vendredi 11 novembre 2011

La logique de l'illogisme

Nous vivons dans un système plein de tensions et complètement illogique. Nous vivons dans un pays dans lequel le viol est illégal mais où la pornographie qui montre des actes de plus en plus agressifs et douloureux envers des femmes devient de plus en plus courante, dans laquelle non veut dire oui et même où une femme ne sait pas qu'elle veut du sexe, mais elle apprend à l'aimer et à en jouir quand elle se fait baiser. Nous vivons dans une société où la maltraitance est illégale mais où la pornographie qui montre des femmes qui sont giflées, sur lesquelles on crache, qu'on force à avaler profondément des pénis d'acteurs mâles au point de les faire pleurer et avoir des haut-le-coeur, est normale.

Donc la violence dans la pornographie est permise, la coercition dans la pornographie est permise - rappelez vous que ce n'est que du fantasme, sauf que ce fantasme est réalisé sur les corps des femmes utilisées dans la pornographie. Être pénétrée et se faire éjaculer dessus n'est pas un fantasme pour ces femmes - c'est la réalité. Je le sais - j'y étais. Tout ça est douloureusement réel pour moi. Quand le client, l'acheteur, après avoir joui, éteint le lecteur DVD, ferme le magazine, fait un changement de chaîne mental, peut-elle en faire autant, la femme sur les photos peut-elle en faire autant ? La caméra arrête de tourner et elle se redresse, se lave, le sperme sur son visage et son corps, en elle, elle vérifie les plaies à son anus, son vagin, sa gorge. Elle a de grands risques d'avoir des infections sexuellement transmissibles, l'hépatite B, le VIH. Elle claudique jusqu'à la douche, boursouflée et contusionnée, puis elle retourne à sa vie chez elle, telle qu'elle est, sachant que les images d'elle se faisant maltraiter, se faisant baiser, se faisant humilier, vont maintenant aider l'homme qui l'a vendue à un homme très riche, que des types se branleront sur ces images, en riront, qu'elle continuera à être consommée par un homme après l'autre, même après que l'assaut initial soit fini. L'alcool aide, la drogue aide : ça rend tout ça un peu plus distant, ça rend la douleur un peu moins réelle. Ca aide à prétendre que ce qui arrive n'a pas d'importance, qu'elle n'a pas d'importance, que rien n'a d'importance sauf la prochaine boisson ou la prochaine drogue.

Elle commence à avoir l'impression que son corps n'est pas le sien. Incapable de se retirer physiquement de cette maltraitance, se retirer dans son corps, dans sa tête, n'est pas suffisant. Les hommes la suivent à l'intérieur. Elle se sépare de ça, elle regarde de loin tout en le vivant, elle est là mais pas là. Ce corps n'est pas le mien. "Ne montre pas que tu as mal ne montre pas que tu as mal" (ou ils te feront encore plus mal - ça les fait jouir) se transforme en un sourd "je ne sens rien de toute façon, rien ne me touche, rien ne m'atteint". Tu peux me tabasser et me baiser et te moquer de moi mais je ne suis plus là, tu ne fais que toucher un corps, crier sur un corps, te moquer d'un corps. Je ne ressens pas de connexion. Ca oscille : peur et engourdissement, douleur extrême et détachement total, dans le corps hors du corps. Le nom auquel ils destinent cette maltraitance me semblait être mon nom, était le mien, mais il ne l'est plus. Il se réfère à la coquille, au corps. Ils ne savent pas que je suis partie. Ils ne peuvent pas me faire mal, ils ne connaissent pas mon vrai nom, mon être réel, mon essence réelle.

Retourner dans le corps, mon corps, rassembler les fragments brisés, c'est lent, tellement lent, et douloureux au-delà de toute mesure. L'illogisme d'une société qui approuve la pornographie comme "normale" mais clame avoir une justice pour les victimes de viol, les victimes de violence conjugale, des actes que l'on voit en miroir en permanence dans la pornographie où ils sont traités non seulement comme autorisés mais comme sans danger et même amusants, rend le processus quasiment impossible. Comment puis-je vivre dans cette société ? Comment pourrais-je avoir une place ici, être validée ici, être affirmée et supportée, écoutée et respectée, avec mon passé, mon présent ? Les images de la maltraitance continuent d'être là, des gens continuent à se branler dessus et à en rire. Et des gens qui n'ont pas la moindre expérience de ce que cela signifie d'être vendue, d'être violée devant une caméra, parfois par un homme et parfois par beaucoup, pour leur divertissement, me disent que ce n'était peut-être pas si grave. La porno n'est pas si grave.

Tu as mal compris, Angel. La pornographie c'est juste de quoi s'amuser sans danger, les femmes choisissent de prendre le pouvoir et de célébrer leur sexualité et leur corps en faisant de la pornographie, elles sont payées pour une partie de jambes en l'air et tout le monde est gagnant.

Faux faux faux. Tout le monde est perdant dans la pornographie. Quand j'ai été vendue, j'ai tout perdu : mon corps était utilisé de façons qui me faisaient mal au point de perdre conscience et de vomir devant les hommes autour de moi, les images de ces abus continuent d'être utilisées maintenant par des hommes qui ne me connaissent pas, bien qu'ils croient me connaître. Avez-vous déjà lu les commentaires dans les magazines porno et sur les DVD ? "Cette petite pute l'a bien cherché et ne demandait qu'à se faire remplir tous les trous"... "Cette chatte en a pris plus qu'elle ne l'espérait pour son premier gang bang, y compris subir sa première double pénétration et elle a adoré ça"... L'expérience était avilissante, les images sont avilissantes et le résultat final c'est que c'est décrit comme étant exactement ce qu'elle voulait et méritait.

Vu à quel point la pornographie est devenue courante, et à quel point elle devient de plus en plus agressive, il n'est pas étonnant que le public ait si souvent l'impression que les victimes de viol sont à blâmer. Nous enseignons à la prochaine génération que les femmes veulent être traitées comme des objets sexuels, que nous le demandons, que non ne veut pas vraiment dire non et qu'on l'a bien cherché. Suivez ce schéma de pensée jusqu'à sa conclusion logique et il devient clair que nous vivons dans une culture du viol. Le nier serait illogique.

1 commentaire:

  1. Bravo pour ton courage ! Je suis addict à la pornographie depuis six ans et tu viens de me convaincre d'y renoncer. Merci

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