mercredi 4 janvier 2012

Sur les mots en faveur de la prostitution, et autres folies

Je suis tombée sur un argument mis en avant par un membre du Parlement français dans le débat à propos de l'adoption ou non d'un modèle suédois pour la prostitution, visant les clients plutôt que les prostituées. Il ne voyait pas le problème avec la prostitution. Il a dit : la prostitution est le plus vieux métier du monde. S'il n'y avait pas l'exutoire sûr et légal qu'est la prostitution, il y aurait plus d'agressions sexuelles. La prostitution devrait être régulée, pas rendue illégale.

Un examen approfondi montre que cet argument est fallacieux sous tous ses aspects. Prenez le commentaire sur le "plus vieux métier du monde" par exemple. Cela implique que la prostitution est un système bien-fondé simplement en vertu de son historicité. Il y a toujours eu des femmes qui se sont fait baiser pour de l'argent donc tout va bien. Le bear baiting (voir ici) et les combats de gladiateurs sont aussi historiques mais je suis sûre que personne n'irait proposer de les légaliser en utilisant cet argument. La pensée moderne a généralement reconnu beaucoup de pratiques d'antan comme barbares et cruelles, et à raison. Alors nous devrions éliminer ce mode de pensée du "vieux = bon". De toute façon, je ne suis pas sûre qu'être abusée verbalement, physiquement et sexuellement puisse être classé comme une profession.

Cette idée de "plus vieux métier" a aussi l'odeur de l'inévitable : la prostitution a toujours existé, existe et existera toujours. Ceci est tout simplement faux. Il n'y a rien d'inévitable dans la prostitution. La façon dont fonctionne notre société, les "normes" qu'elle accepte et perpétue, sont des constructions sociales. L'industrie du sexe cherche à naturaliser les inégalités entre les sexes pour raffermir sa prise, pour dire c'est ainsi que sont les hommes (ils ont constamment besoin d'un exutoire sexuel), c'est ainsi que sont les femmes (capables de se faire de l'argent en fournissant ce "service"). Une fois que nous voyons quelque chose comme normal ou inévitable, nous cessons de questionner son existence ou sa moralité - c'est ce que l'industrie du sexe attend de nous. Même si on voulait argumenter que la prostitution est inévitable, est-ce que cela nous enlèverait la responsabilité d'essayer de changer cela, d'essayer de l'arrêter, une fois que nous avons reconnu que c'était profondément néfaste ? On peut arguer que les violences conjugales ne seront jamais complètement éradiquées, mais cela signifie-t-il que nous devrions arrêter d'essayer, les décriminaliser, et fermer les refuges ?

Ensuite l'argument de la prostitution qui protégerait des agressions sexuelles, une sorte de valve de sécurité si vous voulez, pour l'homme qui est désespéré. Dire que la prostitution est acceptable parce qu'elle empêche des abus plus sérieux, c'est offrir un groupe de gens - ici les prostituées - et dire, laissons-les être les victimes ici, offrons leur sang à la bête pour que le reste d'entre nous, le groupe social majoritaire, soyons sauvés. C'est créer une sous-classe et justifier leur maltraitance pour protéger ceux qui ont des droits. On leur déniera leur sécurité, leurs droits humains, pour assurer les nôtres. Mieux vaut que ce soient elles que nous !

Cet argument implique que les violeurs et les coupables d'agressions sexuelles ne sont en quelque sorte pas responsables de leurs actions. Ils vont faire du mal à des gens, c'est un fait, alors autant qu'ils fassent souffrir cette femme-là plutôt que cette femme ici qui est socialement acceptable. Souhaitons-nous réellement dire que les actions des gens sont prédestinées, inévitables ? N'est-ce pas les approuver ? Qu'est-il arrivé au libre arbitre ? Et à la responsabilité personnelle ? Si je te frappe, c'est parce que je l'ai décidé. Mon bras n'a pas une force vitale de lui-même. De même si une personne en viole une autre, c'est une décision aussi. À la fin, l'homme qui viole prend une décision. Il n'est pas à la merci de son pénis ! L'homme qui agresse sexuellement prend une décision. Tout comme l'homme qui tabasse. Le système pénal tout entier est basé sur cette compréhension du fait que l'individu est responsable de ses actions.

Si un homme agresse sexuellement quelqu'un, il doit être puni. La loi existe pour nous protéger. Nous ne pouvons pas lui offrir des excuses, dire qu'il n'a pas pu s'en empêcher, et classifier la maltraitance comme acceptable à cause de l'échange d'argent. La pornographie ajoute encore à la naturalisation de ce mode de pensée : "les hommes sont des hommes" et sont fondamentalement différents des femmes, ont besoin de plein de partenaires sexuelles, de stimulation visuelle et d'un exutoire sexuel constamment disponible, que ce soit en utilisant des femmes dans la pornographie ou des femmes en personne, qu'elles soient des prostituées ou des partenaires.

Cet argument implique également que les clients sont des violeurs et des agresseurs sexuels. Si c'est le cas, si on reconnaît que le portrait du client moyen fait dans Pretty Woman était juste un brin optimiste, pourquoi devrions nous attendre de la prostituée qu'elle ait à faire à lui, et ensuite dire, c'est son choix, son problème ? Cet argument fait des prostituées un "mal nécessaire" comme exutoire pour les désirs sexuels frustrés de pervers violents.

Puis nous avons l'idée de la régulation de la prostitution. Dire que nous devrions légaliser la prostitution et la réguler, c'est sous-entendre qu'il existe une chose telle que la sécurité pour une prostituée. C'est dire, si on te met dans une jolie chambre avec un adorable couvre-lit, tu peux te faire baiser sans problème : rien de mal ne pourra t'arriver. En réalité, tu peux changer le décor mais tu ne peux pas changer la nature de l'acte. La prostitution est une histoire de pouvoir : le client a le pouvoir parce qu'il a l'argent et il a la force physique de son côté. La prostituée est l'objet de ses fantaisies, sa poupée gonflable à utiliser et maltraiter comme il veut. La nature même de l'acte est agressive.

Il n'existe pas de prostitution sûre, où qu'elle puisse prendre place. Au final il y aura toujours une inégalité, une femme nue et vulnérable et un homme (ou peut-être plus d'un, ça dépend), sa présence même étant au service de son plaisir sexuel, quoi qu'il en coûte. Et la sécurité implique des limites, des frontières, et un soutien. Où sont les limites quand un client baise une prostituée ? Quand il retire le préservatif quand il est derrière elle, même sur un joli couvre-lit, où est son soutien ? Est-ce qu'avoir une jolie réceptionniste ou quelqu'un à la porte l'aide quand elle est seule avec lui et qu'il fait ce qu'il veut ? Ou quand il la baise plus fort parce que ça lui fait mal, s'enfonce plus loin dans sa gorge pour la voir avoir des haut-le-coeur ? Il peut tout aussi facilement la violer, tout aussi facilement lui faire mal, dans une jolie chambre avec un joli couvre-lit, tout aussi facilement que dans un coin de rue. Cela offre simplement un vernis de respectabilité à l'acheteur, et au proxénète. La prostituée n'en est pas mieux lotie. Elle aura toujours le fardeau d'avaler ce qu'il lui a fait, de ne rien dire, sa honte à elle et pas à lui, sa faute à elle d'avoir été là. Les mots qu'il chuchote dans son oreille, lui disant toutes les choses perverses qu'il veut lui faire, ne seront pas différentes pour la femme. Elle est là pour son plaisir, sa gratification sexuelle, quoi que cela signifie. Point final.

Dans le contexte de la prostitution légalisée, le proxénète devient un businessman, l'acheteur un client. Tout le monde respire tranquillement, sans aucun scrupule, parce que les préjudices sont devenus invisibles. Les dommages faits aux prostituées deviennent invisibles parce que le langage avec lequel en parler a disparu. Nous utilisons déjà bien assez peu de vocabulaire réaliste pour débattre de la prostitution. La discussion tend vers le néant, étant limitée à des concepts abstraits de libération, empowerment et choix. Revenez à la réalité !

Les demandes de légalisation de la prostitution et de sa régulation sont purement dans l'intérêt des proxénètes et des clients. 68% des femmes dans la prostitution souffrent de Syndrome de Stress Post Traumatique, au même taux que les victimes de torture et les vétérans de guerre (voir www.object.org.uk). Réguler la prostitution n'est pas la réponse. Lever les mains en l'air et dire que c'est inévitable n'est pas la réponse. Eduquer les gens sur les réalités de la prostitution, en abandonnant les bêlements insensés et aseptisés sur le choix, la libération, l'empowerment pour les femmes, et en offrant de vrais choix aux femmes qui se retrouvent dans des situations désespérées, c'est cela dont on a besoin. Tant que les femmes ne connaîtront pas les réalités de la prostitution, elles continueront à y être vulnérables. Tant que les femmes ne voient pas d'autres options quand elles font face à des problèmes de santé mentale, de pauvreté et d'addictions, elles continueront à être vulnérables. Et tant que les femmes ne reconnaîtront pas la nature personnelle de la prostitution dans toute sa gloire - sperme et peur et agression et douleur et humiliation, cicatrices physiques et mentales, clients qui ne ressemblent en rien à Richard Gere - beaucoup continueront de se battre pour le droit des femmes à continuer à être maltraitées et à subir du tort dans la prostitution.

Ne vous battez pas pour cela en mon nom. Sachez la vérité : vous vous battez pour les droits des proxénètes et des clients. C'est de la pure folie.

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