Comment traverser cette distance, faire un pont, avec des mots, pour peindre une image de la douleur et de la souffrance, pour dire l'indicible, dans cet environnement fade de classe moyenne avec sa table et sa boîte de mouchoirs pour que les clients tamponnent leurs yeux avec, avec cet agréable homme de classe moyenne. J'ai l'impression d'être de l'obscurité complète, le mal à l'état pur, une entité toxique qui pollue cet endroit et l'esprit de cet homme. Si certaines des images, des souvenirs, de ce qui m'a été fait, me tourmentent et me dégoûtent de moi-même, que va-t-il penser, cet homme avec ses livres d'étude et sa vie stable et son job stable et son apparence propre et ordonnée.
Sa gentillesse me touche, sa présence m'apaise, sachant qu'il ne va pas me frapper ou me toucher ou me crier dessus. Je sais que c'est juste son job, ça fait partie du contrat, pour lui, je ne suis qu'une cliente parmi tant d'autres. Mais pour moi cela signifie tellement plus que ça. Un homme qui ne veut rien de moi, qui est là pour écouter, qui m'encourage à parler, qui me parle d'une voix douce. Je ne veux pas perdre ce sentiment d'être en compagnie, je ne peux pas supporter de penser qu'il voie les dégâts que je porte et ma noirceur et qu'il m'abandonne.
J'ai été seule pendant si longtemps et je ne veux pas perdre ça. Alors je reste assise, silencieuse, et priant pour qu'il voie dans mon esprit, pour qu'il comprenne, qu'il voie ma souffrance et ma peur, qu'il sache et qu'il comprenne et qu'il m'accepte telle que je suis, parce que je ne peux pas en parler.
Solitude en compagnie. Ensemble mais séparés.
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