vendredi 26 février 2010

Peins-moi un tableau

Quand tu me regardes, qu'est-ce que tu vois ?
Le pornographe te peint un tableau :
Mes seins, nus pour ton plaisir
Mes jambes, écartées pour montrer que j'en veux
Mon vagin, ouvert pour ta jouissance
Mon anus, lubrifié et prêt
Ma bouche, peinte en rouge, lèvres légèrement écartées.
Allumeuse
Qui attend, attend tout entière,
D'être comblée, de te servir,
De servir ta bite.

Crois-tu que tu me voies tout entière ?
(Et je ne parle pas des gros plans)
Ou est-ce que tu vois seulement les "trous" en moi ?
Il te montre mon intérieur - l'anatomie
Mais il ne veut pas que tu voies mon véritable intérieur :
C'est caché
Recouvert de peinture.

Laisse moi te peindre un autre tableau.

Je suis un être humain
Qui avait des espoirs et des rêves
Avec une famille, une histoire.
Qui ressent et pense et mange et dort
Et chie
Comme n'importe quel autre.

Peut-être que tu ne me connais pas
Mais tu ne peux pas te permettre de resté détaché.
Si j'étais ta soeur
Ou ta mère
Me traiterais-tu de la même façon ?
Pourrais-tu me traiter de la même façon ?
Comment te sentirais-tu, sachant
que d'autres hommes font de l'argent sur moi
Ont fait des appréciations sur moi
Ont mis un prix sur moi ?
Que d'autres hommes achètent mon corps
et se branlent sur moi
Peut-être cet homme dans la rue
Ou celui-là ?

Je vis avec ça chaque jour.

Laisse moi te peindre un tableau
Un instantané de mon monde
Un jour dans ma vie
Sans censure

Sous l'épaisseur de maquillage
Il y a des cercles noirs autour de mes yeux
Je ne dors pas bien la nuit
Sachant ce qui m'attend -
Une autre journée à me déshabiller
et à poser et à faire la moue
et à faire semblant que j'aime ça
veux ça
suis ça
À genoux et sur mes mains
Exposée
Dégradée
Comme ces hommes me donnent des instructions
Me dirigent
Me poussent
À des choses toujours plus explicites, toujours plus douloureuses.

Dignité
Humanité
Respect de soi
Disparus depuis longtemps

L'alcool et les drogues
Le besoin désespéré d'argent
Pour un fix
Qui me piège ici
Ma haine de moi
et l'homme qui l'alimente
Qui m'a frappée
et m'a violée
et m'a vendue
et a vendu cette image de moi
à moi :
Une rien
Un ensemble de trous
Une salope stupide
Qui a sa place ici
et ne mérite rien de plus
que ton rire
ton mépris
tes fluides corporels

Les vérités dégoûtantes
n'ont pas leur place dans le tableau
que tu décides de voir.

Mais c'est mon tableau
Ma raison d'être ici
Toujours présent
Mais caché de toi si facilement
Avec ta complicité
Derrière le maquillage
Derrière le sourire.

Je te vois, riant de moi
ou commentant mon corps
et te branlant sur moi
Là piégée dans mon existence à deux dimensions
Toi et ton discours sur les droits et les choix !
Mais me vois-tu ?
Vas-tu me voir ?
Je veux que tu me voies
Le tableau entier
Et que tu n'achètes plus jamais
Cette fausse image
L'image du pornographe.

samedi 20 février 2010

Absolument putain d'incroyable

J'étais juste en train de conduire, en écoutant radio 4, quand ils ont commencé un débat pour savoir dans quelle mesure une femme était coupable si elle était violée.

!!!!

Cela m'a rendue vraiment malade et j'ai dû rentrer directement chez moi pour m'effondrer. La définition du viol c'est que c'est à l'encontre des souhaits de la femme. Qu'elle ait bu un verre ou aucun ou vingt verres, c'est toujours pareil. Si une femme dit non, elle veut dire non, on s'arrête là.

Pathétique ! Quelle violence envers chaque femme qui a été violée, qui a été agressée sexuellement, d'enlever le reproche à l'homme qui l'a pénétrée, touchée, et le renvoyer sur la femme qu'il a fait souffrir ! Je suis encore en train de pleurer, de trembler, d'avoir entendu ça. Ça me donne envie de vomir - tout mon corps réagit.

Et le pire, c'est qu'un sondage montre que la majorité des femmes pensent que la femme a une certaine responsabilité.

Quel message envoyons nous à la prochaine génération de jeunes hommes si nous disons, et bien, elle était habillée d'une certaine façon, elle lui a souri d'une certaine façon ou elle a bu un certain nombre de verres donc c'était normal qu'il la viole ? Qu'est-ce qu'on est en train de se faire, à nous-mêmes ? Quand les femmes condamnent les femmes pour avoir été violées, où la victime de viol doit-elle aller ?

Et où est l'auteur dans tout ça ? Étrangement absent. L'homme qui lui a fait ça. Elle a été blessée une fois par le viol, et maintenant ça. C'est de sa faute. Son "non" ne voulait rien dire pour lui, et il ne veut plus rien dire maintenant.

Qu'il ait bu n'importe pas - il est quand même responsable. S'il avait roué de coups quelqu'un jusqu'à la mort après quelques verres et plaidé l'ivresse, dirions nous, ah, c'est vrai c'est vrai, oublions-ça, il n'y pouvait rien ? Et oublier la victime, et peut-être la blâmer d'être restée pas loin d'un homme qui était clairement soûl et hors de contrôle ?

Être violée est une sorte de mort. C'est une perte. De confiance en soi, en les hommes, en le fait d'être protégée par la loi. Une perte de dignité et de respect. Et la souffrance physique aussi. La vie n'est plus jamais la même après un viol. Ton corps n'est plus jamais autant le tien qu'avant.

Cela me rend triste, aussi, quand je pense à ce que cela signifie vraiment que nous pensons des hommes et des femmes en tant que société si nous plaçons le reproche sur les femmes dans le viol. Dans cette affirmation il y a l'idée implicite que les hommes sont en quelque sorte moins que ça : ils sont animaux, gouvernés par leurs pulsions sexuelles, impuissants face à leurs désirs, incapables de responsabilité. Et que les femmes se font ça à elles-mêmes, qu'elles se blessent elles-mêmes, et qu'elles sont responsables non pas seulement d'elles mêmes mais aussi du comportement qu'ont les hommes envers elles.

Je ne crois pas à ça. Je crois que les hommes comme les femmes sont responsables de leurs actions, et de l'effet qu'elles ont sur les autres, et que dénier cela est dénier leur humanité.

Mais là, assise seule chez moi, j'aurais voulu entendre une voix à la radio qui aurait parlé pour moi, la femme qui a été violée.

mercredi 10 février 2010

Seule en compagnie

Souvent, en thérapie, je reste silencieuse. C'est comme si j'étais encore bâillonnée. Silencieuse avant, silencieuse maintenant. Ne montre aucune émotion. Certains comportements sont durs à arrêter. En regardant mon thérapeute, que j'aime beaucoup, à qui je fais confiance, dans la mesure où je suis capable de faire confiance, j'ai envie de hurler. Tant de tourments et de frustration ! Il est à quelques dizaines de centimètres de moi seulement mais cela pourrait aussi bien être un million de kilomètres.

Comment traverser cette distance, faire un pont, avec des mots, pour peindre une image de la douleur et de la souffrance, pour dire l'indicible, dans cet environnement fade de classe moyenne avec sa table et sa boîte de mouchoirs pour que les clients tamponnent leurs yeux avec, avec cet agréable homme de classe moyenne. J'ai l'impression d'être de l'obscurité complète, le mal à l'état pur, une entité toxique qui pollue cet endroit et l'esprit de cet homme. Si certaines des images, des souvenirs, de ce qui m'a été fait, me tourmentent et me dégoûtent de moi-même, que va-t-il penser, cet homme avec ses livres d'étude et sa vie stable et son job stable et son apparence propre et ordonnée.

Sa gentillesse me touche, sa présence m'apaise, sachant qu'il ne va pas me frapper ou me toucher ou me crier dessus. Je sais que c'est juste son job, ça fait partie du contrat, pour lui, je ne suis qu'une cliente parmi tant d'autres. Mais pour moi cela signifie tellement plus que ça. Un homme qui ne veut rien de moi, qui est là pour écouter, qui m'encourage à parler, qui me parle d'une voix douce. Je ne veux pas perdre ce sentiment d'être en compagnie, je ne peux pas supporter de penser qu'il voie les dégâts que je porte et ma noirceur et qu'il m'abandonne.

J'ai été seule pendant si longtemps et je ne veux pas perdre ça. Alors je reste assise, silencieuse, et priant pour qu'il voie dans mon esprit, pour qu'il comprenne, qu'il voie ma souffrance et ma peur, qu'il sache et qu'il comprenne et qu'il m'accepte telle que je suis, parce que je ne peux pas en parler.

Solitude en compagnie. Ensemble mais séparés.

Vivre dans les limbes

Il y a un point où les émotions sont tellement intenses, la douleur tellement crue, que les mots cessent de leur rendre justice. Tu tâtonnes pour trouver le vocabulaire mais il n'y en a pas. Rien de ce que tu pourrais dire ne pourrait se rapprocher de ce que tu ressens, de ce qu'ils te font. Les gens te font défaut, et le langage te fait défaut aussi.

Et qui écoute de toute façon ? Qui va t'aider ? Tu te sens invisible. Quand tu vas aux urgences (et tu devrais y aller plus souvent, mais il ne te laisse pas - effrayé qu'ils puissent découvrir) et qu'ils parlent de toi, pendant que tu gis dans le lit - "assez ivre pour mettre un cheval K.O.", "clairement alcoolique", "regarde l'état dans lequel ils se mettent", et qu'ils refusent de te voir toi et ta douleur, tu perds ton humanité. Tu deviens "elle", "juste une autre alcoolo", ne méritant même pas un nom. Tu souffres déjà, mais ils te font souffrir quand même, souffrance sur souffrance. Tu ne peux pas tenir beaucoup plus longtemps.

Cette femme dans le lit a des sentiments vous savez.

Tu sais que tu es toute seule. Et tu te blâmes déjà, tu te hais déjà, pour la boisson et les drogues. Tu essaies de survivre, tu essaies seulement de survivre, et tu sais que ces choses sont des problèmes en elles-mêmes, tu n'es pas stupide, même s'ils te traitent comme si tu l'étais, mais tu as peur et tu es perdue et seule et il n'y a aucun choix. Les gens qui sont là pour t'aider, les "professionnels", te jugent et te regardent comme si tu étais une merde, ce qui est d'ailleurs ce que lui t'a dit.
Quand ouvrir la bouche te fait risquer de ne pas être crue, ou risquer son poing, tu arrêtes de parler. Tu as assez mal comme ça : tu n'as pas besoin de plus.

Les émotions, les événements, les gens, tout se mélange dans ta tête, un méli-mélo sans narration, sans mots, sans espoir, dont tu préférerais ne pas te souvenir. Tu sens que tu perds pied avec la réalité. Les blackouts viennent rapidement et profondément, un produit de l'alcool et des drogues et des blessures à la tête qu'il te fait. Tu as peur de devenir folle. Tu ne peux pas parvenir à penser à ton futur. Qu'est-ce que tu peux espérer, viser, pour quoi peux-tu prier, quand tu es tellement absolument brisée, tellement complètement morcelée. Même ton corps n'est pas à toi. Il semble insensible à tout sauf à la douleur. Tu essaies de te détacher, de t'éloigner du traumatisme physique, mais même dans ta tête il n'y a aucune sécurité ni aucune paix. Tu te sens consumée par lui, par eux. Leurs mains possèdent ton corps, et leurs mots possèdent ton esprit.

Ils te disent que ta place est ici. Tu commences à y croire. Quand les gens qui pourraient t'aider, à qui on t'a appris à faire confiance avant que tu te retrouves ici, quand tu appartenais à la société, que tu y étais acceptée, que tu y avais ta place, regardent maintenant à travers toi, tu n'as plus nulle part où aller. S'échapper semble impossible. Où peux-tu aller ? À qui peux-tu faire confiance ? Où est ta place maintenant ?

Depuis que je suis sortie, je me retrouve toujours perdue, apeurée, souffrante. Il n'y a aucun endroit que je puisse appeler chez moi. Je n'ai pas l'impression de coller avec la majorité des gens normaux, avec leurs vies normales, leurs familles normales, leurs comportements normaux. Avec leur acceptation sans critique, sans questionnement, de la façon dont en tant que femme j'ai été traitée par la société, et le suis encore.

C'est comme s'ils me voyaient sans me voir, ils voient ce qu'ils veulent et jettent le reste. Avec leur assertion confortable que la prostitution devrait être légalisée, que cela donne du pouvoir aux femmes de "choisir" le travail du sexe, que l'inégalité de genres est une chose du passé, qu'il y a plein d'aides partout pour les femmes maltraitées, si seulement elles voulaient bien en profiter. Ils parlent avec assurance de l'addiction, de l'alcoolisme, comme d'un choix de vie, rien de plus, médiocre s'il en est, un signe de personnalité faible et d'égoïsme et d'immoralité. Je me sens suffoquée, ignorée par eux et leurs croyances. C'est comme s'ils parlaient un langage différent du mien. C'est le cas.

Leurs mots me font souffrir, mal informés, détachés de la réalité, voilés dans un langage étrangement hors de contexte étant donné la nature de l'industrie du sexe. Vides de sens, mais largement acceptés. Aseptisés jusqu'à l'abstraction. Réadaptés jusqu'à la vacuité. Un tel langage suggère qu'il serait prude de voir les femmes achetées et vendues dans la pornographie et la prostitution comme quoi que ce soit de plus qu'une expression de la liberté d'expression et du libéralisme. Et tu vois, elle sourit, c'est donc qu'elle aime ça ! Et puis on ne changera pas les hommes...

Regardant une femme nue dans la pornographie, avec des objets dans son vagin et son rectum, les défendeurs de l'industrie du sexe ne parlent pas du tout des femmes, mais à la place ils parlent le langage des droits et de la liberté d'expression et de choix. Tellement plus proche, tellement moins affligeant. Tellement plus acceptable socialement. Après tout, qui ne serait pas en faveur des droits, de la liberté d'expression et de choix ? Pris hors de contexte, ces mots sont acceptés comme ayant des connotations positives. Notre société les promeut. La question que nous avons besoin de poser c'est, est-ce que ces mots ont leur place dans le contexte de l'industrie du sexe et de ses pratiques ?

L'industrie du sexe et notre culture qui l'accepte regardent à travers les femmes qu'ils utilisent. Elles ont regardé à travers moi, regardent à travers moi. Tout en regardant une vraie femme vivante devant eux, nue, avec ses organes génitaux exposés, les défenseurs de la pornographie sont étrangement aveugles. Ils ne voient que ce qu'ils veulent. La valeur de son corps à leur yeux repose sur leur capacité à projeter leurs désirs et leurs croyances sur elle, et donc à l'utiliser sans reproche ni responsabilité. Elle reste un objet de fantasme à leurs yeux parce qu'ils ne voient pas, ne verront pas, la réalité. Tranquillement du bon côté de la caméra, les "utilisateurs" de la pornographie restent à une distance aseptisée des fluides corporels, des bleus, des émotions, de la réalité. Ils ne se connectent pas à la femme de l'autre côté de la caméra, se tenant ouverte, posant, insérant des godemichés ou autres objets pour la gratification d'hommes qu'elle ne connait pas, pour faire de l'argent pour quelqu'un d'autre. Avec leur langage de la "liberté d'expression" et de "prise de pouvoir" et de "choix", ces soi-disant "libéraux" sont en fait tout sauf cela. La liberté d'expression n'est pas tellement libre quand elle cherche à étouffer le débat, à faire taire les voix des femmes qui ont vécu la réalité du fantasme du consommateur.

Son humanité, ses émotions, barrent la route. Les pornographes ne veulent pas que vous vous inquiétiez pour elle - c'est pourquoi on lui a dit de sourire. Ce ne serait pas aussi facile de jouir là-dessus si vous aviez vu ce que celui avait coûté, n'est-ce pas ?

Peut-être que si les "utilisateurs" de la pornographie devaient faire face au coût humain, si ces femmes n'étaient pas muettes, ils devraient prendre leurs responsabilités, devenir actifs. Ils devraient peut-être oser parler et risquer la rage d'une industrie avec des milliards de dollars derrière elle, et des avocats de haut niveau derrière elle, un cirque complet de gens qui auraient tellement à perdre s'il devenait inacceptable de faire le commerce de vraies femmes vivantes. Non pas que l'industrie du sexe veuille ou puisse jamais formuler cela de cette façon. L'industrie du sexe vise à rendre muet le langage qui attire l'attention sur ce qu'elle fait en réalité - utiliser les corps des femmes, en se concentrant particulièrement sur ses organes génitaux et leur pénétration - pour gagner de vastes sommes d'argent, non pas pour le bénéfice de ces femmes, mais pour ceux qui sont plus haut dans la pyramide. Ce mensonge conserve son pouvoir en évitant un tel vocabulaire à tout prix.

L'industrie du sexe cherche à contrôler non seulement les voix des femmes qui y sont piégées, mais le langage même du débat, et la vaste majorité des médias. Étrangement, ces gens objectent à des mots qui évoquent avec le moindre début d'exactitude la réalité des femmes impliquées. La réalité est un peu moins agréable. Il n'est plus aussi facile de parler allègrement de la liberté d'expression et de l'empowerment quand tu peux entendre la voix de la femme qui vient juste d'avoir une relation sexuelle non protégée avec 8 hommes différents décrire la souffrance du sexe prolongé, comment elle sniffait de la coke à chaque pause pour essayer de s'insensibiliser, à quel point il était difficile pour elle d'essayer de sourire pour la caméra et de gémir pour la caméra comme si elle aimait ça, de leur dire "baise moi plus fort" quand tout ce qu'elle voulait c'était que tout ça s'arrête parce que la douleur était insupportable et qu'elle se disait qu'elle allait vomir et qu'elle voulait juste prendre son argent et aller prendre une douche et se soûler pour oublier.

L'industrie du sexe peint une image d'elle-même comme une figure bienveillante dans un combat contre l'enchaînement des femmes au mariage et à la monogamie et comme sujettes au contrôle sexuel. Ils se présentent comme les gentils, les modernistes, les ouverts d'esprit. Contre toute évidence, ils veulent être vus comme les libérateurs des femmes, non pas leurs exploiteurs. La société avale ce mensonge autant qu'elle accepte ce langage. L'utilisation du langage par l'industrie tisse un mensonge qui joue sur la peur : la peur des gens d'avoir l'air prude ; la peur des gens d'avoir l'air vieux jeu ; la peur des gens que cela puisse être vu comme rétrograde, anti-droit des femmes, répressif ou frigide. On dit rarement qu'il est possible de s'opposer à la maltraitance des femmes dans la pornographie et la prostitution, à leur objectivation et leur vente, tout en n'étant pas un traditionaliste, un conservateur. Il n'est pas dans l'intérêt de l'industrie du sexe d'autoriser l'éventuelle présence d'un juste milieu. Ou de laisser croire que la vraie prise de pouvoir des femmes puisse être trouvée dans autre chose que de se dénuder pour faire jouir les hommes.

Ils jouent un jeu intelligent, et ils font la guerre à ceux qui élèvent la voix. Ils cherchent à placer leur source de revenus en dehors des limites, pour interdire le questionnement des effets de l'industrie du sexe. Quelle ironie qu'une industrie qui détruit la vie des femmes doive adopter un langage des droits des femmes, du féminisme et de l'empowerment ! Quelle ironie que ce mensonge soit devenu si persuasif qu'une femme comme moi qui a fait l'expérience de l'enfer de la prostitution, d'être utilisée dans la pornographie, a peur de parler, qu'on lui demande de dénier sa vérité, a découvert que des gens habituellement gentils et ne jugeant pas, étaient incapables d'entendre son histoire ? Faisant face à l'épouvantable réalité de ce que cela signifie pour les femmes d'être vendues et détruites photo par photo, acheteur par acheteur, les gens retombent dans le bafouillage sur le choix et la liberté. Comment est-il possible que la femme devienne inacceptable, son histoire inacceptable, alors que l'industrie est intouchable ?

Le choix et le contrôle méticuleux du langage par l'industrie du sexe est ce qui nous empêche d'avancer. L'industrie du sexe évite le langage explicite pour s'engager avec la société complète dans sa bataille pour rester à la place qu'elle a réussi à se faire : le courant dominant de la culture. Beaucoup de gens qui se font avocats du "droit" des adultes à "utiliser" la pornographie, ou argumentent en faveur de la légalisation de la prostitution, sont embarrassés par l'usage de mots explicites pour décrire les films explicites et les magazines explicites qu'ils défendent. On fronce les sourcils devant un tel langage, considéré comme sordide, inadapté, non nécessaire.

Mais pourquoi est il accepté de se branler sur une photo d'une femme nue en train d'être pénétrée, mais pas accepté de parler de son vagin, de son anus, de parler de sa réalité, pour dire les choses telles qu'elles sont ? De demander pourquoi elle est là, comment elle se sent, ce que cela signifie pour elle. Si elle a des alternatives. Comment avons nous pu laisser une industrie dont l'essence est de vendre des corps humains vivants, respirant, sentant, au sang chaud, comme des objets, pour être utilisés pour notre gratification, puis jetés en faveur du prochain corps, nous contrôler si profondément, nous laver le cerveau si complètement que nous parlons uniquement en termes de fantasme, de liberté d'expression, de choix, et jamais de l'humanité des femmes que nous regardons dans les yeux ? Comment se fait-il que les statistiques montrant qu'un pourcentage écrasant des femmes utilisées dans la pornographie et la prostitution ont été abusées sexuellement quand elles étaient enfants ou adultes, ou ont des problèmes de santé mentale, et veulent désespérément en sortir, aient été tellement étouffées ? (voir le site d'Object : Demand Change ! pour des statistiques récentes). Dans ce langage de droits, où sont les droits des femmes utilisées ? Qu'est-il arrivé aux responsabilités complémentaires aux droits ? Et dans un contexte d'abus, d'addiction, de pauvreté, de violence, de difficultés de santé mentale, est-il bien pertinent de parler de choix ?

Pousser les femmes qui sont prises dans tout ça, piégées, à parler pour défendre leur dégradation, leur déshumanisation, leur objectivation et leur vente, est l'astuce la plus intelligente et la plus insidieuse que l'industrie ait trouvé. Rien ne peut délivrer la société de sa responsabilité d'agir, de changer, comme la voix d'une femme qui sait. Une femme qui défend l'industrie du sexe est payée généreusement, par la société qui est reconnaissante de ne pas avoir à s'examiner ou à questionner ses pratiques, et par l'industrie elle-même. L'industrie paie ces femmes pour traiter d'extrémistes et de prudes d'autres femmes, des femmes qui osent dire je n'aimais pas ça, je ne voulais pas ça, être traitée en objet m'a fait du mal, je ne crois pas que cela promeuve une image saine des femmes. Une femme qui parle pour dénier ce mensonge paie encore et encore, d'abord par la dénégation de sa souffrance et de son histoire. Rejetez la femme qui dit la vérité, et vous n'aurez jamais à faire face à cette vérité ou à votre propre rôle là-dedans. Le statu quo est en danger, il doit être protégé. La vérité ne peut pas se mettre sur son chemin ! C'est un statu quo qui convient à beaucoup, qui fait de l'argent, dans lequel les femmes peuvent être achetées, servir de support masturbatoire, puis remises gentiment dans un tiroir jusqu'à la prochaine fois, ou laissées dans le bordel jusqu'à la prochaine fois, aucune pensée pour leur humanité, leur dignité, leurs sentiments et leurs émotions, ce qu'elles trouvent en rentrant chez elles le soir. Écoutant les voix largement diffusées de quelques femmes racontant le mensonge de l'industrie du sexe, la société se repose tranquillement, sans reproche.

Quand je suis retombée dans la prostitution, après m'être traînée à l'écart de mon ex, pour subvenir à ma toxicomanie, désespérée puisque dans ma condition je ne pourrais obtenir aucun autre travail, quand je suppliais mon médecin généraliste de m'aider à arrêter les drogues et qu'elle refusait, je me suis retrouvée à dire aux types qui me demandaient que je l'avais choisi, que j'aimais ça. C'est ce qui les poussait à revenir, et j'avais besoin qu'ils reviennent parce que j'avais besoin de leur argent. Pas de choix. Pas de liberté d'expression.
Ils chuchotaient des mots révoltants à mon oreille, et puis ajoutaient "et ça te plairait, n'est-ce pas ?", et je devais répondre que oui. Il me semblait avoir perdu ma dernière parcelle d'estime de moi. Je m'endormais en pleurant chaque nuit, je ne pouvais plus me regarder dans le miroir. Être doigtée et baisée et regardée et souillée par les éjaculations et photographiée et filmée et traitée comme un objet pour le divertissement des autres ne m'a, étrangement, pas du tout donné une impression d'empowerment.

L'abîme entre l'"acceptable", la société et ses vues aseptisées, abstraites des femmes et du "travail du sexe", entre ce monde et mon monde, cette réalité la mienne, semble vaste, infranchissable, même à présent que j'en suis sortie, même à présent que je suis sobre. Eux avec leurs jobs et leurs maisons, leurs strip-clubs après le travail, juste un petit divertissement, un film ou un magazine porno juste pour "rire", rien de grave, rentrant chez eux dans une maison bien chauffée, un lit confortable, dormant d'un sommeil profond, confortablement distancié. Et moi, seulement en train de survivre, bataillant pour vivre avec les sensations et les souvenirs, les cicatrices, les cauchemars, reconnaissante de n'avoir pas bu ou m'être droguée juste pour aujourd'hui, de ne pas avoir été battue ou vendue aujourd'hui.

Je ne suis plus dans cet enfer de la prostitution. Mais je me retrouve dans les limbes, me battant toujours pour survivre, toujours en guerre avec la voix omniprésente de l'industrie du sexe, toujours brouillée avec la société, la survivante et porteuse d'une vérité trop dérangeante pour la majorité pour être entendue. Il est temps que nous considérions ces jeux de langage pour ce qu'ils sont et que nous devenions honnêtes avec nous mêmes.

lundi 1 février 2010

Un progrès, pas la perfection

Dans les cercles de parole, ils ont une maxime : ce qui est bien dans la guérison, c'est que tu récupères tes émotions ; et ce qui est mauvais dans la guérison, c'est que tu récupères tes émotions. Ces dernières semaines je dois dire que j'ai trouvé le retour de mes émotions très rude. Quelqu'un que j'aime énormément est sérieusement malade, avec une possibilité de ne pas s'en sortir. C'est à des moments comme ça que je dois me rappeler que je n'ai aucun pouvoir sur les gens, les endroits et les choses.

Quand je buvais et me droguais, je travaillais très dur à aider les gens. Je voulais être tout pour les gens dans ma vie, je crois que c'est parce que je voulais être aimée et nécessaire, et me rendre indispensable aux gens me semblait être un moyen d'être appréciée. Je n'avais aucune estime de moi, et donc je cherchais l'approbation dans les yeux des gens. Si quelqu'un m'aimait, bien (bien que même là je pensais, s'ils me connaissaient vraiment ils penseraient différemment). Si non, c'était infernal : cela me semblait une confirmation que ma plus grande peur était vraie, que les gens pouvaient voir à travers moi et savoir que j'étais une mauvaise personne. Je m'accrochais aux gens à tout prix.

En regardant à quel point j'étais seule, et à quel point j'étais en besoin désespéré d'amour, je ressens de la compassion pour moi-même. Et je me sens triste. À présent, en guérison, je peux me voir plus clairement. Je vois les motifs qui se sont répétés dans ma vie, les failles dans ma personnalité qui m'ont conduit à tomber dans des comportements inadéquats et des relations destructrices. La relation est au coeur du problème : je tends à avoir des relations incroyablement déformées avec tout ce que je croise dans ma vie, des gens à l'argent aux objets de tous les jours auxquels je peux attribuer certains pouvoir au-delà de la réalité. Alors je peux commencer à penser que certains vêtements portent chance ou malchance, demander à ce que chaque homme dans ma vie soit un chevalier blanc qui me sauvera, devenir superstitieuse avec des rituels. Le rituel était un autre grand truc pour moi quand je me droguais. Et le chevalier blanc...

J'ai toujours tendance à penser de cette façon. Je suis une toxicomane, et ce sont mes positions par défaut. Mais il est vrai que ces jours ci je pense que j'ai plus de valeur, et je ne fais plus des autres des dieux dans ma vie que je haïrai et rejetterai quand, inévitablement, ils ne parviendront pas à me sauver de moi même. Je suis la seule à pouvoir me sauver, avec l'aide des autres. Et les gens ne m'aideront pas si je ne les laisse pas rentrer, et si je ne leur dis pas que j'ai mal et que j'ai peur. Je trouve ça tellement difficile de l'admettre ! Mais j'essaie néanmoins.

En ce moment de tristesse et d'inquiétude, j'ai rassemblé le courage et l'honnêteté pour demander de l'aide à mes amis. Et la grâce de savoir que je ne peux pas le sauver, que je ne suis pas Dieu, que je peux seulement faire ce que je peux et prendre soin de moi et rendre le reste. C'est difficile, et j'ai peur et j'ai mal, et je continue de me sentir seule souvent, mais c'est un progrès.