensée n'est pas du tout cohérente autour des femmes qui sont utilisées dans la pornographie et qui "travaillent" comme prostituées. Malgré des discours sur l'empowerment et la liberté d'expression et la libération et le choix, la réalité c'est que les défenseurs et utilisateurs de la pornographie et de la prostitution voient ultimement les femmes uniquement comme des objets sexuels - achetés pour se branler dessus ou pour un soulagement rapide. Alors bien que ces gens louent publiquement et à très haute voix la pornographie et son supposé "libéralisme", leur usage et achat des femmes comme des objets produit quand même des sentiments négatifs pour les femmes impliquées.

Personnellement, je me suis sentie humiliée, exposée, dégradée, objectivée, utilisée (d'abord par le pornographe, puis à nouveau par les consommateurs), jetée, et vraiment, vraiment blessée. La blessure était physique et émotionnelle en même temps, et quand la douleur physique cessait, la douleur émotionnelle grandissait. J'ai toujours des douleurs physiques, qui font partie du Syndrome de Stress Post-Traumatique dont je (et beaucoup de survivantes de l'industrie du sexe) souffre. J'ai des flashbacks, je lutte avec la nourriture, et avec l'image de mon corps, je n'aime pas être touchée, parfois je souhaite être invisible. Je fais des cauchemars où tout ce que j'ai vécu m'arrive encore. Où je suis humiliée et terrifiée et blessée, et où je cours mais sans jamais pouvoir m'enfuir. Tout comme dans la réalité. J'entends des gens qui argumentent en faveur de la pornographie sur un mode prétendument savant et libéral, riant et blaguant à propos des corps des femmes comme moi, parlant avec un langage mais agissant avec un autre.

Je continue de penser certains jours, quand un type me regarde, a-t-il vu des photos ou des vidéos de moi ? Assise devant mon psychothérapeute, j'y pense à nouveau. Ou cet homme ? Ou celui là ? La pornographie a une longue durée de vie en étalages, et une fois qu'elle y est, une fois qu'elle est entre les mains du pornographe, il n'est pas question de la reprendre ! C'est une chose avec laquelle moi et chaque femme qui ait jamais été photographiée ou filmée doit vivre chaque jour. Le pouvoir de l'inégalité est évident, parce qu'il peut me voir, et je ne peux pas le voir. Il peut m'acheter et me regarder intimement, et je ne pourrais même pas le reconnaître.

Dans les photos qu'ils ont prises de moi, les vidéos, la violence, l'absence de choix, n'étaient pas toujours évidentes. Bien sûr, parfois ça l'était. Mais d'autres fois, la menace de la violence toujours présente, et ses avertissements résonnant dans mes oreilles, je mettait le masque et j'étais selon ses mots une "bonne fille". Tu ne seras pas battue ce soir si tu prends ça comme tu le devrais ! Souris, couvre la douleur, quand ils te baisent dans le cul, ou que tu subis une double pénétration, respire et ne tombe pas dans les pommes, n'aie pas l'air d'avoir mal. Parfois je suppose que j'ai du avoir l'air complètement ailleurs, avec l'alcool et les drogues. D'autres fois, en revanche, vous n'auriez peut-être rien vu. Je n'ai jamais fait d'injections donc il n'y avait pas de marques. Et il me donnait des gants sans doigts qui montaient jusqu'au coude, à porter quand l'automutilation sur mes bras était visible. Parfois il me faisait recouvrir les bleus causés par les coups, et il m'aidait, tamponnant du maquillage dessus, il y en avait beaucoup et souvent hors d'atteinte pour moi. D'autres fois, cependant, ils laissaient les bleus visibles, parce que dans un marché particulier, ça vend.

Les autres problèmes de santé mentale dont souffrent si souvent les femmes dans la pornographie et la prostitution sont aussi cachées. Beaucoup de femmes dans l'industrie du sexe ont été abusées sexuellement quand elles étaient enfants. Beaucoup ont une estime d'elles mêmes très basse, et sont à l'âge adulte dans des relations violentes. Beaucoup ou même la majorité ont un trouble de la personnalité borderline. Si des femmes ont des problèmes de santé mentale, et un accès inadéquat aux services de santé mentale, et qu'elles sont stigmatisées si elles essayent d'y accéder, dans quelle mesure avons nous le choix ?


Et nous en revenons ainsi à notre point de départ, que les animaux sont légalement mieux protégés que les femmes. Cela continuera d'être le cas à moins que nous nous débarrassions de la stigmatisation autour des maladies mentales, de la toxicomanie, et de la violence contre les femmes. Cela sera le cas aussi longtemps que les femmes qui entrent dans l'industrie du sexe, et ceux qui défendent cette industrie et en achètent les produits, croient aux mensonges tissés par ceux qui se font de l'argent, que c'est amusant, juste un job comme un autre, un moyen facile de se faire de l'argent. Et ce sera le cas jusqu'à ce que nous soyons préparés à admettre que les inégalités de genre continuent à exister, bien que cachées par l'usage intelligent du langage de l'industrie du sexe, qui parle de choix avec tant de désinvolture. Jusqu'à ce que nous réalisions l'absence de choix qui force tant de femmes à entrer dans l'industrie du sexe, jusqu'à ce que nous cessions de rejeter les voix des femmes qui ont survécu et qui racontent leur vérité, qui disent que cette industrie blesse les femmes et les traite comme moins que des animaux, les générations futures de femmes continuerons à s'y retrouver piégées. Nous les aurons, littéralement, vendues.

vendredi 5 mars 2010

Juste un job ?

C'est juste un job
comme n'importe quel autre
ont-ils dit

Et - boum !
ce mensonge
l'a abattue
morte

Ils riaient
en la blessant
ils ont joui quand elle
a saigné

Ils n'écoutaient pas
quand elle disaient
Non ! arrêtez s'il vous plait.
J'ai peur.

À la place
Ils lui ont dit
qu'elle aimait ça
ils ont niqué
son esprit

Ils lui ont dit
que c'était là qu'elle
avait sa place -
sur un lit

Ses hématomes
restaient cachés
Sa dignité
déchiquetée

Ils l'ont attrapée
et l'ont fait payer
encore pire
quand elle a fui

Elle vivait l'horreur
et la souffrance
une vie passée
dans la terreur
Elle est morte seule
droguée
C'est là
que "juste un job" l'a menée.