dimanche 31 janvier 2010

Comment ça peut arriver ?

Est-ce que j'aurais dû le voir venir, m'en aller avant que cela devienne si horrible ? Il me frappe et me dit que c'est ma faute. Je n'aurais pas du le provoquer. Il me viole et c'est ma faute. Je m'habille comme une pute. Le docteur qui raccommode l'entaille qu'il m'a faite me regarde avec dégoût en disant, "vous retournez le voir ?". Ma faute à nouveau. Les gens, les voisins, les collègues détournent les yeux quand j'ai des yeux au beurre noire, des bleus. Je vois des regards échangés, j'entends les soupirs. Comment peut-elle ? Aucune gentillesse, juste le jugement. Et de l'aide ? Seulement selon leurs termes, s'ils le veulent bien.

Et quand je regarde derrière moi, maintenant que je suis sortie, je pense : comment ça peut arriver ? Comment se fait-il qu'au 21ème siècle, à une époque où on parle d'égalité, de choix, d'opportunités, une femme qui est battue par un homme puisse être battue à nouveau, humiliée à nouveau, rejetée à nouveau par tout le monde autour d'elle, par les gens qui pourraient l'aider ? Si on doit distribuer les blâmes, comment cela a-t-il pu être transformé de façon à ce que ce soit elle la fautive ?

Les femmes battues, les femmes prostituées, ne sont pas stupides. Nous sommes blessées, oui, mais pas stupides. Pour traverser ça, pour survivre jour après jour, heure après heure, dans une telle sous-vie nous observons et nous apprenons - vite. Appeler à l'aide est dangereux. Alors quand nous osons, utilisant chaque once de courage dans nos mains juste pour être écartées avec violence et jugées, nous apprenons notre leçon. Tu n'es pas acceptable. Les mots deviennent futiles alors nous cessons de parler. Les gens nous ignorent alors nous devenons invisibles. Nous avons été blessées par les gens dont nous espérions qu'ils nous aideraient.

Lui est acceptable. Il n'a pas de bleus, ne saigne pas, ne porte aucune marque de la honte de cette vie. Pendant que nous payons deux fois plus, une fois dans la douleur et la dégradation des coups, du viol, des insultes, et puis encore une fois quand face à la société, il ne paie rien du tout. En fait, il reçoit. De l'argent quand il vend nos corps, de l'argent grâce aux photos et aux vidéos. Il est récompensé par une société aveugle à la réalité, qui tourne le dos au coût humain, aux femmes, une société qui défend la pornographie en tant que liberté d'expression et la prostitution comme le choix d'une femme. Il est libre d'aller où il ira et de se fondre comme un égal.

Comment ça peut arriver ?

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