mardi 26 janvier 2010

Jeux de langage

Quand on parle de prostitution, on emballe ça joliment. On utilise le langage pour nous distancier de la réalité de la situation. Le langage de l'industrie du sexe, de ceux en faveur de la légalisation de la prostitution, minimise la souffrance d'être une prostituée, de vendre ton corps. Ca facilite. Avec le langage du "travail", du "job", des "clients", on peut passer directement à travers la douleur et la souffrance des femmes et adolescentes qui y sont piégées.

Une amie à moi a dû débattre à propos de la légalisation de la prostitution pendant un cours durant ses études. Elle était la seule à argumenter contre la légalisation. Le reste du groupe a parlé de sécurité et de choix et du droit des femmes à "travailler". Ils ne voyaient pas ça comme un problème personnel. Pourtant qu'est-ce que la prostitution sinon quelque chose de personnel ? En tant que prostituée, j'ai essayé de me distancier de ce qui arrivait à mon corps - j'utilisais un autre nom, et essayais de m'engourdir avec de l'alcool et des drogues et un effort conscient. Ca ne marche jamais.

La vérité, c'est que dans la prostitution, des hommes me donnaient de l'argent pour utiliser mon corps. Parfois ils me racontaient les choses répugnantes, parfois effrayantes, qu'ils voulaient me faire. Et ils me disaient que j'aimerais ça. Il m'a dit qu'il voulait me défoncer le cul jusqu'à ce qu'il saigne et ensuite me l'enfoncer dans la chatte. Qu'il voulait me ligoter et me laisser sans défense et regarder d'autres hommes me violer et me maltraiter jusqu'à ce qu'il jouisse.

Le fait qu'il utilise mon nom "professionnel" ne changeait rien. Il me regardait quand il le disait, il me touchait quand il le disait, il me faisait mal quand il le disait. Mon corps, mon vagin, mon rectum, ne sont pas des concepts distants, abstraits. Ils sont vrais, ils sont une partie de moi, une femme vivante, qui respire, qui ressent. Quand ils se déchirent, ça me fait mal. Quand ils se couvrent de bleus, ça me fait mal. Quand j'ai été baisée encore et encore, violemment, pour satisfaire le fantasme des parieurs, c'était la réalité pour moi.

Le langage de l'industrie du sexe, si largement accepté et utilisé dans des débats à travers le pays par des gens qui n'ont jamais fait l'expérience de la prostitution, et qui savent pertinemment qu'ils ne le feront sans doute jamais, c'est du blanchiment. Aucun autre "job" ne laisse les femmes traumatisées, avec syndrome de stress post-traumatique, un taux de suicide loin au dessus de la moyenne. (voir le site Demand Change pour les statistiques). Utiliser ce langage tue le débat et bâillonne la réalité de la souffrance des femmes.

La liberté d'expression des soi-disant libéraux, c'est des foutaises. Je n'ai jamais "travaillé" avec une femme qui soit libre de dire la vérité. Pour vivre en tant que prostituée, pour survivre, tu dois construire un méticuleux réseau de mensonges, même envers toi. C'est ce qu'on appelle le déni. De quelle autre façon peux-tu te lever le matin toujours endolorie de la veille (blague : "en marchant encore comme John Wayne") et retourner là-bas ?

C'est l'antithèse du glamour. La réalité c'est des fluides corporels et des odeurs et du lubrifiant et des lingettes nettoyantes et des éponges dans ton vagin pour pouvoir "travailler" pendant tes règles. Et la douleur due à la quantité de rapports sexuels et les tétons douloureux parce qu'ils sont brutaux avec toi, des hommes essayant d'être super rapides et de te la mettre dans le cul quand tu ne regardes pas et de retirer leurs préservatifs. Offrant plus d'argent si tu les laisse rentrer sans préservatif.

Ca me fait mal quand des gens qui n'ont aucune idée de la réalité de la prostitution donnent leur support à l'appel de l'industrie du sexe pour la légaliser. Je ne légaliserais pas la prostitution pour la même raison pour laquelle je ne légaliserais pas l'héroïne : cela détruit un être humain, physiquement, mentalement et spirituellement.

1 commentaire:

  1. Bonsoir,

    Tout d'abord merci beaucoup de traduire ces témoignages. C'est effectivement quelque chose que l'on entend peu. C'est donc d'autant plus important d'en parler.
    J'aurai quelques questions, qui vont lui paraître sans aucun doute bien naïves, à poser à l'auteure de ces écrits.

    Est-ce que toutes les prostituées sont dans ce cas de maltraitance, d'humiliation et par conséquent d'addictions à des drogues pour tenter d'échapper à cette réalité insupportable ?

    Avec les manifestations des "travailleurs du sexe", j'ai cru entendre des prostituées dirent qu'elles avaient choisi ce métier, qu'elles l'aimaient, etc... D'où le fait que je me pose des questions.

    Je suppose qu'il existe malheureusement des personnes abusées, mais est-ce qu'elles le sont toutes ? Est-ce qu'il pourrait y avoir des femmes qui aiment avoir des rapports sexuels à répétition et pour de l'argent ? Des femmes qui disent ce qu'elles acceptent de faire et ce qu'elles refusent de faire ?

    Personnellement, vendre ce "service" serait quelque chose de dégradant. Mon corps n'est pas achetable !

    Merci pour les réponses que vous pourrez m'apporter. Je vous encourage à continuer d'écrire ce blog qui est un ticket de délivrance. Vous devez certainement recevoir des commentaires insultants ou menaçants, c'est parce que vous dénoncez la vérité et ça dérange ! Donc votre démarche est d'autant plus importante pour éclairer la vraie vie des femmes victimes de la prostitution et de la pornographie.

    Cordialement,

    Ingrid BLANC

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