mardi 1 mars 2011

La méprisable

J'écoutais la radio l'autre jour et on parlait d’un soldat qui a tiré sur deux de ses camarades, après une beuverie, à cause de son syndrome de stress post-traumatique. Ils parlaient de la façon dont le SSPT peut faire revivre à la victime les traumatismes passés. Leurs moqueries avaient apparemment réactivé chez lui l'expérience d'être la cible d'attaques dans une zone de guerre. Alors, il les a tués.

J'ai reçu un diagnostic de stress post-traumatique il y a quelques années en raison des abus dont j'ai souffert comme prostituée et comme femme battue. Je me souviens de mon thérapeute me disant que des soldats en souffrent souvent, et que les gens qui souffrent de traumatismes graves peuvent aussi le développer. Les symptômes comprennent des flashbacks, des cauchemars, et des déclencheurs.

J’ai tous ces symptômes.

Mais ce que l'expert a déclaré à la radio, et qui a vraiment attiré mon attention, était que les soldats qui ont été dans un conflit armé, ont des difficultés à se réadapter à la vie civile ensuite, restant avec toutes ces images horribles des atrocités qu'ils ont pu voir, imprimées dans leur esprit. Et ils voudront peut-être retourner au service actif et dans un cadre de combat, parce qu'il y aura autour d’eux d'autres hommes qui ont vécu les mêmes expériences et qui comprennent.

Et là, avec cette seule phrase que j'ai attrapée par hasard à la radio, j'ai trouvé une réponse à 4 ans de culpabilité, de honte et de confusion. Depuis que j’ai quitté la prostitution, je me suis parfois sentie tirée en arrière vers elle, en particulier lorsque des gens ont refusé de m'aider, ou m’ont dit que j’avais choisi et que j’avais dû y trouver du plaisir. Il n'y a rien de pire que d’entendre quelqu'un vous expliquer que vous avez tort sur ce que vous ressentez de ce que vous avez vécu, en quelque sorte que vous avez mal compris. Je ne pouvais pas comprendre pourquoi je me sentais tirée vers l'arrière vers quelque chose que j'ai trouvé si horrible, et j’en suis arrivée à la conclusion que j’ai, à ces moments là, de fortes pulsions autodestructrices.

Mais ce qui a été dit sur ​​les soldats a fait sens pour moi. Depuis que je suis sortie de la prostitution, j'ai trouvé mes expériences invalidées à tous les niveaux, rejetées ou refusées. Encore 4 ans plus tard, je réalise que, presque sans exception (et il ya eu très peu d'exceptions, même parmi les soi-disant professionnels de la santé mentale), je n'ai trouvé personne qui ait compris ce que c'est que de se prostituer. La plupart n’ont même pas essayé.

Donc, le seul endroit où je me suis toujours sentie vraiment comprise, a été parmi les autres prostituées.

Il n’y a pas d’autre situation qui puisse être comparée à la prostitution, aucune qui attire si peu de compréhension, tant de jugements, de haine et de mépris.

Si vous êtes frappée en tant que prostituée, c’est que vous le méritez. Et si vous êtes violée…

Peut-on même violer une prostituée ? Certes, cela signifie seulement ne pas payer, et de toute façon elle aime le sexe sinon elle n’aurait pas choisi d’être là. On m’a dit que j’avais choisi tout cela. Et bien, Angel, qu’avez-vous retiré de tout ça ? Prenez la responsabilité de ce qui vous est arrivé ! Je ne crains pas de prendre la responsabilité des erreurs du passé, mais je réfute le fait que je voulais ce genre de choses. Personne ne choisit le viol.

La prostituée est condamnée, tant par ceux qui la méprisent pour ce qu'elle fait que par ceux qui soutiennent si généreusement (en son nom – ils ne rêveraient pas de le faire eux-mêmes) son droit d’être une femme violée, d’être une prostituée. C’est une situation désespérante.

Sur Radio 4, ni l’expert, ni à vrai dire personne, n’a suggéré qu’un soldat veuille revenir au service actif parce qu’il prenait plaisir à être le témoin des atrocités qui avaient déclenché son SSPT et l’avaient tellement déconnecté de la population civile en général. Où sont cette compassion et cette compréhension quand il s’agit d’une femme prostituée ? Pourquoi lui est-il reproché à elle, parmi tous les autres, d’avoir été blessée et pourquoi lui dire à nouveau qu’elle a choisi parce qu’elle aime ça ? C’est un total manque de compréhension de l'absence de choix, de la dépendance, du désespoir et du traumatisme qui résultent d’être baisée et et utilisée et violée et traitée comme moins qu’un être humain. Comme prostituée, j’étais une poupée humaine à baiser, la seule différence était qu’on s’attendait à ce que je me réjouisse d’être violée et que j’y trouve du plaisir. Une poupée gonflable aurait été traitée avec plus de douceur.

Considérant cela, Il n’est pas étonnant que vous soyez tirée vers l'arrière. Une femme qui a été prostituée est une femme qui ne s'appartient pas. Abîmée comme elle l’est par ce qu'elle a vécu, elle est simplement impossible à accepter. Une vérité trop dangereuse à manier.

Si les femmes utilisées dans l’industrie du sexe n’aiment pas réellement cela, le « droit » de chacun de se masturber sur des femmes dans des clubs de striptease, des magazines, des vidéos et la télévision peut être mis en doute, et la société n’est pas préparée à ce que cela se produise.

Ainsi nous sommes utilisées, puis jetées, un embarras, le rebut humain produit par un système de perpétuelles inégalités et abus.

Etre une ordure humaine ? Maintenant, je sais que c’est de la foutaise.

(traduction par Lora, légèrement éditée)

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire